Province de Séville – Ville de Dos Hermanas
Il est 13 heures, les ruelles sont vides, une chaleur de plomb s’abat sur la ville, les volets sont clos, il n’y a pas un bruit, seul un vent sifflant agresse méchamment mes oreilles. Devenue sensible de l’oreille droite, depuis qu’un acouphène de « bruit de vent » est survenu, pendant six longs mois de ma vie. Ne pouvais-je faire plus original que de disposer en permanence d’un instrument à vent greffé au sein de mon oreille ? Sauf qu’il n’y avait que moi pour l’entendre….. Je traîne ma valise, accablée par la chaleur, je l’ai en horreur, tournant la tête de droite et de gauche pour repérer les numéros. Je cherche le n° 26 de la Calle de Santa Reparada. Plus que dix numéros et je suis enfin arrivée à destination. Se tient devant moi une belle bâtisse à la couleur framboise ou fraise écrasée, couleur beaucoup plus foncée que celle du lait fraise glacé que j’aurai bien siroté.
Des effluves de fleur d’oranger viennent titiller le bout de mon nez. Il ne fait aucun doute, je suis bien en pays méditerranéen. Je sonne. Une dame d’un certain âge m’ouvre. Elle porte jupe et tablier. Elle est à croquer. Buenos dias me dit t-elle d’une voix rauque et forte. Elle enchaîne les mots à la vitesse grand v et comme je ne comprends rien, elle me fait signe avec ses mains de bien vouloir m’asseoir et patienter.
Le long couloir de l’entrée est délicatement habillé en son mur de chapeaux de paille colorés et de plantes grasses accrochées dans des paniers.
Je reconnais la voix d’Ana qui me lance un holà en descendant les escaliers. Elle m’embrasse, on échange quelques mots et m’emmène à l’atelier. Nous traversons un patio avec du mobilier en fer forgé. Ana ouvre la porte et un doux parfum sucré avec une légère pointe d’amertume vient s’accrocher à moi. Elle sort du frigo le fruit, la fleur et la feuille et commence à me décrire l’objet de ma venue. Je viens la rencontrer pour en apprendre un peu plus sur le bigaradier appelé aussi oranger amer. Je le connais de nom ou pour en avoir déjà goûté à l’aube de mes 16 ans, la « so delicious british marmalade » pour laquelle je garde un souvenir tout particulier. Elle m’explique que le bigaradier est un agrume plus petit que l’orange douce. Sa peau orange est rugueuse, épaisse et teintée de vert. Sa chair est peu juteuse, acide et contient beaucoup de pépins. Elle est abondamment cultivée en Espagne et notamment à Séville d’où son nom d’Orange de Séville.
J’aperçois la dame âgée s’approcher de la porte de la verrière. Elle toque à la porte, Ana lui fait signe de rentrer et elle me demande si je souhaite me désaltérer. Elle me propose une citronnade fraîchement pressée. Ana s’empresse de traduire en simultané. Puis elle ouvre son ordinateur et me montre une vidéo sur les propriétés et principes actifs du bigaradier. Puis je lui pose la question de l’amertume dans l’orange amère et d’où lui vient son nom. Ana me répond que « les hommes » et l’amer ont une relation assez compliquée. Je souris. Son âpreté et acidité ne font pas un fruit très agréable à déguster nature, me dit-elle.
Alors que je suis émerveillée par la façon dont Ana me parle de botanique, de propriétés et de principes actifs une femme brune taillée comme un homme entre d’un pas ferme et décidé. Elle me prend par les épaules, m’embrasse chaleureusement. Je sursaute et rougis. Ana me présente sa sœur Esperanza, pantalon vissé dans des bottes, un petit chemisier à manches courtes en coton blanc laissant apparaître des bras dorés et musclés. Sa coupe de cheveux à la garçonne lui donnant un petit air taquin. Les deux sœurs me paraissent à l’opposé l’une de l’autre même si elles me donnent à voir une belle complicité. Ana me dit que sa sœur travaille plutôt sur le terrain, elle conduit les tracteurs, entretient les orangers, procède à leur récolte. C’est une femme de la terre. Elle respire l’authenticité et les vraies valeurs.
Esperanza propose d’ailleurs à Ana de m’emmener voir en fin d’après-midi l’orangeraie. Pour ma culture personnelle je suis ravie de pouvoir la découvrir et de pouvoir grimper sur un tracteur aux côtés d’Esperanza. Cette femme a quelque chose de troublant ……….. Les deux jours en terre andalouse arrivaient à leur terme. Je partais retrouver la capitale, les dîners à préparer, les files d’attente dans les ciné, mon mari, les cartables à préparer ……
Les mois passèrent et le 28 Novembre 2018 sortait, dans la Province de Séville, la crème révolutionnaire anti-âge : DOS HERMANAS.
