5 heures du mat’ j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son.
Seule sur le lit dans mes draps bleus froissés , c’est l’insomnie, sommeil cassé.
Je perds la tête et mes cigarettes sont toutes fumées dans le cendrier.
Le son s’étouffe sous le coussin que Julie vient de poser.
Elle attrape le traversin d’à côté, le pose sur sa tête, et se rendort.
Cinq minutes plus tard elle est toujours étendue, ignore le second rappel du duo et reste emmitouflée sous sa couette.
5h15 : elle s’extrait de son lit, doucement, s’assoit sur le rebord.
Chacun fait fait fait, ce qui lui plaît, plaît, plaît.
Julie se lève, sent la lourdeur dans ses jambes, son dos est ankylosé. Malgré tout elle parvient à arrêter la musique du réveil posé sur le chevet, se hisse difficilement et tout en s’aidant du pourtour en fer forgé du lit, sort de la chambre.
Un pas, un pied, deuxième pas, l’autre pied suit difficilement. Elle reprend son souffle, inspire, s’arrête et recommence jusqu’à se rendre dans la salle de bain. Elle se plante devant la glace, plaque ses deux mains sur le lavabo. Elle s’observe, puis ouvre le robinet et s’asperge d’eau fraîche.
Elle amorce un demi-tour pour se rendre dans le salon, toujours aussi lentement. Son corps devrait se mettre en route, elle ignore dans combien de temps : ce sera une journée en demi-teinte, moins facile, hésitante, énervante.
Mais après tout c’est dimanche.
Tout en s’installant dans son fauteuil, elle se sent prise de vertiges.
Elle ferme les yeux, se souvient des paroles de la chanson de Chagrin d’amour en 1982, elle a 21 ans.
Debout chaque matin à 5h, étudiante prometteuse, elle ne réfléchissait pas, se levait, tapait le réveil comme elle l’aurait fait sur un buzzer si elle avait eu la bonne réponse, attrapait ses affaires de jogging et, tout en les enfilant, avalait un grand verre d’eau. Elle sortait courir pendant une heure, rentrait se changer, ingurgitait un café et rejoignait la fac.
A cette époque elle ignorait les déceptions, avait des petits amis, ne s’attachait à aucun et chantait à tue-tête : chacun fait fait fait, ce qui lui plaît, plaît, plaît.
L’insouciance avait du bon.
Plus tard les chagrins ont commencé à émerger, à s’accumuler : son divorce, la difficulté d’élever sa fille, les rencontres inintéressantes, le résultat de sa prise de sang.
Dans ces moments elle restait prostrée dans son canapé, chialait une fois sa fille couchée, fuyait le monde : elle détestait la vie, les gens, les hommes ; tout lui paraissait insipide.
Embarquée dans ses souvenirs, Julie repense aux moments où 5h du mat, s’arrêtait à mat instantanément. Elle s’éjectait telle une fusée, s’habillait, attendait avec frénésie l’appel de la copine qui passait la chercher.
Ses affaires de ski étaient prêtes depuis la veille et, pour rien au monde elle ne manquait ces rencards entre chialeuses, entre emmerdeuses, entre paumées. Oué, c’est comme ça que le clan des nanas aimait s’appeler. Ce pilier était costaud, rien ni personne ne pouvait faire intrusion dans la solidité de leur amitié. Elles s’étaient connues à la trentaine, cela faisait plus de vingt ans qu’elle s’appuyait sur ce socle. Julie, pendant ces week-end, se sentait entourée. Elle pouvait chialer, les emmerder car selon les moments elle se sentait paumée.
Les matins des rendez-vous galants le réveil était sur « off » : elle n’en n’avait pas besoin, son appréhension lui faisait garder les yeux ouverts. Toute la nuit elle s’interrogeait, se demandant comment elle trouverait ce nouveau prétendant : son cœur s’agitait.
La photo et les premiers échanges avaient été convaincants, mais après…
Elle faisait face soit aux déceptions, soit aux désillusions, quelques mois plus tard ou quelques années après, mais elle ne cessait d’espérer et continuait de chanter : chacun fait fait ce qui lui plaît, plaît, plaît, plus lentement, moins souvent, une fois le chagrin atténué.
Le vertige s’étant dissipé Julie se sent un peu mieux et se laisse glisser dans le moelleux des coussins.
