→ Rêve n.m. -1- Suite de phénomènes psychiques (d’images, en particulier) se produisant pendant le sommeil. -2- Construction de l’imagination à l’état de veille, destinée à échapper au réel, à satisfaire un désir.
« Tu ne comprends pas, ce sont des rêves d’enfants, ça ! Tu ne vas pas en vivre, enfin, grandis ! Qu’est-ce que tu crois, que ça nous amuse, ta mère et moi, de travailler à l’extraction de fumée d’or ? Que c’est une vocation ? Mais enfin comment crois-tu que nous ayons pu louer à l’ordonnateur cette maison, ce puits d’eau vive, tes vêtements, l’écurie de ton chinozen ? »
Wendod était parti avant d’entendre la suite ; cette sempiternelle évocation de tout ce qu’il devait à ses parents, à la cité et à l’ordonnateur. La liste était toujours plus longue, de dispute en dispute. Les poings serrés, la bouche tordue sur une grimace de dépit, il faisait courir ses longues jambes sur les dalles du petit jardin jusqu’au box de Kori. Le chinozen se déroula à son approche et, après avoir pressé son museau contre la paume de son maître, il se serra contre le mur pour lui laisser sa place habituelle. Là, à l’abri contre cet animal immense, caché en partie sous son aile, Wendod posa la tête contre son flanc et s’autorisa enfin à pleurer. Ses larmes roulèrent, silencieuses, jusque sur le pelage de Kori où elles scintillèrent un instant avant de disparaitre dans sa fourrure épaisse. Le chinozen tourna sa large tête vers le jeune homme et le fixa de ses yeux pâles. Il attendait l’ordre, les mots-messages prononcés qui les emmèneraient en balade, loin de la tristesse et de la colère. Wendod s’essuya les joues d’un revers de la main, et sourit en reconnaissant l’appel muet de Kori. « Allez. Avolare. »
Trop heureux de répondre à l’appel du ciel, Wendod et Kori était partis sans se préoccuper de le harnacher. Les jambes resserrées autour de la base des ailes du chinozen, ses doigts accrochés à sa crinière, l’apprenti chinoziste goûtait la sensation du vent sur sa peau et la vue de la cité loin, loin en dessous d’eux. Comment ses parents pouvait-ils comprendre ? Ils n’avaient jamais chevauché une de ces magnifiques créatures. Ils les trouvaient effrayantes, vaguement dangereuses, volant trop haut, trop vite, ne s’exprimant que par des cris rauques et des feulements affolants. Mais Wendod, lui, ne se sentait pleinement heureux qu’avec son chinozen, au milieu des nuages, au-dessus de tout ce qui faisait la vie étriquée, étroite, triste, triste à pleurer… Prendre un poste à la mine de fumée ? Jamais. Il serait chinoziste, maître chinoziste, ou rien. C’était son rêve depuis qu’il était chérubin. Depuis qu’il avait sauvé Kori.
« Si tu ne te raisonnes pas, nous appellerons le chasseur de rêve ! »
Cette menace lui glaçait le sang…
→ Chasse n.f. -3- Action de chercher à se procurer.
Kori avait 10 semaines à peine, et lui le même nombre d’années. Il l’avait trouvé là, recroquevillé contre le puits d’eau vive, une patte vraisemblablement cassée, et le museau tout égratigné. Délicatement, il l’avait enveloppé d’une couverture. Avec des gestes précautionneux et des paroles douces pour ne pas l’effrayer, il l’avait amené aux écuries de l’ordonnateur pour le présenter au maître chinoziste Bortan.
Quand ce dernier avait découvert l’animal blessé roulé en boule dans la couverture, il avait ouvert des yeux stupéfaits : une robe de cette couleur, c’était incroyable. Tellement incroyable que c’était sans doute la raison de ses blessures : dans un troupeau de chinozens, c’était tout un camaïeu de gris que l’on admirait d’habitude, pas ce blanc presque bleu, surnaturel. Il avait du être rejeté par les siens, bousculé par d’autres pendant la cavalcade au-dessus de la citée, et c’était le hasard qui l’avait amené là, dans le petit jardin de la famille de Wendod. Le hasard, ou la chance.