Par Emije
Emije nous emmène ce mois-ci en terre espagnole (chic, un avant-goût d’été !). Elle nous raconte un moment, une rencontre, presqu’hors du temps et du reste du monde (presque seulement, parce que malgré tout, on sait quelques petites choses « autres » que cet instant sur son héroïne, et la fin ouvre le champ, aussi). Et comme effectivement, son texte est construit autour de cette rencontre marquante, Emije soigne le contexte : en quelques coups de pinceau, elle nous glisse les éléments d’un décor chaleureux ; en quelques mots, elle caractérise des personnages marquants. C’est tout à fait bien trouvé, et essentiel, pour que le texte ne nous laisse pas sur notre faim. Un texte recentré sur un seul moment doit être suffisamment « ambiancé » pour justifier qu’on ne raconte que ce moment-là, qu’on ne se sente pas « à l’étroit » dedans en le lisant, et Emije a bien saisi ça.
Là où je pense que tu pourrais affiner les choses, Emije, c’est dans l’utilisation que tu fais de toutes les « connaissances » sur le bigaradier. Il ne faut pas oublier que tu nous racontes avant tout l’histoire de ces femmes, de leur rencontre, en Espagne. Tu ne nous écris pas une page d’encyclopédie (je caricature, hein, mais juste pour te faire saisir le truc 😉 ). Du coup, utiliser des éléments botaniques précis peut être une excellente idée (mixer le narratif et le « théorique », c’est souvent une très belle idée), mais il faut le doser avec une précision absolue, et ne pas perdre le fil de ton récit. Par exemple, quand tu commences à parler du bigaradier, puis que tu précises d’emblée que ton héroïne connait cet arbre pour avoir goûté la « so delicious british marmelade », c’est vraiment chouette, parce que l’élément descriptif théorique est d’emblée réinséré dans ta narration. Mais il me semble qu’un peu plus tard dans ton texte, il y un peu trop de descriptif théorique, peu relié au concret de ta narration. Ça mériterait soit que tu élagues certains éléments de savoir botanique, soit que tu les dissémines plus progressivement, en veillant à les relier vraiment à ton histoire et à tes personnages.
jolie tranche de vie, réaliste ..j’y étais, le soleil, l’espagne, et en effet j’ai un peu perdu le contact avec les personnages et le décor dans la partie plus théorique .
On entre dans le texte comme dans un film. On a même envie d’accélérer la lecture pour savoir plus vite ce qui va se passer. On voit la couleur des façades, le poids de la chaleur, l’odeur d’oranger. Belle description. Mais il m’a semblé que l’élément central était moins le bigaradier que la rencontre avec la soeur d’Ana, je me trompe? Je verrais bien une suite à cette rencontre qui manifestement l’a troublée.
Même sentiment que toi, Mathilde, sur l’importance en filigrane de cette rencontre, qui pourrait certainement être développée…
pareil! jolie touche de pinceau sur cette rencontre qui m’intrigue! Peut-être que quelques petits détails là-dessus par ci par là feraient un effet assez saisissant…
Merci pour vos commentaires. Je ne suis pas sûre d’avoir le temps (mais je vais essayer) cette semaine, de retravailler mon texte, je prends en considération vos pistes de travail pour élaguer la partie théorique et développer la rencontre entre les 2 femmes …..
Pour répondre á Mathilde, l’idée de la rencontre avec la soeur à été décidée plus proche du jeudi (presque au moment de rendre le texte). Il y a eu une cassure dans ma réflexion et je l’ai ressenti aussi, comme si j’avais écrit 2 parties différentes. Les événements de la vie ont une incidence sur l’écriture et le rythme. J’en ai pris conscience aussi …..
Entièrement d’accord avec toi sur le dernier point… Quand on me demande quelle est la part d’autobiographique dans ce que j’écris, je réponds que je n’en sais rien (ce qui est vrai), mais qu’on écrit forcément avec ce que l’on est, et ce que l’on vit… 🙂
J’ai bien aimé ton texte que j’ai trouvé très sensoriel : tu convies aussi bien le visuel que l’olfactif, le goût (et l’audition et le toucher)!
Je pense que j’aurais aimé (mais c’est peut-être personnel) des petits indices au fil du texte, laissant supposer qu’il se tramait quelque chose, par ex : « son travail avançait, ce serait bientôt prêt » pour tenir le lecteur en haleine et que la chute finale prenne tout son sens.
J’ai bien aimé ton texte qui m’a emmené en Espagne, j’ai senti le soleil là bas !
Mais effectivement, je suis restée sur ma faim concernant des choses plus concrètes et en particulier la rencontre avec la soeur.
Cela ne m’a pas fait perdre le fil mais j’aimerai en savoir plus 🙂