Elle parvient à ouvrir les yeux et repense à son quotidien, celui de son métier d’infirmière, celle qui soigne, qui guérit, qui se lève chaque matin depuis…
« 5 heures du mat j’ai des frissons, je claque des dents, je monte le son. Seule sur le lit dans mes draps bleus froissés, c’est l’insomnie, sommeil cassé ».
Le son s’étouffe sous la main de Julie qui vient de mettre une baffe au réveil.
Elle attrape son coussin à deux mains, le pose sur sa tête et, se rendort .
Cinq minutes plus tard, il est vraiment cinq heures. Julie s’éjecte ou sort du lit, s’étire, enfile son peignoir, ouvre les rideaux et la fenêtre, rabat la couette vers le bas du lit tout en baillant à s’en décrocher la mâchoire. L’air glacial du matin défroissera ses draps, fera son lit.
L’air hagard elle se rend dans la cuisine, appuie sur la touche de la cafetière (café et filtre sont déjà en place) sort et se dirige vers la salle de bain non sans avoir au préalable caressé ses chats. Elle pose ses deux mains sur le lavabo et regarde pour la énième fois son reflet dans le miroir. Elle tire sur sa peau, tapote ses joues, se trouve moche, ridée, jolie, géniale, selon les jours et l’humeur.
Piqûre : on est le cinq du mois.
Elle met son pantalon, enfile le reste à la va-vite.
6h15 elle retourne dans la cuisine , se sert son café, avale la première gorgée, la chaleur l’imprègne d’une douce sensation . Ses pensées deviennent moins abstraites , moins brumeuses .
Tout en regagnant le salon avec son breuvage à la main, elle attrape son carnet laissé sur la table et s’assied dans son fauteuil. Elle consulte les premiers noms des patients qui attendent sa visite ; le premier est dans une heure.
Elle repose la tasse et l’agenda sur la table basse, s’enfonce dans le mœlleux des coussins, réfléchit à l’intendance de sa journée en vérifiant mentalement si elle a tout préparé pour sa fille ; si leurs parcours journalier est bien fléché.
Puis elle se lève, va se laver les dents, sous son T-shirt se badigeonne de déodorant, soulève la cuvette des toilettes et s’installe.
C’est son moment préféré, elle ne pense à rien. Julie aime ce moment de solitude, de silence, seule avec elle-même avant de démarrer.
Pendant ce quart d’heure elle trône, ne répond pas aux messages, laisse les mails, le banquier, les impôts, les emmerdes, la tristesse de côté. Elle évite de penser, elle médite.
Une fois le tête à tête terminé, elle attrape ses jeans, les remonte, complète son habillage avec une grimace dans la glace, se souhaite une bonne journée, file fermer la fenêtre de sa chambre, enfile ses chaussures, sa veste, chope sac et vanity case de soins, prend ses clefs et se mentalise en positif pour affronter les 10h de travail qui l’attendent.
La même routine depuis 20 ans. Seul le pas a changé.
Julie soupire, des larmes coulent sur ses joues ; elle entend à nouveau Chagrin d’amour dans la pièce d’à côté, elle sait que le troisième rappel va s’arrêter.
Il est 6h30 ; le dimanche elle démarre sa tournée à 7h30.
La porte de la chambre claque, il s’est levé.
Elle sent derrière elle sa présence ; celle de l’homme qu’elle a rencontré il y a dix ans, qui lui prépare son café, qui l’aide désormais à se lever chaque matin (sauf le dimanche) , à se préparer, à avancer. Il embrasse ses larmes comme à chaque fois que Julie est aux prises avec ses remontées nostalgiques, la sert dans ses bras.
Elle est à six mois de la retraite et espère chaque jour que la sclérose en plaque décelée il y a vingt ans, lui laissera encore le temps… de l’aimer.