Wendod, encore chérubin, avait demandé l’autorisation au maître de l’accompagner pour les soins à cette pauvre créature. Bortan n’avait pas pu le lui refuser : le petit chinozen s’enroulait sans cesse autour de la taille de l’enfant, décidé à ne pas s’en éloigner. Alors c’est Wendod qui l’avait pansé, nourri, lavé, soigné. C’est lui qui l’avait bercé dans sa couverture, quand sa patte brisée lui faisait mal. C’est lui qui lui avait réappris à marcher, puis à voler. C’est lui qui lui avait appris les mots-messages de la langue ancienne qui leur permettaient de se comprendre : Avolare, Celeritas, Serenus… C’est lui qui lui avait donné son nom : Kori. Et c’est Kori qui, en grandissant, lui avait permis d’intégrer la classe des apprentis chinozistes.
À cette époque, les parents de Wendod s’amusaient de cette amitié entre le chinozen et l’enfant. Il était le plus jeune apprenti chinoziste de la cité, et sous la protection de Bortan qui plus est. De quoi rendre fiers les plus blasés des parents. Même les filles de l’ordonnateur avaient du attendre le rite de passage des 64 saisons pour intégrer la classe des apprentis.
Quand ils volaient ensemble en rase-mottes au-dessus des toits de la cité, Wendod et Kori entendaient souvent leurs voisins leur lancer : « Que le chasseur de rêves vous porte au plus beaux d’entre eux ! »
Le chasseur de rêves. Le gardien des destinées. Le protecteur des missions.
Pour Wendod, chasseur de rêves, c’était presque aussi bien que maître chinoziste. Cela relevait de la même occurrence : pour lui, tout bonheur ne pouvait venir que des chinozens. Attraper un rêve, c’était aller au bout de ses souhaits les plus profonds et les plus purs, c’était atteindre la félicité, c’était réussir ce pour quoi l’ordonnateur nous a mis au service de la citée. C’était devenir maître chinoziste.
Chasser son rêve, et l’atteindre. Le chasseur pouvait l’y aider.
A quel moment le chasseur de rêve était-il devenu ce croque-mitaine effrayant ?
→ Chasser v.t. -1- Poursuivre (les animaux) pour les tuer ou les prendre. -2- Mettre dehors ; faire sortir de force.
Cela faisait maintenant une lune entière que Wendod était reclus dans sa chambre. Une lune qu’il n’avait plus vu Kori. Une lune que son chinozen avait été envoyé aux écuries de l’ordonnateur.
Wendod était passé par toutes les nuances de la douleur : le choc, la colère, la culpabilité aussi… Avec ses parents qui avaient pris l’atroce décision pour lui, il avait tout essayé : menace, marchandage, charme, promesse… Ils étaient restés inflexibles. Ils étaient persuadés de sauver l’avenir de leur fils, de lui offrir une vie meilleure, moins difficile, plus rangée. Éloigner Kori, c’était l’aider à renoncer à son désir déraisonnable. Le chasseur de rêves viendrait parachever le tout, annihilant le rêve de sacre en tant que maître chinoziste, abolissant sa passion, anéantissant son souvenir même de Kori.
Cette perte là semblait encore plus intolérable à Wendod. Kori faisait partie de sa vie, de son être. Il pensait devenir fou à la seule évocation de cet effacement. Mais il n’avait pas le choix. Le chasseur allait venir ce soir, juste après le crépuscule. Il n’y avait plus rien à faire.
Wendod s’assit sur le tapis, face à la porte-fenêtre qui ouvrait sur son petit balcon. C’est par là que le chasseur de rêves entrerait dans sa chambre, puis dans sa tête, puis dans ses rêves, pour arracher tout ce qui l’empêchait de répondre aux attentes de ses parents.
Il devait se résigner.
Oublier Kori.
Pour ne pas souffrir de son absence.
Petit à petit, il lui apparut que le chasseur de rêves était finalement la clé pour noyer son chagrin. En effaçant ses rêves, il lui permettrait de vivre sans souffrir de ne pas les avoir atteints.
La mort dans l’âme mais aspirant déjà à l’oubli libérateur, Wendod soupira avant de se redresser face à la fenêtre.
Le chasseur arrivait.
