Mon cousin et moi avions rendez-vous chez Maître Jean Madelaine, notaire à Commercy (ça ne s’invente pas ! ). Notre vieil oncle Augustin (que nous surnommions Gus) avait rendu l’âme – j’avoue n’avoir jamais compris cette expression… on nous l’avait donc juste prêtée ?- il y a quelques semaines et nous étions ces seuls héritiers, après l’État bien sûr.
Nous ne nous étions pas revus depuis quinze ans, quelques mots ou photos par-ci par-là échangés sur Facebook tenaient lieu de liens familiaux ténus. Romain venu directement de Londres où il « tradait » dans la City depuis plusieurs années ; costume trois-pièces gris souris, montre connectée au poignet, attendait déjà à l’étude à mon arrivée. Il faut dire que j’ai toujours la fâcheuse habitude de ne pas être à l’heure ; je crois toujours être plus rapide que le temps, même pour un train, c’est dire si j’en ai raté ! Du reste, à mon entrée, j’ai bien remarqué le regard courroucé du clerc à l’accueil regardant ostensiblement la pendule digitale posée sur le comptoir. Après avoir décliné mon identité, il m’indiqua la salle d’attente où je retrouvai Romain.
Malgré un masque de composition supposé ne pas laisser transpirer le moindre étonnement, j’ai surpris dans le regard de Romain une certaine consternation, tel un phylactère flottant au-dessus de sa tête qui disait « la vache, elle a morflé la cousine ! ». C’est tout à fait vrai, en quinze années, j’ai appliqué consciencieusement ma méthode Je mange Comme j’aime – une année, un kilo et je me sens très bien, merci. De mon côté je n’ai rien laissé filtrer de mon émoi à la vue de sa calvitie bien avancée et de son estomac en surplomb. La stupeur passée, nous sommes tombés dans les bras de l’un de l’autre tout à la joie de nos retrouvailles improbables. Le clerc vint nous chercher et nous conduisit dans le grand bureau où nous attendait Me Madelaine, assis droit comme un i sur son haut et large fauteuil en cuir vert bouteille, piqueté de clous cuivrés, derrière un bureau style Napoléon, aux dorures imposantes et au bois acajou ciré, un dossier —notre dossier ai-je imaginé— ouvert devant lui. Après les présentations d’usage, tout en nettoyant ses lunettes cerclées d’or, il nous indiqua avoir reçu ici même il y a deux mois notre oncle pour rédiger ses dernières volontés dont il nous fit la lecture d’une manière quasi théâtrale, comme si Louis Jouvet avait pris plus ou moins possession de son corps. Romain et moi évitions de nous regarder de peur d’exploser de rire, ce qui aurait été du plus mauvais effet.
Ainsi donc nous héritions chacun de la moitié de sa maison de campagne. Après signature, le notaire nous remit qui les clefs, qui l’acte de propriété en nous poussant fermement vers la sortie.
Il était presque midi, la brasserie Chez Raymond nous faisait de l’œil, les tables aux nappes à carreaux rouges et blancs aperçues derrière la vitrine semblaient la promesse d’une cuisine roborative locale bienvenue. Sitôt la commande du menu du jour passée, quiche lorraine, potée lorraine et tarte à la mirabelle, nous commençâmes à disséquer les papiers de l’héritage de feu notre oncle, un bock à la main. En vérité nous ignorions primo qu’il possédait une maison, secundo dans la campagne meusienne. Nous convenons donc de nous rendre, après le déjeuner, dans « notre » maison, puis ensuite de la mettre rapidement en vente dans une agence immobilière locale ; chacun de nous ayant une bonne raison pour ne pas conserver ce bien pseudo familial. Romain parce qu’il vit à Londres ; moi parce que je déteste la campagne !
C’était dans le village de Grimaucourt que se trouvait la maison, à environ trente minutes de Commercy, en passant par des départementales sinueuses et bordées de platanes encore recouverts de chaussettes blanches ou de majestueux chênes. Nous arrivâmes dans un village typiquement lorrain ; une rue unique souvent baptisée grand-rue, des fermes et maisons de part et d’autre de ladite rue, sans numéro. Un seul indice : notre maison, sans mitoyenneté, faisait face au puits communal.
