Bon. La porte est fermée. Et moi je suis du mauvais côté. Enfermée dehors.
Merde.
Saloperies de clés. A moins d’un mètre de moi. La petite table de l’entrée. De l’autre côté de la porte. Fermée.
Re-merde.
Pas moyen de joindre Steph pour qu’il rentre plus tôt. Evidemment. Saloperie de téléphone qui n’a plus de batterie.
Re-re-merde.
Listing n°1 – Je suis dehors. Plus de bus. Steph injoignable. Mille choses à faire.
Conclusion : ça craint.
Re-re-re-merde.
J’ouvre un oeil : y’a pas moyen de dormir tranquille ici. L’humaine d’à côté a décidé de gâcher ma cinquième sieste de la journée, une de mes préférées… Elle est fatigante celle-là. Elle prend son sac, elle le repose, elle le reprend, elle fouille dedans, le pose à nouveau… Rien qu’à la regarder, j’ai envie de piquer un roupillon.
Pfiou… Les humains…
Petite victoire ! Le portillon du jardin est ouvert. Je peux attendre sur la terrasse. Tiens, en profiter pour m’occuper du jardin. Toujours ça de fait. Vais pas rester là à ne rien faire.
Merde. La porte du cabanon est fermée. Genre on va nous piquer un sécateur ? Steph et sa parano… Saloperies d’habitudes d’urbain ! Au moins, les chaises de jardin ne sont pas cadenassées. Super. Une chaise, mon agenda, un stylo. Si seulement j’avais pensé à recharger mon portable au bureau ! Là, à part faire la liste des trucs à faire… Et sans pouvoir rien faire justement. Saloperie de tête de linote !
Listing n°2 – Trucs à faire : 1000. Trucs à faire ne nécessitant ni internet ni téléphone, ni accès au cabanon ou à la maison : 0.
Conclusion : ça craint.
Merde. Merde, merde, et re-merde !
« Tiens, c’est pas la nouvelle voisine, là ? Qu’est-ce qu’elle fait à tourner comme ça dans son jardin ? Et que je te déplace la chaise, et que je me relève, et que je te retourne mon sac part terre… Je vais te dire, elle me fait de la peine cette petite. Regarde ça. Elle est toute palote, la mignonne. A mon avis, elle se repose pas assez. Elle doit pas savoir comment faire. »
- Rester zen. Y’a qu’à penser à des trucs cools, tiens, ça va me passer le temps de manière agréable.
Les vacances, c’est bien ça, les vacances.
Faudrait qu’on se décide à réserver pour cet été. Je suis sûre que Steph va encore me dire de choisir toute seule ce qui me ferait plaisir. Et c’est moi qui vais me taper tout le boulot d’organisation. Comme d’habitude.
Tout ça pour payer la peau des fesses une semaine de location hors de prix pour aller faire la crèpe sur la plage et se retrouver rouge écarlate. La mer, quelle saloperie.
Oh et puis merde, j’en ai marre tiens. J’vais dormir, ça fera passer le temps plus vite, et ce soir je serai en forme plus longtemps pour m’occuper de tout ça.
Ras-le-bol de ces réunions qui finissent toujours à pas d’heure ! Je vais encore rentrer en retard. J’espère qu’Agnès ne va pas faire la tronche… Déjà qu’en ce moment elle est tout le temps à cran… Faudrait qu’on se prenne un moment tous les deux. Même juste un week-end, tiens. Sans rien à faire. Juste se reposer, au calme. Ca nous ferait du bien. Ca lui ferait du bien.
Il est joli cet arbre, tiens. J’avais jamais remarqué qu’il faisait des petites fleurs roses. Faudrait que je demande à la voisine ce que c’est, comme arbre, elle doit savoir ça, elle. Elle est tout le temps là le soir, assise sur son banc face à son jardin avec sa tasse de thé.
Elle a mis un système d’arrosage automatique. C’est assez hypnotique ce truc. Pcht, pcht, pcht et tourne. Pcht pcht pcht et tourne. Je ferme les yeux, ça fait un joli bruit, régulier, comme des pulsations. Avec les chants d’oiseaux, c’est parfait. J’avais pas remarqué qu’on les entendait si bien ici. Et le vent qui souffle dans les branches. Il ne manque plus que… Hey, salut toi ! Qu’est-ce que tu fais là, mon minet ? Tu viens d’où ? T’as l’air tout doux… Tu veux une place sur mes genoux ?
– Oh bonsoir Madame… Madame ?
– Appelez-moi Simone mon petit. J’ai fait du thé, je vous en ai préparé une tasse. Tenez. Y’a rien de mieux qu’une bonne boisson chaude au calme dans son jardin. Ah ! Fripouille est avec vous ! C’t’un gentil chat, il est câlin, mais faites attention il perd ses poils !
– Merci … Simone. Moi c’est Agnès.
