Quand Maeva a demandé à Manon ce qu’elle avait pensé de Tristan, elle a juste répondu : « Non mais quel crétin ! » avant de changer de sujet. Vexée, Manon. Et déçue aussi. C’était lui, le beau gosse du lycée avec lequel Maeva pensait la caser ? Même pas en rêve. Parce qu’il a beau être super mignon, ça ne fait pas tout. Manon rêvait du prince charmant version 2.0, sans cheval blanc mais avec de la classe. Pas du swag, hein. De l’élégance. De la délicatesse. Et au lieu de ça, elle avait eu le droit à quoi ? A une pauvre vanne moisie sur son pull. Comme ça, d’entrée de jeu. Les trois mecs, Alexis le frère de Maeva, Tristan et un autre pote, étaient arrivés près de la fontaine où elles les attendaient et après deux bises maladroites, voilà le joli cœur qui lui balance d’un coup : « Wah trop classe ton pull ! Avec ça t’es sûre de gagner le concours du pull le plus moche de la région ! » Alors OK Manon n’était pas au top de la classe avec son vieux pull raccommodé brodé d’un écusson doré has been (elle en avait d’ailleurs voulu à Maeva de lui faire rencontrer THE Tristan à l’improviste alors qu’elle n’avait que ça sur le dos) mais zut quoi, comme méthode de drague, zéro le mec… Bon. Encore raté pour le prince charmant, quoi. Next !
« Non mais quel crétin ! » Tristan se serait collé des baffes. Les filles venaient de partir, et avec elles toute son assurance. Alexis lui avait tellement mis la pression aussi, à lui parler de Manon, apparemment une sorte de mix entre Chloë Grace Moretz et Emma Watson, rien que ça. Forcément, quand il s’est retrouvé en face d’elle sur la place du village avec les deux crétins qui ricanaient derrière lui, il a craqué. S’il avait fait son lover, sûr que les autres l’auraient chambré après au lycée. Il a vu cette fille assise sur le rebord de la fontaine à côté de Maeva, jolie, avec un p’tit air mutin terrible qui contrastait à fond avec son regard sérieux, et il s’est trouvé con. Il a buggé. Fallait qu’il dise un truc. Vite. Et c’est sorti tout seul. Le coup du 1er prix du pull moche. Mais quel naze… Il a vu dans le regard de Manon à quel point il venait de loser sévère. Il n’a pas fallu plus de 5 minutes aux filles pour trouver une excuse et partir. Et maintenant, quoi ? Il n’allait quand même pas lui balancer une demande facebook après ça. Et demander son numéro à Maeva par le biais de son frère, pas moyen. Trop la honte. Trop peur du râteau surtout. Alors qu’elle lui plait vraiment, en plus, cette fille. Faut vraiment qu’il trouve un truc, là…
Dimanche à l’occasion de la brocante de l’école Jacques Prévert gérée par l’association des parents d’élèves, le comité des fêtes de Lapérole-sur-Cousance a organisé un « concours régional du pull moche » qui a été remporté par Mme Genevieve Fauchet avec un pull qu’elle a tricoté en 1964.
Tristan a mis sa grand-mère dans le coup. Il avait eu le sarcasme idiot, certes. Mais il y avait peut-être moyen d’arranger le coup, et de faire de la raillerie un clin d’œil. Mamilie faisait partie du comité des fêtes du village, et son sens de l’humour décapant ne pouvait qu’adhérer à cette proposition de concours de pull moche. Pour faire la promo de l’évènement, Tristan a sorti le grand jeu : affiches, tracts, contact de la radio associative… Le stagiaire journaliste avait trouvé ça drôle, il lui avait proposé une petite interview. Tristan en avait fait des tonnes en mode funky-sympa, relatant l’histoire du « pull moche croisé sur une jolie fille » à l’origine du projet. Il n’y avait plus qu’à ameuter tous les copains sur les réseaux sociaux, en jouant la carte du fun et du buzz. Facile. Le message avait circulé de portable en portable plus vite que Flash Gordon. Et, bien sûr, Tristan avait vérifié que Alexis et Maeva diffusaient bien le lien de l’interview sur leurs pages respectives. Manon le verrait forcément. Restait à espérer qu’elle lui laisserait une chance.
Le jour du concours, l’ambiance était familiale et festive. Tristan s’était pris au jeu de l’organisation. Il papillonnait dans la salle des fêtes en prenant en photo tous les concurrents, s’extasiant des couleurs flashy et des motifs ridicules, félicitant les propriétaires des pulls les plus surprenants. L’appareil photo vissé à l’œil, il mitraillait et s’amusait comme un fou.