Nous l’avons facilement repérée. De l’extérieur, elle ressemblait aux autres bâtisses, sauf qu’elle semblait endormie, enveloppée par du lierre rougeoyant. Les volets en bois verts étaient clos. Elle avait belle allure. Moment solennel, Romain ouvrit la porte d’entrée et me laissa passer la première. Quelle plaisante vieille demeure ! 1685 gravé au-dessus de la cheminée attestait de son âge avancé. Une ancienne ferme probablement, puisque des mangeoires et des jougs paraient encore les murs enduits de chaux. Nous sommes tout de suite l’un et l’autre, sans nous concerter, tombés sous le charme de ces vieilles pierres. Les pièces se suivaient les unes derrière les autres en enfilade, avec des niveaux différents qui attestaient sans doute de rénovations différentes passées. Visiblement notre oncle ne l’avait pas habitée depuis plusieurs années. La poussière recouvrait totalement les meubles. Les toiles d’araignée y avaient pris leurs quartiers depuis belle lurette. Elle sentait fortement l’humidité et le manque d’aération. Nous étions silencieux comme des gamins qui explorent une grotte interdite à la recherche du fameux trésor, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte !
Nous poussâmes nos investigations jusqu’à la dernière pièce au bout du couloir ; la porte étroite donnait sur une immense grange, le sol était jonché de pailles putréfiées et des balles de foin empilées se dressaient jusqu’à un plancher qui nous surplombait. Romain me proposa d’y grimper. Il ôta son veston, déboutonna son gilet de flanelle, retroussa les manches de sa chemise et adossa l’échelle posé à terre. Je suivis donc mon cousin dans son ascension. Du foin, encore du foin ! La tentation était trop grande, nous nous sommes jetés dedans en riant… Et soudain Romain poussa un juron, il s’était cogné la tête. Nous nous mîmes à chercher ce qui avait occasionné ce coup : une malle en cuir était rangée sous la paille. Curieux, nous l’ouvrîmes pensant y dénicher de vieilles photos ou reliques quelconques. Ce que nous vîmes nous laissa sans voix ! Nous nous regardions totalement stupéfaits par notre découverte fortuite : des lingots d’or, cinquante – nous les avons comptés et recomptés dix fois – d’un demi-kilo chacun. Nom d’une pipe ! De l’or, du vrai, en plaquette ! En familier des marchés financiers, Romain fit rapidement le calcul, à raison d’environ 25 000 € le lingot, nous avions sous nos yeux ébahis (le mot est faible !), oh my god, à la (grosse) louche 1 250 000 € soit divisés par deux 625 000 €… Nos deux cerveaux furent momentanément transis, gelés, perclus, immobiles rendus.
Mais à qui appartenait ce trésor ? Quand avait-il été déposé là ? D’où venait-il ? Qu’en ferons-nous ? Tandis que nous nous posions toutes ces questions à voix haute, j’entrepris d’analyser la malle comme dans les films d’espionnage. Je tentai de soulever le fond de la malle vidée de son riche contenu , le fond se détacha… Des coupures de journaux y étaient cachées, France-Soir, l’Écho de l’Est, Le Républicain Lorrain : tous relayaient la même information « Le Casse du siècle » de la Banque de France à Verdun le 31 janvier 1962. « Des lingots d’or – avant estampillage – envolés ! Un hold-up incroyable monté par des voyous très bien renseignés et organisés, sans violence mais avec une intelligence redoutable et un brio remarquable. Le seul indice laissé sur la porte du coffre-fort était la signature du chef de la bande : Gus » avait écrit le journaliste présent sur les lieux du vol.
Ainsi nous avions la réponse à toutes nos questions… Notre oncle Gus était un voleur à la Arsène Lupin, et en prime nous léguait son butin que plus personne ne pourrait réclamer ! Nous sommes partis à rire et à danser comme deux fous, hurlant en chœur tantôt une chanson de notre enfance « Bonjour ma cousine, bonjour mon cousin germain… » ou « ah si j’étais riche… ». Un coup de klaxon nous ramena à la réalité, en chemin, nous avions pris rendez-vous avec M. Liegeois, agent immobilier.