Photo : wolfgangfoto – VisualHunt.com / CC BY-ND
Une nouvelle touchante impeccable dans sa structure et sa chute (cela étant, j’ai dû corriger les histoires d’heures qui ne collaient pas -il est trop longtemps 5 heures ou presque dans le texte original- et il subsiste un problème que je n’ai pas corrigé. C’est celui-ci : « Cinq minutes plus tard, il est vraiment cinq heures. Julie s’éjecte ou sort du lit, s’étire, enfile son peignoir, ouvre les rideaux et la fenêtre, rabat la couette vers le bas du lit tout en baillant à s’en décrocher la mâchoire. L’air glacial du matin défroissera ses draps, fera son lit. » > Or, sauf erreur, elle est déjà levée au début, c’est écrit plus haut, depuis : « Julie se lève, sent la lourdeur dans ses jambes, son dos est ankylosé. Malgré tout elle parvient à arrêter la musique du réveil posé sur le chevet, se hisse difficilement et tout en s’aidant du pourtour en fer forgé du lit, sort de la chambre. » En fait, c’est une erreur courante, je pense, à laquelle personne n’échappe : on est dans le fil de son récit, qu’on déroule et on se plante dans les heures, la chronologie. Il faut laisser reposer le texte et bien repointer l’ordre des évènements d’autant plus si on joue entre présent et échos du passé. Hormis ce menu problème, c’est du beau boulot avec une technique intéressante à relever. A savoir : la description méthodique et précise des actes a priori sans conséquence crée une tension. A priori, en effet, on ne devrait en effet pas ressentir de tension : après tout, le personnage fait les choses et point barre. Mais la description clinique et méthodique, pointilleuse induit un sens, envoie une attente, un signe au lecteur, qui ne peut se révéler qu’à la chute. Ce qui est le cas ici. Cela appelle trois remarques : 1- pas de description pointilleuse dans une fiction, sauf pour préparer à un message. 2- Les descriptions a priori précises en fiction (contemporaine) paraîtront curieuses si on ne prépare pas un effet. 3- la description précise crée artificiellement une tension car le temps est ralenti (procédé employé en polar, en fantastique). C’est-à-dire que sans élément de suspens, on peut toutefois en créer.
Bonjour Francis.
Les périodes sont différentes, celle où elle est déjà levée, Julie est à six mois de la retraite ( le début du texte) qui rejoint la fin.
Le reste sont des périodes de sa vie, en filigrane .
A partir de : le malaise s’étant dissipé, elle relate les années où elle est infirmière .
Merci pour ces retours que je vais travailler .
Ah, il y a quelque chose que je n’ai pas compris, alors, c’est cela ? Si c’est le cas, je suis désolé. (J’ai peut-être fait une bêtise alors en veillant à corriger la cohérence des heures. Les 2 périodes s’entremêlant… Il est une fois 5h15, puis plus tard… 5h) Il faudrait peut-être alors mettre en italiques une période et en romain une autre pour qu’on comprenne les allers retours…
(Pourtant il m’avait semblé comprendre le fonctionnement de la nouvelle, je n’y voyais que ce petit détail 🙁 ).
Je crois que ce qui induit en erreur ce sont les paroles de la chanson qui sont la musique du réveil : 5h du mat j’ai des frissons…n’est pas tellement important c’est une musique de réveil .
Après en lisant vos retours, je comprends aussi que c’est peut-être un peu cafouilli et difficilement compréhensible ou trompeur et que l’on peut s’y perdre.
Je le retravaillerai avant de le mettre en ligne sur mon site .
De toutes les manières je prends en positif les remarques: ça m’accompagne toujours et m’interpelle à un moment donné.
Victoria;
Je trouve ton texte très touchant et profond. Mais je dois avouer deux choses :
1) j’ai eu beaucoup de mal à suivre, j’ai dû le relire plusieurs fois pour enfin le comprendre. Mais ça, ça doit sûrement venir de mon manque de perspicacité :’)
2) je ne trouve pas le lien avec le thème en fait … c’est encore certainement mon manque de perspicacité mais désolée je ne trouve pas :/
Je pense qu’il ne faut pas chercher plus loin que les 2 périodes de sa vie perçues comme en écho, la malchance (de la maladie)… L’idée sans doute qu’il y a nombre de ces faits qui finissent par constituer une existence…
Victoria, super texte à chute. La fin, je ne m’y attendais pas du tout. J’ai été un peu ennuyée par tous les détails, mais après la fin, j’ai trouvé ce texte très beau. Et touchant. Il y a des gens qui vivent avec çà. C’est dur. Et du coup, merci pour ce texte qui nous ramène à certaines réalités.
Tu as un site, Victoria?
Merci Mano pour ton retour.
Je pense que je vais le retravailler avec les retours que j’en ai eu.
Oui j’ai un site: voici l’adresse.
https://www.victoria-copin.fr
Bonne journée.