Simone lui sourit et lui tend la tasse de thé par dessus la haie, avant de retourner s’installer sur son banc.
Steph est rentré, surpris de trouver la porte fermée. Encore plus de découvrir Agnés contemplative sur la terrasse, soufflant sur sa tasse de thé.
« Ah… Le moment est venu de ronronner un coup » pense le chat.
« J’aime beaucoup ce thé » pense Simone.
« Elle est belle quand elle sourit, mon Agnès » pense Steph.
Agnès, elle, ne pense à rien.
Et c’est bien.
par Sécotine
Sur mon blog (oui, j’ai un blog, ça arrive à des gens bien), je me définis comme « orthophoniste, bidouilliste, écologiste, féministe et autre trucs en -iste, mais pas triste ». Ce n’est pas totalement éloigné de la réalité, être plus honnête aurait été moins vendeur. Ceci dit, je ne suis pas à vendre, sauf à coup de fraises tagada et de tarte au maroilles, mais pas les deux en même temps, faut pas pousser.
Voilà un joli texte très « actuel », un genre de réflexion sur la vie « à cent à l’heure » que beaucoup de gens mènent à l’heure actuelle, et sur le besoin, parfois de s’en extraire. Ici, Agnès y est contrainte par une maladresse (peut-être un acte manqué ?) qui dans un premier temps, l’agace fortement, puis elle parvient en quelque sorte à « lâcher-prise », fait contre mauvaise fortune bon cœur, et profite de ce moment pour ne plus penser à rien. Ce calme durement gagné est contagieux : on ressent assez bien ce relâchement, aussi physique que moral, de l’héroïne. Et on suivrait bien le même chemin qu’elle ! (elle a raison, Simone, une boisson chaude dans son jardin, c’est quand même le début du bonheur)
La narration s’attache à de petits détails assez signifiants, et on note le glissement de l’accumulation de détails agaçants (la batterie vide, le cabanon fermé…) vers des détails plus légers (les jolies fleurs de l’arbre, le chant des oiseaux…).
Il me semblerait en revanche judicieux de réfléchir plus précisément à l’utilisation des différentes « voix » dans ce texte. Le chat, puis Stéphane, parlent en off. Au début, c’est un texte au « je », à la fin un texte avec un narrateur extérieur. Il y a aussi le dialogue avec Simone. Je me demande si ça ne fait pas trop de points de vue de narration pour un texte court. Par exemple, je ne suis pas sûre qu’il soit vraiment nécessaire d’utiliser le procédé de « voix off » avec le chat. Agnès pourrait simplement mentionner qu’il la regarde avec un air atterré devant son agitation, on repasserait ainsi dans un point de vue qu’on a déjà sans les multiplier… Ou alors, l’avis de Stéphane pourrait n’intervenir qu’à la fin, lorsque le texte précise qu’il la trouve belle (« elle est belle, mon Agnès, quand elle sourit, pense Steph. Il faudrait vraiment que l’on se prenne un temps tous les deux. On est à cran, en ce moment », par exemple). Bref, à réfléchir.
J’ai apprécié le rythme de la narration menée également sur un ton d’une agréable fantaisie. La multiplicité des points de vue m’a un peu gênée: j’ai eu besoin de de deux lectures avant d’être vraiment dans le bain.
idem, j’ai du m’y prendre à deux fois pour comprendre les différents points de vue . Néanmoins j’ai bien apprécié la fraîcheur de ton texte et la réalité à laquelle il nous rappelle (surtout en cette fin d’année où j’ai l’impression de courir sans cesse)!
j’ai beaucoup aimé le style de la narration, les retours à la ligne, l’énumération des actions
Après j’ai aussi eu du mal à suivre avec les différents points de vue… J’ai beaucoup aimé l’intervention du chat, sa perception du temps qui passe est différente de la nôtre,son sens des priorités aussi
Je vous remercie pour vos retours !
Comme d’habitude , j’ai été bloquée par la limite de caractère. Je suis aussi bavarde à l’écrit qu’à l’oral, et mon premier jet faisait… 9200 signes environ !
Alors évidemment, comme je n’ai pas voulu / su le remanier totalement, il y a eu des pertes et des erreurs en le raccourcissant pour arriver à 4500 signes (même que j’ai quand même un peu dépassé la limite, mais Gaëlle est gentille !).
De ce fait, je me suis plutôt concentrée sur la manière de parler d’Agnès : des phrases très courtes, parfois à la syntaxe hasardeuse au début, comme si elle n’avait même pas le temps de penser calmement, et à la fin des phrases plus longues, construites avec plus de précision et d’attention, pour rendre compte du temps qu’on a, qu’on prend… Mais le travail des autres intervenants, ça, j’aurais du le reprendre complètement ! J’essaye d’y repenser d’ici la fin de la semaine. 😉