Wendod aperçut sa silhouette floue sur le balcon. Il s’approcha de la fenêtre, devenue miroir par l’éclairage de la chambre qui aspirait les couleurs de la nuit. Son reflet se superposa alors à la silhouette du chasseur, et par cette juxtaposition troublante, il eut la fugace impression de se voir lui-même de l’autre côté de la vitre. Un instant il contempla son image renvoyée, et c’est comme s’il se voyait, là, plus vieux, plus triste, plus… Résigné ? Il s’ébroua pour chasser cette vision et se ressaisir. Il ouvrit la porte fenêtre et laissa s’échapper la lumière de la chambre qui tomba sur le visage du chasseur de rêves.
Wendod blêmit.
Ça n’était pas un reflet.
Son propre visage le contemplait maintenant, son double, face à lui. Il entendit à peine le cri d’effroi sortir de sa bouche, et ses rêves s’enfuir avec lui, long filament de fumée presque translucide qui s’enroula autour de la tête du chasseur de rêves avant de disparaitre.
Photo : Christopher Campbelle – cc Unsplash
Alors il se passe que je commente les textes dans leur ordre d’arrivée… Et le texte précédent de Zu (le suivant dans le site, ils paraissent antéchronologiquement) m’a fait tirer toutes mes cartouches ! En effet, je pourrais presque copier-coller mes commentaires, du moins la partie qui explique, ce qui constitue à mon sens de la bonne ou de la mauvaise fantasy… pour dire qu’ici, cela me parait être de la bonne.
Pareil que chez Zu : on dirait un premier chapitre de roman ou de saga… Mais pas seulement : ce texte peut se suffire aussi en tant que tel, tant parce qu’il est bien structuré pour cela (cf : l’ajout des 2 définitions) que grâce à sa chute.
En effet, plus spécifiquement, je voudrais saluer – hormis l’imagination (on perçoit qu’il y a un monde cohérent et riche à découvrir —ou alors l’habileté stylistique et l’emploi des combines comme les mots inconnus, permet d’illusionner le lecteur !) la force, sinon la beauté des images (on a droit à un budget effets spéciaux 🙂 – images en tout cas délicatement, précisément et très bien rendues) – je voudrais saluer, donc (je reprends ma phrase, ouf), le fait que ce texte esquisse en outre une forme de leçon, de réflexion morale philosophique ou poétique. Et c’est très joli… ou épouvantable. Le chasseur de rêves, ce serait donc soi-même ? Quelle horreur… Heureusement : on sait que ce n’est pas vrai, que c’est toujours la faute des autres.
Bon, pareil que pour Zu, il y a de la demande maintenant : il va lui arriver quoi à Wendod ? Et un chinozen c’est comment vraiment ? Et va-t-il récupérer ses rêves ? Et il en fait quoi le double maléfique des rêves qu’il rapte ? Récupérer ses rêves, est-ce la quête de Wendod pour les 35 volumes à suivre ou est-ce seulement sa faille de héros, de les avoir perdus… ? Faille qui va le gêner dans le cadre d’une autre quête ? (Ou est-ce que dans la grande quête qui n’a rien à voir, il va du coup et tant mieux, récupérer ses rêves sans les avoir cherchés ?). On s’interroge. En tout cas, il y a du potentiel posé,… Alors au boulot ! On attend là aussi les 20 volumes de la saga et l’adaptation sur Netflix. 🙂
(A noter justes quelques répétitions (par ex : cité…). Un léger repassage sur le texte, et ce serait simplement parfait !).
L’original du chasseur de rêves, par Milorad Pavic, > est là. (Strictement différent !)
Réponse tardive post-fête (option casque à boulons) : merci pour ce commentaire Francis, je vais effectivement m’atteler à la réécriture pour éviter les répétitions. Comme d’habitude j’ai attendu le dernier moment pour écrire, entre ma procrastination maladive et l’organisation des fêtes, c’était pas gagné !
Pour la structure de ce texte, je me suis rappelée de mon sujet du bac français (ça ne nous rajeunit pas tout ça ma brave dame), un truc du genre : « expliquer en quoi l’écrivain est un enchanteur, en tenant compte des différents sens de ce mot ». J’ai repris le fonctionnement pour le mot chasseur, qui peut à la fois signifier une recherche pour collectionner, atteindre, mais aussi pour tuer, détruire… La structure du texte était toute trouvée (de même que ma rédac’ pour le bac, youhou !). Je me suis également appuyée sur vos remarques, Francis, concernant les textes d’autres ateliers, pour la temporalité du récit, avec un retour en arrière avant un bon dans le futur, histoire de ne pas être trop linéaire.
