Lorsque Saint-Pierre entra sans frapper dans Son bureau, il était au bord de l’implosion. Ses cheveux blancs hirsutes, les lunettes posées de guingois sur son nez qu’il avait proéminent, ses lèvres pincées suffisaient à montrer son impatience. Bien que Saint-Pierre soufflât comme un bœuf, Il leva à peine un sourcil de son journal et poursuivit sa lecture. De longues secondes passèrent durant lesquelles Saint-Pierre fit ostensiblement craquer ses phalanges ; il savait pertinemment que cela L’insupportait au plus haut point. Enfin, Il reposa son journal sur Son bureau blanc et dit d’une voix légèrement irritée :
« Eh bien mon vieil ami, que se passe-t-il ce matin qui semble tant vous agacer ?
— Agacer ? Non je suis furieux mon Seigneur !
— Ah quand vous employez ce mot, c’est que vraiment nous sommes proches du chaos…
— Pire que le chaos, c’est le grand bordel mondial ! » hurle Saint-Pierre les deux mains appuyées sur Son bureau
Le vieil apôtre se rendit compte de son envolée peu lyrique, se redressa, rajusta sa tunique indigo du plat d’une main et, pour se calmer, caressa sa longue barbe blanche de l’autre, attendant qu’Il lui fit signe de prendre un fauteuil puis qu’Il l’invita d’un mouvement de tête à poursuivre son explication.
Tandis que Saint-Pierre narrait avec force gestes et mimiques par le menu l’origine de ce bazar, Il prenait consciencieusement des notes sur son petit carnet à spirales bleu ne laissant paraître aucune réaction. À la fin de cette logorrhée interminable, Saint-Pierre prit congé, soulagé, mais contrarié devant le peu de réaction de Son vénérable ami.
Enfin seul, Dieu se leva, se dirigea vers la fenêtre, l’ouvrit en grand, prit une ample respiration et cria « vous m’emmerdez, tous ! » puis referma la fenêtre et sortit de Son bureau en claquant la porte.
Très remonté, Il entra dans le bureau au fond du long couloir à gauche, et les deux poings sur les hanches, Il balança à son occupant : « Alors, tu peux m’expliquer ? »
Steve Jobs ajusta ses petites lunettes rondes, il n’en croyait pas ses yeux, depuis dix ans qu’il était ici, il ne L’avait jamais rencontré Seul ! Il L’avait bien entrevu, ce 5 octobre, rapidement, entouré de son aréopage d’une douzaine d’apôtres et de nombreux angelots virevoltants, pour lui souhaiter la bienvenue comme à tout nouveau membre. Steve n’eut pas le temps de se lever pour recevoir son glorieux hôte que déjà ce dernier s’asseyait en face de lui.
« J’écoute ! »
Steve, la voix tremblotante, osa dire :
« Si Vous le permettez, il serait préférable que nous allions au QG directement, ce sera plus facile pour Vous expliquer. Si Vous voulez bien me suivre… »
Ils sortirent de la pièce, et marchèrent d’un pas décidé vers le QG hautement sécurisé. Chacun y alla de son iris pour l’ouverture des portes blindées à dix points. À l’entrée du Big Boss et de son informaticien en chef, dans de ce qui est le plus grand data center du monde éternel et terrestre, un silence religieux se fit quelques instants hormis le bruit feutré des ordinateurs surpuissants et le ronronnement perpétuel des climatiseurs. Puis chacun reprit ses activités fiévreusement. Steve fit entrer Dieu dans le bureau d’Alan Turing, une explication claire s’imposait.
Turing et Jobs parlèrent à tour de rôle, Dieu avait sorti son carnet bleu et prenait des notes, intervenant parfois pour avoir plus de précisions.
Dieu referma son carnet, se redressa et d’une voix posée malgré la gravité du contexte, mais Dieu n’en avait- il pas vu d’autres des situations catastrophiques ?, s’exprima ainsi :
« Bien, si je résume la situation, depuis vingt-quatre heures, nous avons affaire à une panne gigantissime, un bug énorme comme disent les chérubins, d’un de nos serveurs principaux et essentiels, l’Omega, celui qui a en charge la gestion des décès. Nos puissants informaticiens sous vos ordres travaillent d’arrache-pied pour cerner ce maudit virus et trouver la parade. C’est bien ça ? »
Les informaticiens acquiescèrent. Saint-Pierre toqua à la porte vitrée, Il lui fit signe de les rejoindre.
« Quels sont les dommages à l’instant T ? » demanda Dieu à son Apôtre
« Les décès se propagent à la vitesse de l’éclair, les pompes funèbres sont débordées, la pénurie de cercueils se profile, les curés, les rabbins, les imams et autres bonzes ne savent plus à quel saint se vouer si je puis dire, certains ont même déjà fait un burn out, les pleureuses sont à sec. Les journaux quotidiens ont même supprimé leurs pages Sport, à la place des centaines d’annonces d’obsèques… On frise la révolution. À moins d’un miracle je ne vois pas comment arrêter cette frénésie mortelle.
