Dire que dans quelques heures, je serai Madame O’Mahony ! Ca en jette sacrément plus que mon Raulo breton familial. Je m’entraine même à ma nouvelle signature depuis des semaines. Et je murmure du bout des lèvres « Sophie O’Mahony » pour me mettre en bouche ce futur nom d’épouse en rythmant ma marche à la sortie du métro. Une vraie gamine quoi.
En ce matin d’avant cérémonie, entourée de mes témoins- meilleures amie et de maman, je me figure une comédie américaine. Les poncifs du genre sont réunis et pourtant ça me plait : La larme à l’oeil de ma mère qui arrange mon voile, les cris enthousiastes des copines quand j’enfile ma robe, la nuit précédente séparée de mon cher et tendre.
Je pensais être davantage sur les nerfs. Mais finalement, après tous ces mois où je me suis démenée pour organiser ma noce idéale, je baigne, sereine, dans un sentiment de contrôle béat sur cette dernière ligne droite. Papa dit que le diable se cache dans les détails. Hé bien, il peut retourner rôtir chez lui, ils ont tous été réglés hier. Merci la super To Do List et mon organisation serrée.
Il ne me reste plus qu’à profiter de cette journée charnière de ma vie de femme. Je n’en avais pas particulièrement rêvé gamine pourtant. Mais après quelques douces années partagées avec Benoît, j’ai eu envie de passer le cap. Je l’ai même joué moderne, femme libérée. La tête qu’il a fait quand il est rentré, l’appartement éclairé de partout à la bougie et que j’ai posé mon genou à terre. Je peux encore revivre la vague de chaleur cotonneuse qui m’avait enveloppée, blottie au creux de son cou quand il m’a répondu OUI.
Je savoure chacune des étapes de cette matinée. Moi d’ordinaire si impétueuse, j’aime son déroulé codifié. Je ne suis pas pressée. Encore quelques minutes, et on embarque dans la voiture d’Alix avec ma super team . Peut être pourrait on pousser jusqu’à suivre la coutume des klaxons? Je veux attraper son regard quand il me découvrira à l’entrée de la mairie au bras de papa. Et s’il laissait échapper une larme tellement il me trouve belle?
Le fils de pute.
Le putain de fils de pute.
Il n’y a pas d’autres mots qui puissent sortir de ma tête.
Ca tourne en boucle. Ma cervelle est bloquée sur pause. C’est ça l’état de choc? la stupeur?
Avoir la mâchoire verrouillée à s’en exploser les molaires? Haleter comme un poisson sorti du bocal? Voir et revoir la même scène sans avoir autre chose en tête que des insultes? Refaire le film des jours qui précédent pour trouver la faille? Avoir la gorge tellement nouée qu’aucun sanglot ne peut même affleurer? Ne pas pouvoir quitter des yeux mon reflet pathétique dans le miroir.
Elle est belle la Pas Mariée avec son mascara qui dégouline sur sa robe à 3000.
Et tous les proches qui m’entourent, me cernent de leur regard plein de pitié, sans savoir quoi dire.
Qu’est ce que tu veux qu’ils trouvent? Je voudrais leur hurler à m’en arracher le larynx de se barrer, de me foutre la paix, de me laisser crever dans ma suite nuptiale de merde.
Au premier NON à la mairie, j’ai crû qu’il voulait la jouer original, genre happening. J’ai même pensé à un flash mob qui allait débarquer. Et le maire de reposer la question. Et cette loi à la con qui demande 3 refus pour invalider la cérémonie, ben c’était pour ma gueule. Le happening de compétition : Les 3 non qui m’ont piétiné devant ma famille, le silence de 15 tonnes qui s’abat et me foudroie comme un écho rance qui confirme que je ne rêve pas , l’atmosphère qui devient poisseuse. Tout ça s’est infiltré en moi, je le ressens jusque dans mes veines, le poison de l’humiliation et de la déception.
Le chien, le bâtard.
Oh il est bien élevé hein, il m’a quand même glissé un misérable « j ‘suis désolé, j’y arrive plus » en me caressant la joue comme à un pauvre clebs qu’on va piquer. J’ai même pas eu l’idée de lui éclater la sienne de joue. J’aurais du lui arracher les yeux, lui lacérer la tronche, le rouer de coups.
3 non, ses excuses de merde, et tranquille le mec s’est barré avec les siens. Je ne sais pas combien de temps je suis restée figée dans cette salle, ni comment j’ai regagné la suite.
Qu’est ce qu’ils ont tous à regarder par la baie vitrée en contre bas? Pourquoi y’a de la lumière dans la salle de réception? Qui a balancé de la musique?
Comment on se remet de ça? D’avoir vécu avec un inhumain capable d’utiliser le traiteur, le Dj et les caisses de vin parce que, quand même, « c’est payé de toute façon, on va pas tout laisser se perdre »
Comment je vais faire pour ne pas détester l’univers? Et ne pas devenir une Raulo aigrie?