Nous descendîmes de notre riche niche et le retrouvâmes dans l’entrée. Il marqua un instant de surprise devant nos tenues désordonnées, la paille accrochée à nos vêtements, à nos cheveux, et nos joues rosies, et ajouta un clin d’œil appuyé et coquin lorsqu’il s’excusa de nous déranger ! S’il savait…
Même si cette maison risquait de nous coûter beaucoup, nous nous excusions du dérangement causé, mais c’était décidé, nous la gardions, il était tellement… précieux à nos yeux d’honorer ce cher pauvre oncle Gus.
Photo Wikipédia d’un Grimaucourt qui se trouve près de Commercy. Les indices concordent :-), c’est chaud, là, ces aveux…
Un sacré héritage qu’ils ont fait les cousins ! Je me suis régalée, le texte est fort bien écrit, l’histoire coule, nous invite à l’accompagner, la découverte du coffre et de son contenu, peu à peu révélé est savoureuse.
Le quiproquo de la fin, du à la tenue froissée des cousins et à la paille dans leurs cheveux est amusante et vient clore un récit bien mené.
Bref, j’ai beaucoup aimé, la forme comme le fond.
Jolie photo de Grimaucourt ! bravo Francis ! Belle découverte non ?
A Zazie6454 : Oui, belle découverte : « Village pittoresque au cœur d’une terre de contraste, baignant dans un écrin de verdure, Grimaucourt est fameux pour ses malles en cuir garnies… » [/mode jeu des 1000€ on] 🙂 Je cherche à y louer une vieille maison désormais car j’envisage de passer l’été à creuser partout. Moi aussi je veux un trésor !
Quel magnifique texte !!!
Il m’a fait sourire. Il est à la fois drôle et rempli de tendresse. Quelques passages sont délicieux comme « Je mange comme j’aime ». Une jolie pointe d’ironie.
L’écriture est belle, fluide. Le passé et présent se conjuguent à merveille dans cette histoire. Vraiment bravo, tout fonctionne et donne envie de vous découvrir dans d’autres écrits.
Cela fait du bien une histoire comme celle-ci parce que dans la vraie vie, c’est plutôt rare des héritages comme celui-ci! Une histoire qui met de bonne humeur. J’aime bien l’idée des cousins qui se roulent dans le foin et retrouvent leur coeur d’enfant…il est peut être là le trésor!
J’ai un grand coup de foudre pour les personnages de cette cousinade. Ce regard teinté d’autodérision de la cousine en free style gastronomique et l’oeil cinglant sur le cousin qui fait son entrée au club des ventripotents. Les lunettes dorées du notaire!
Et là encore on aimerait lire la suite…un road movie lorrain peut-être où les cousins seraient poursuivis par un détective privé payé par la banque?
Merci de ce bon moment.
Oui, c’est un texte bien troussé, qui est toutefois davantage un premier chapitre d’exposition (de la situation, des personnages, de l’incident déclencheur) qu’une nouvelle. Et tout est bien planté, croqué, et la scène dans le foin est amusante (Simon a raison c’est un départ de roman, qu’on aimerait lire. La chute d’ailleurs est plutôt une fin de chapitre qui incite à tourner la page !).
Plusieurs possibilités pour la suite :
– la traque (des malfrats veulent mettre la main sur le magot ; un détective privé de la banque s’acharne comme dit Simon ; les villageois découvrent l’affaire, Gus avait un complice et des enfants cachés qui veulent leur part…) et les cousins se retrouvent embringués dans un road movie entre Grimaucourt et Commercy en voiturette électrique (non, ça c’est trop).
– le conflit familial : ils continuent de se rouler dans le foin, mais pour se battre à coup de fourches, etc. Qui gardera le magot ?
– le roman feel good avec le mot « bonheur » dans le titre : partis aux Caraïbes ils hésitent au bar de la plage entre une téquila capirhina et un maï-taï. Heureusement, il y a enfin des gambas géantes au menu. Deux jours qu’ils attendaient en s’inquiétant.
– le roman développement durable éthique vegan : ils financent des écoles à Madagascar et participent à leur construction en salopettes en lin et sandales de cuir d’ananas.