— Non, non et non. Pas de miracle cette fois-ci ! Avec toutes les têtes pensantes que nous avons ici haut, je vous donne deux heures pour résoudre ce problème, compris ? » Et Il sortit du bureau en claquant la porte avec une irrépressible envie de fumer un Havane !
Des flux des données sibyllines et de calculs ultra sophistiqués semblaient courir de câbles en câbles, de serveurs en serveurs ; hommes, femmes, tous les scientifiques de renom étaient à la tâche. Une intense et brûlante activité régnait dans les cerveaux comme dans la salle informatique. Mais ce ne fut pas en vain ! Soudain ce fut la liesse ! Le collectif de génies avait réussi. Non seulement ils avaient identifié le bug, le VADÉ RS ou plus scientifiquement le Virus Ange Déchu Exterminateur Retro Satanas, mais surtout ils étaient parvenus à créer un antivirus redoutablement efficace le Vi&aD en termes scientifiques, Vers l’Infini & l’au-Delà.
Mis au courant du brillant résultat, Dieu, ravi, convoqua sur le champ son staff afin d’établir un plan d’action immédiat. À l’issue de ce brainstorming divinement céleste, Dieu satisfait, mit fin à la réunion extraordinaire et proposa une séance de cinéma en pleine Voie Lactée, bien méritée, avec la diffusion de La Vie est Belle de Franck Capra, son film préféré.
Et dans l’édition du matin du journal quotidien, de chaque village, de chaque ville, de chaque région, de chaque pays, de chaque continent, Dieu fit paraitre, à ses frais, la publication suivante :
AVIS DE RESURRECTIONS
COSMOS – TERRE
Dieu,
Et tous Ses Enfants depuis la nuit des temps,
Sont heureux de vous annoncer la résurrection instantanée de
Monsieur F. M.
Et vous invitent à chanter ses louanges autour d’un vin divin.
Image : cc- Pixabay
Zazie 6454, si on s’attendait à cela !!! Voir apparaître le nom de Steve Jobs m’a fait sourire. Comme quoi les différentes époques peuvent se mêler les unes avec les autres. Bien imaginé.
D’ailleurs en lisant ton texte je me suis demandée comment une telle idée t’était venue. C’est comique malgré le sérieux de la situation.
Merci de nous avoir partagé ce texte en début de semaine, pour la démarrer sous le signe de l’originalité.
Un texte bien drôle, farfelu, fantaisiste, inattendu, jubilatoire. Moi aussi voir soudain apparaître Steve Jobs m’a fait pouffer. Je me suis dit « mais où va t’elle aller » ? Après je suis un peu moins fan de la chute. Peut-être parce que le « FM », même si c’est bien rigolo me concerne (il est en effet fort possible que je sois mort et ressuscité brièvement et récemment. Pas plus tard qu’hier après-midi je suis allé voir un mauvais spectacle et les quelques moments de somnolence qui m’ont gagné, des micro-pannes, s’expliqueraient donc ? Merci Zazie pour le diagnostic) et que du coup cela donne une tonalité private joke, qui quoique bien agréable amoindrit la qualité du texte en lui ôtant une audience potentielle plus large. Mais il est vrai qu’on est là pour s’amuser et c’est tant mieux.
Comment aurais-je chuté, sinon ? Je ne sais pas, un truc genre ce pénible et saoulant de Gutenberg qui re-déboule toutes affaires cessantes et essaie de refourguer une énième fois son ATIC (Ancienne Technologie de l’Information et la Communication) et son vieux matos de presse à papier tout pourri tout ringard qui met de l’encre plein les doigts immaculés des anges du département des enregistrements.
Il y avait peut-être aussi un truc à faire sur « le cloud ». Il faudrait que Dieu se sorte la tête du nuage et prenne un abonnement à un service de sauvegarde. Je ne sais pas… En tout cas, ce texte stimule l’envie de déconner et de continuer cette fantaisie. Merci Zazie 🙂 (allez : concours de chute ! Qui va avoir l’idée la plus délirante ?).
Hahaha énorme la chute avec Gutemberg, je suis verte de ne pas y avoir pensé ,moi qui suis fille et petite-fille d ‘imprimeur !!!
Je me suis régalée, j’adore ton humour Zazie, et ton imagination sans bornes.
Ça valait le coup d’attendre un jour de plus pour que tu puisses ciseler ce petit joyau.
Bravo !
Merci Betty !
Super ton texte. C’est drôle et bien troussé.
J’aurais bien vu Adam et Eve venir se plaindre de la promiscuité qui règne maintenant là-haut en raison de l’afflux des touristes …
En tout cas, ce fut un bon moment de lecture Merci Zazie6454.
J’adore!!! Bravo. Quelle rigolade et quelle dérision servies par un texte de belle facture.
Vite, vite, vite… avant que maître Francis ne referme cet atelier… eh bien je me range à l’avis général. J’ai trouvé ton texte vraiment rigolo… et puis pour une fois c’est le b… là haut aussi, c’est jouissif…