(inspiré d’une histoire vraie racontée par une créatrice de robes de mariées.)
Par Schiele
Voici un texte en deux temps, qui joue à fond, et assez bien, l’opposition entre ces deux moments. Nous avons d’abord la première partie, « l’avant » mariage : avec force références à des images d’Epinal, Schiele nous brosse une situation « parfaite », exactement comme elle devrait être dans la tête de son héroïne, maîtrisée, limite « conte de fées ». C’est presque caricatural, volontairement je pense : rien qui dépasse, pour bien nous faire miroiter la perfection… et pour mieux, aussi, nous préparer à la chute. Car ce qui est trop parfait en écriture est rarement amené à durer, alors on se demande rapidement ce que cache ce début de texte un peu « trop ». Et de fait, comme le dit l’expression, « plus dure est la chute ». J’aime énormément, à titre personnel, les deux phrases de rupture : « le fils de pute. Le putain de fils de pute. », qui cassent la narration exactement comme il le faut : deux phrases courtes après du long/langoureux. Un niveau de langage clairement ordurier après les fleurs et les jolis mots. De la colère après le tourbillon de douceur… Bref : tout y est. Et la suite, cruelle, mais (j’ai mauvais fond, il faut croire) drôle aussi, prend le contre-pied total avec le début du texte. Du coup, l’ensemble change de perspective, ça devient mordant, grinçant, assez « humour noir » au fond, jusqu’à la chute cinglante et totalement hors-conventions. Et comme j’adore l’humour noir… J’ai aimé ça !
Je me demande, Schiele, si pour casser encore plus la narration, et renforcer l’effet, je ne passerai pas la parole à quelqu’un d’autre, en deuxième partie. Tu pourrais raconter à peu près la même chose, mais ça serait un nouveau « je », par exemple une témoin-meilleure-amie qui parlerait, qui serait avec elle. Je pense que tu gagnerais en cohérence, parce que tu évoques de la sidération, etc (ce qui est bien vu dans une situation pareille), mais du coup ça fait bizarre qu’elle soit capable de raconter « aussi bien » quand même, à chaud, de manière aussi fluide. Par ailleurs, ça te permettrait d’introduire dans la narration quelques petites « piques », genre l’amie, si ça se trouve, elle le sentait pas, le mec, ou je ne sais quoi… Pis sa demande en mariage inversée, elle a trouvé ça naze, parce que encore une fois, le mec, il n’a rien fait, rien initié… Ou que sais-je. Du coup, avec un autre point de vue, tu pourrais « déconstruire » bien davantage l’espèce de conte de fée de la première partie, montrer l’envers du décor. Peut-être même, pour boucler définitivement le mordant de ton texte, que l’amie, elle pourrait finalement être contente pour la non-mariée que ça ne se soit pas fait… va savoir… !!!
argh quel cauchemar haha. Mon 1er réflexe: heureusement que je ne me suis jamais mariée dis donc et que j’aime pas tout ce bazar rose et parfait! Puis au « fils de pute » j’ai éclaté de rire! Un petit goût de 4 mariages et un enterrement. Bon, pas de baffe, ici… Une petite? Pour aller avec la bordée de jurons intérieurs? L’idée de la meilleure copine est alléchante. Fan de ton humour noir
J’adore la transition entre les deux parties du texte aussi !!! Et je trouve encore plus cruelle la fin ! Le gars fait quand même la fête pour pas gâcher ! Cela rajoute vraiment un plus à ton texte, du genre deuxième effet kiss cool jubilatoire. Vive le cynisme de Schiele et vive son écriture nerveuse et efficace !
J’aime aussi la rupture, le rythme, l’écriture, on y est!
J’ai adoré la rupture de style entre les deux parties du texte. C’est très bien vu. Bravo!
Tu m’as bien eu, Schiele! La rupture est très réussie. Même peut-être un peu trop pour moi. Je me suis vite laissée bercer par la narration douce et fluide de la préparation du mariage. Puis arrive le « fils de pute ». Je me rappelle avoir pensé : « Quoi! Quoi! Qu’est-ce qui se passe? » et avoir accéléré ma lecture au point presque de manquer quelques mots. Un vrai petit chat ronronnant au chaud sur un douillet canapé à qui ont à balancé un seau d’eau glacé. La suite est alors dure et amère allant parfaitement avec mon état de réveil au abois.
Je dois avouer que je n’aime pas les gros mots. Leur violence est comme une gifle pour moi. Mais c’est cela qui a fait que ça a marché pour moi. Mais peut-être que le « Le chien, le bâtard » est de trop.
J’adore l’image du chat ronronnant qui se prend un saut d’eau glacée: ça m’a un peu fait ça aussi 😀
c’est exactement ce que la non mariée a du ressentir, ce » quoi quoi qu’est ce qui se passe ???? » et tout d’un coup être complètement angoissée et nerveuse et tremblante. On suit la femme dans ses pensées et dans ce basculement totalement imprévu