– le roman du genre dit correspondant aux articles Article 716, créé par Loi 1803-04-19 promulguée le 29 avril 1803 du Code Civil sur la découverte de trésor, et article 321-1 et suivants du Code pénal sur le recel de vol. Les cousins sont pris dans une nasse policière, judiciaire, et le plus terrible, surtout administrative (ILS ONT SOUDAIN DES TAS DE PAPERASSES À REMPLIR)…
(Bon, j’arrête de plaisanter). Ce que je voudrais toutefois dire -sans en amoindrir les qualités d’écriture du tout- c’est que c’est 1- comme je l’ai dit, très bien planté mais… déjà un peu attendu (je me suis douté tout de suite de la découverte, et même de la découverte des coupures de presse explicatives), et c’est par conséquent 2- déjà un peu sage, malgré sa jubilation. Même si tout est très bien mis en place (notamment les personnages), cela annoncerait une suite un peu plan-plan. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais peut-être qu’il faudrait forcer le trait sur les personnalités, ou alors déjà poser les bases d’un truc qui sera dysfonctionnel (créer déjà un potentiel grain de sable dans la linéarité, l’enchaînement parfait des choses qui vont bien). Mais ce pourrait en effet être amusant en localisant en Lorraine, avec les particularités qui semblent être si connues (d’ailleurs j’ai essayé, en vain de faire chanter Zazie6454 tant cela sonne un peu trop réel à mon goût 🙂 ). Alors ce sera quoi, la suite ? Et vous avez fait quoi, du magot ?
Merci à tous pour vos commentaires sympas merci aussi pour toutes ces découvertes de lecture ! Il est vrai Francis que je suis partie sur une ambiance feel good un peu convenue mais je me suis vraiment amusée avec mes personnages, alors oui je connais un Grimaucourt ( pas celui des malles) pour y être passée très souvent dans la jeunesse mais pour le reste je vous assure , jamais trouvée de lingots hélas ! Quant aux différentes propositions de suite, la première est ma favorite !
Mais c’est chouette le feel good book…je trouve que les personnages décrits du point de vue de l’autre (j’ai vu dans le regard de Romain…) c’est très malin. Ils constituent déjà en germe les Auguste et Clown blanc, donc un duo classique, qui peut embarquer le lecteur…D’autant qu’ils sont modernes dans le ton, ce qui apporte la nouveauté du genre, en effet sur un récit long…
Une idée me vient, à la suite du texte de Zazie6454, et si je la redige ici, c’est sans intention d’instrumentaliser le texte de Zazie, ou de heurter, de piéger Francis, vaillant accompagneur de nos essais. Je sais que le concept de écrire en ligne est orienté « nouvelle » mais, puisque la proposition de travail a conduit plusieurs personnes du groupe à écrire » sur le récit long » est ce qu’il ne serait pas concevable d’imaginer, à l’occasion, un atelier sur le texte long, avec un temps d’écriture plus long, sur un mois par exemple, avec un une publication intermédiaire, au bout de 2 semaines, pour retours/conseils des participants. Le coût peut alors s’envisager sur la base de deux ateliers.
Bon ce n’est qu’une idée…
Réponse à Simon : Eh bien pourquoi pas. Ca peut s’envisager. Pas la peine de lancer un atelier payant et tout le bataclan. Je peux vous ouvrir gracieusement un espace de jeu sur le site, accessible qu’à vous : on y publie les versions, vous vous commentez (je mets mon nez de temps en temps voir si l’assistance est sage, si la pièce est bien rangée, si tout le monde travaille bien), et je pourrais y donner mon avis de temps à autre.
Personnellement j’adhère totalement à l’idée de Simon sur un atelier de ce type .
A voir si Francis, notre coach bien-aimé ( j’en fais un peu trop ? ) peut l’envisager.
Réponse à zazie6454 : non non c’est pas trop. Nous autres gourous on aime la flatterie 🙂
Super idée Simon, j’adhère moi aussi.
Il faudrait juste préciser ce qu’on entend par « texte long ». J’ai remarqué que Francis dans sa grande bienveillance ( puisqu’on n’en fait jamais trop… 🙂 écrivait à plusieurs d’entre nous que nos textes pourraient constituer un début de roman. Un roman pour moi c’est trop long. Je n’en ai ni l’envie ni le courage, mais je me suis déjà essayée à la rédaction de « novelas » et c’est un format que je trouve intéressant. Je pense que ç’est ce type de texte qu’on pourrait fournir en un mois.
En tout cas je suis partante +++
Il est vrai que pour Françis lire plusieus textes à 12000/150000 signes serait aussi un travail bcp plus ample…