Dans le viseur, il a d’abord reconnu l’écusson doré. Il est remonté lentement le long des mailles distendues jusqu’au col. Et encore au-dessus, le sourire de Manon. Bim. Son 1er prix…
Par Sécotine
Sécotine nous propose ce mois-ci un texte assez « frais », léger, mais bien incarné. C’est typiquement le genre de texte pour lequel l’équilibre est délicat à trouver, ne pas verser dans le « trop léger », « trop anecdotique » au détriment de vrais personnages bien campés. Et je trouve que Sécotine a su trouver cet équilibre. Le côté un peu rocambolesque du concours que l’on fait exister a postériori pour rattraper un foirage amoureux m’a semblé très tendre et j’y ai cru. Autre choix pas si simple : l’adolescence, en faisant le choix d’une langue qui pourrait correspondre à cette période de la vie, pour faire coïncider fond et forme du texte. Là encore, je trouve que Sécotine gère plutôt bien ce choix. Nous avons donc à l’arrivée un texte « positif » -Ce n’est pas si courant quand on met en scène des ados, et c’est bien chouette !- plutôt bien équilibré, assez « visuel » (on pourrait assez bien le voir en scénario de BD, je trouve, par exemple), qui nous embarque dans une chouette énergie.
Tu n’aurais pas envie, Sécotine, de tenter des narrations différenciées de chaque partie ? Un « Je » Manon, puis un « Je » tristan, puis peut-être seulement une narration extérieure pour la partie « concours » où il se croiseront ? Il me semble que ça apporterait encore plus de « personnalité » à ton texte. Tu pourrais de la sorte travailler des choses moins « uniformes » dans le ton, le phrasé, de chaque partie. Tel quel, ton texte fonctionne bien, c’est fluide, pas de soucis. Mais du coup, on a envie de tenter d’aller encore un peu plus loin… 🙂
Merci pour ton retour Gaëlle, tes commentaires sont précieux, et je m’y retrouve tout à fait ! J’avais d’ailleurs commencé à parler à la première personne, en prenant d’abord la place de Manon puis celle de Tristan, mais je n’arrivais pas à les distinguer suffisamment dans le style, le vocabulaire… Ça me plairait bien de retenter !
Encore une fois la limite des 4500 caractères m’a énormément frustré, même si c’était un travail plus qu’intéressant de synthétiser tout cela sans tomber dans les détails ineptes. Mais j’avais tant à dire sur ce pull, son histoire, sur les rapports entre Tristan et sa Mamilie, sur le comité des fêtes de Lapérole-sur-Couzance… Tes oreilles ont du siffler !
Et, pour celles et ceux qui en douteraient, le concours du pull moche existe bel et bien, il s’agit même d’un championnat international (carrément !) : http://www.bfmtv.com/societe/albi-va-accueillir-le-premier-championnat-du-monde-du-pull-moche-1262603.html
Je suis bluffée, ce concours existe vraiment? Sûr, c’est parce que Manon et Tristan avaient quelque part raté leurs débuts!
C’est vrai que 4500 caractères c’est très frustrant. Alors c’est le moment d’en sortir. Moi, je veux bien relire quelque chose de différent sur ton idée, je la trouve super…
Enfin! Enfin l’une d’entre nous a su partir du sujet « faits divers » pour aller vers quelque chose de drôle, léger. J’ai souri tout au long de ma lecture, d’autant plus que le RV à la fontaine me rappelle une lecture récente. C’était alors dans ce roman un détail et c’est super, tu l’as développé!
Merci pour cette tranche de bonne humeur et de personnages attachants, sur un ton drôle et léger ! Encore une histoire de petit-fils et de grand-mère 😉 Décidément, ces liens sont importants… Je comprends que tu aies été arrêtée par les 4500 caractères, tu avais sans doute encore de quoi faire avec tous ces personnages !
Comme tu le dis, Sécotine, les 4500 caractères, c’est frustrant, mais c’est un sacré boulot intéressant quand même ^^ (je persiste et je signe, j’assume tooooootalement 😀 )
Ah mais toutafé ! C’est un exercice difficile mais enrichissant, cette limite, ça oblige à la concision, moi qui suis aussi bavarde à l’écrit qu’à l’oral : il faut élaguer, ajuster, choisir sans renoncer… C’est très riche ! Mais j’aime bien me trouver des excuses (ça s’est vu ?).
Je suis bien d’accord, c’est super cette contrainte de 4500. Surtout que je n’avais pas idée avant cet atelier de ce que représentaient 4500 signes, et que finalement, ça pousse à chercher la formule qui va bien et qui dit tout en peu de mots ! Mais comme toi Secotine, je suis bavarde, alors c’est particulièrement intéressant !
Qu’elle est cute ton histoire !
Moi j’y ai cru à fond, je suis retombée en adolescence
Décidément j’adore vous lire tous