Pour une fois ce n’est pas la sonnerie du réveil qui m’arrache des bras de Morphée.
Pour une fois, je n’ai pas besoin de coller ma tête sous l’oreiller pour atténuer le strident signal d’une nouvelle journée qui commence.
C’est la lumière du jour qui aujourd’hui me réveille.
En cette fin d’automne, à quoi bon fermer les volets.
Dans un sursaut je me redresse. Si c’est la lumière qui me réveille, alors il fait jour, alors la matinée est bien avancée, je vais donc être en retard.
Coup d’oeil rapide vers l’écran du pourfendeur de rêves : 4 heures 32 en gros chiffres rouges vifs.
4,3,2 partez! Comme un décompte implacable avant la course du quotidien.
En fait les chiffres clignotent. Encore les plombs qui ont sauté. Ma meulière est pleine de charme, son réseau électrique hors d’âge et instable beaucoup moins.
Confirmation qu’il n’y aura pas de rab de sommeil, que cette lueur laiteuse est bien un appel à sortir du lit et affronter le froid humide de rigueur.
Comme d’habitude depuis quelques mois , je ne suis pas seule dans mon lit.
Le constater me fait vibrer à chaque fois.
Il est comment celui d’hier soir déjà ?
Je relève délicatement la couette : ah oui un blond cendré. Joli dos en V. C’est tout ce que je parviens à apercevoir ; il dort profondément, le nez dans le matelas. Son visage est certainement à la hauteur du corps athlétique, maintenant que je ne fais que dans le haut de gamme. Malgré les dernières incohérences temporelles, cette pensée me ravit et fait revenir instantanément le calme dans mon esprit.
Je soupire de plaisir en m’étirant, féline. Et scrute mes longues jambes maintenant si fines et si galbées. Puis pose les mains sur mon ventre. Ferme. Les passe le long de mon visage et mon cou, plus de goître, enfin des contours.
Il est loin le temps où « Quand vous m’embrassiez à l’abri des regards je savais pourquoi, pour pas qu’on puisse nous voir. Alors je fermai les yeux à m’en fendre les paupières pendant que pour guetter vous les gardiez ouverts ». Personne mieux que Bénabar n’a su raconter ce que c’est d’être la moche. Ca ne m’a pourtant pas consolée. Ca a juste mis des mots sur mon calvaire discret.Et l’a rendu encore plus vrai et pesant. Me sentir comprise n’a jamais allégé la peine.
Elle est loin la grosse Sonia qui ne pouvait être que rigolote.
Contempler mon nouveau corps me procure toujours ce mélange de joie victorieuse et de rancoeur aigre. J’entends encore l’écho des moqueries devant mon souffle court et ma foulée de pachyderme en endurance. Je peux encore sentir le goût salé de mes larmes de rage et de honte après le cours de piscine. Quand je devais passer boudinée dans mon maillot devant le groupe des garçons qui se dépechaient de se déshabiller pour être prêts avant les filles. Pour examiner nos corps en mutation. Chaque semaine la même humiliation. Et revivre le désespoir sourd de l’amoureuse qui sait que jamais son Yvan adoré ne pensera à elle autrement que comme une confidente.
Une opération, beaucoup de sacrifices, du sport, des mets auxquels j’ai renoncé. Mon nouvel estomac ne me les permet plus. Pour toujours. J’ai changé du dehors. Les regards des hommes aussi. J’y ai découvert un intérêt, un éclat soudain. Dorénavant, je sais ce que c’est d’être une proie désirable. J’en use et en abuse. C’est mon nouveau quotidien.
Prise dans mes considérations, je ne sais toujours pas quelle heure il est. De combien, je suis en retard. Et comment je vais expédier ce nouveau » one night shot » de chez moi.
La luminosité spectaculaire et inhabituelle de ce matin chauffe doucement mon visage devenu attirant. Cette blancheur ouatée pose un voile de douceur sur ma chambre devenue hall de passage.
Le trophée assoupi commence à émerger.
On a bien ri tous les 2 hier soir.
Je me souviens maintenant qu’il m’a raccompagné galamment. Qu’il n’a pas essayé de me coller au mur. De fourrer ses pattes sous la mini que j’ai le luxe de pouvoir porter maintenant.
Je crois même que j’ai du insister pour qu’il « prenne un dernier verre » avec moi.