Pour répondre à vos questions, dans le désordre : un chinozen, c’est un peu comme un galéburien, mais en plus doux et grand. Voilà.
Blague à part, je l’ai imaginé comme un dragon très fin avec des toutes petits pattes (style crocodile sans les écailles et avec des ailes), ou un serpent ailé assez épais et pas très très long, avec en prime une face aplatie, une fourrure toute douce et soyeuse et des oreilles tombantes, m’voyez ? Non ? Ben moi non plus, en fait…
Wendod va évidemment tout faire pour retrouver Kori, enfin en tout cas pour retrouver quelque chose qui lui manque atrocement sans qu’il ne sache de quoi il s’agit, forcément, et ça va bien lui prendre 2 ou 3 volumes, surtout qu’il va falloir en passant renverser le système féodal et limite dictatorial mis en place par l’ordonnateur, système qui va jusqu’à modifier les souvenirs, donc, et par là le caractère même des gens (proposition de sujet pour le bac philo : nos souvenirs construisent-ils notre personnalité ? Vous avez 3 heures). La question qui se pose, c’est bien sûr (si, si, je sais que vous y avez pensé) : en effaçant Kori des souvenirs de Wendod, le chasseur de rêves a-t-il également effacé tout lien entre eux, et donc Wendod de la mémoire de Kori ? Et comme la réponse est non (je vous donne la soluce, on n’a pas 3 heures non plus…), comment Kori va-t-il évoluer sans Wendod, et va-t-il partir de son côté à sa recherche (alors qu’il est plus ou moins prisonnier des écuries de l’ordonnateur) ? Pourquoi, pourquoi tant de question sans réponse ?!
La suite au prochain épisode.
Merci en tout cas pour ce thème, je me suis régalée !!!
Bon, je ne sais que dire après cette réponse fleuve. Je vois en tout cas que vous vous posez une question sur la fin qui vient naturellement : celle de « l’arc narratif » cher aux auteurs de séries (c’est pas le tout les rebondissements et aventures à chaque épîsode, elle raconte quoi cette histoire au final ? ». Vous êtes bonne, après les 20 tomes, aux 5 saisons de 9 épisodes. Négociez bien les droits…
J’ai beaucoup aimé cette histoire, il me semble seulement que le chasseur de rêves ressemble trop aux détraqueurs de JK Rowling et franchement, je suis sûre que c’est une ressemblance dont vous pourrez facilement vous affranchir, votre imagination n’a pas l’air d’être en vacances!
J’espère que vous ne prendrez pas ça mal et que j’ai le droit d’écrire ça, le reste est super!
Je n’avais pas pensé à ce genre de chasse, ni à ce genre de rêve…
En quelques lignes, vous nous avez transporté sur le dos de Kori, dans le monde des chasseurs de rêves et maîtres chinozistes…
Et très vite on y est ! On y croit !
Cette petite réflexion philosophique fait froid dans le dos… Et j’ai apprécié le contraste entre la magie de la chevauchée et la scène finale… On en sort horrifié !
En deux mots, j’ai beaucoup aimé.
J’aurais bien demandé un chinozen pour noêl…
Dommage, trop tard ;)s
Salut Seco,
Vu que je m’y prends après tout le monde je ne vais pas avoir de l’inedit a raconter. Les décors sont biens plantés, le monde a découvrir également. La fin m’est totalement énigmatique et me donne clairement envie de savoir plus! J’ai oublié l’auteur derrière le texte…le temps d’une nouvelle…
Bonsoir, et merci pour vos retours !
C’est marrant Madeleine votre commentaire m’a ouvert les yeux : je n’avais pas pris conscience de la ressemblance entre le chasseur de rêves et les détraqueurs d’Harry Potter, mais maintenant que je vous lis… Bon, le chasseur de rêves est quand même moins flippant, dans son apparence en tout cas, mais le filet de fumée est à modifier sans doute. Merci !
Eevlys, n’ayez pas de regret : je n’ai pas parlé du régime alimentaire des chinozens, ni des soins à leur apporter, je vous assure que ça vous passerait l’envie d’en adopter un…
Le hic, c’est que maintenant j’ai VRAIMENT envie d’écrire la suite, alors que tant d’autres projets m’attendent… :p