On a parlé, longtemps. Il m’a posé des questions. J’ai même eu l’impression que les réponses l‘intéressaient vraiment.
Le voilà qui se retourne maintenant. C’est quoi ces traces sur ses flancs? les marques d’une peau craquelée? Une vibration inédite fracture ma carcasse, un trouble nouveau, comme une onde chaude qui irradierait de mon nombril.
Il me hume.
M’embrasse tendrement.
Si je laissais le petit soldat au placard? Si j’appelais mon boss pour dire que je suis malade? Si je lui faisais un petit déj au lit et le laissais continuer de m’écouter?
Par Schiele
Schiele met en scène ce mois-ci « la vie d’après » d’une femme qui a choisi de beaucoup maigrir. En commençant son texte par le temps présent, et en n’évoquant le passé qu’en flash-back, dans la seconde partie du texte, Schiele ancre son personnage dans le « maintenant ». Ce qui compte, c’est ce qu’est devenue cette femme, qu’elle assume avec un certain plaisir et une ironie grinçante (« je ne fais que dans le haut de gamme »). L’homme qui est dans son lit est un parmi d’autres à son tableau de chasse. Elle pourrait presqu’avoir, dans la première partie du texte, un côté condescendant et satisfaite d’elle-même assez bien campé. D’autant plus intéressant qu’il est mis en balance, ensuite, avec son passé, et que ce contre-point donne une toute autre profondeur, a postériori, au début du texte. Il est intéressant, Schiele, que le début de ton texte soit plus « factuel », et la seconde partie plus « émotionnelle ». Comme si finalement, ce changement avait un peu dissocié les deux chez cette femme. Finalement, la fin du texte ouvre sur une possible réconciliation entre le factuel et l’émotionnel. Sans l’imposer, Schiele suggère un happy-end, que l’imaginaire de son lecteur validera ou non.
J’ai un regret, Schiele, dans ce texte, c’est que ton personnage ne soit pas plus « incarné », vraiment dans sa chair. Tu as choisi un sujet riche, complexe, celui du rapport au corps. J’aime beaucoup ton idée, mais on dirait qu’elle t’a un peu fait peur : tu la traites sur la pointe des pieds, de façon « élégante », « effleurée ». Je crois qu’il faut que tu oses y aller franchement. Quand on se trouve moche et gros, on est souvent cruel avec soi-même, ou on entend des choses cruelles. « boudinée », c’est presque trop gentil à côté de ce qu’elle a dû entendre, cette gamine. Trouve du vocabulaire, des tournures, plus physiques, plus rudes, trouve-lui de la colère, du desespoir, vas-y vraiment. Tu en fais un récit presque trop « romantico-mélancolique » pour que ça percute vraiment. Et je trouve que ça déséquilibre un peu ton texte. J’aime beaucoup la façon dont tu campes cette femme au début, indépendante, qui semble s’en foutre de « consommer » les mecs, et trouver qu’elle a bien mérité ça. Je pense que ça lui donnerait plus de cohérence d’être capable d’évoquer de manière plus crue et plus violente son calvaire d’avant. Et du coup, ça renforcerait aussi ta fin, parce que ça la rendrait pas forcément « logique » : elle aurait pu dans la maîtrise, tendance « vengeance sur le sort », mais non, elle sort de cette position pour finalement peut-être faire la paix avec elle-même. Et ça aurait d’autant plus d’épaisseur.
Oui, vas-y franco sur la perception de son propre corps d’avant de ton héroïne. Elle ne doit pas être tendre. En tout cas, chouette texte Schiele qui me rendait moi aussi un peu revancharde en début de lecture puis qui m’a adoucie sur la fin. Tu rends bien l’évolution des sentiments de cette femme au fur et à mesure de son introspection.
J’ai beaucoup aimé ton texte, l’idée de la métamorphose de cette femme et son côté revanchard sur la vie (et le choix de ta chanson aussi, que j’aime beaucoup!). J’ai bien aimé la façon dont tu entrouvres la porte sur la fin à l’émotion, au sentimental, à l’idée qu’il a peut-être connu le même parcours.
Je me demandais ce matin pourquoi j’avais rêvé d’un beau blond (alors que je suis plutôt bruns :-p), je crois que je viens de comprendre ;-)!