Un salon au parquet élégant et aux moulures désuètes, des bougies de ci de là, un canapé design discrètement taché… la télé est allumée, le son éteint.
– Tu sais quoi ? Ce soir j’ai envie de te dire merci, vraiment . Je ne serais pas la même sans t’avoir rencontrée.
– Houla, mademoiselle est d’humeur sentimentale à la tombée de la nuit ? C’est l’approche du changement de dizaine? La trentaine qui arrive, l’heure de faire le point?
– Fais pas ta rabat joie, pour une fois que je m’ouvre un peu !
– Oh je sais bien l’effet que je te procure, et puis tu n’es pas la seule à chanter mes louanges. Mais voyons si tu seras plus originale que les autres. Quitte à faire le bilan, raconte moi ce que j’ai bien pu t’apporter au fond? N’es-tu pas en train d’essayer de te convaincre? Pour justifier que tu cherches ma compagnie si souvent, depuis si longtemps?
– Ecoute moi cette réponse de blasée! Serais tu trop humble? Non je sais, c’est ta mauvaise réputation qui te fait modérer ta force, ton impact.
– Ne te cache pas comme tu le pratiques si bien avec tes couches de maquillage. Arrête de ramener l’attention sur moi et répond moi plutôt. De quoi me remercies tu réellement? de t’avoir aidé à passer le temps, d’avoir posé un écran comme un cocon sur ta vie? Rien de bien glorieux si tu veux mon avis. »
…Soupirs… long silence …
– Ok ok, je dois admettre que tu ne m’as pas apporté que du positif. Que parfois, allez même souvent, j’ai préféré rentrer à la maison pour jouir de toi plutôt que de profiter du mouvement de la vie. Et si je suis complètement honnête avec moi, j’irais jusqu’à concéder que j’ai certainement raté des spectacles, des apéros et bon nombre d’autres occasions pour des têtes à tête avec toi. Mais ça serait trop réducteur de ne t’envisager que sous cet angle.
– Bien, déjà un peu moins de déni. Je préfère. Maintenant ça m’intéresse davantage de savoir ce que je représente à tes yeux. Tu sais pour la plupart, je ne suis réduite qu’à une source d’amusement, très légère, superficielle. Tu me dis humble, mais à mon tour d’avouer, j’ai d’autres aspirations quant à mon rôle auprès de vous les humains.
– Ca ne m’étonne pas, j’ai vite compris que ta prédestination pouvait être plus profonde qu’elle n’en avait l’air de prime abord. Tu crois que tu es ici dans quel but alors?
– TsssTsss, ne tente pas encore de retourner la conversation, je ne suis pas tes amis. Ceux auprès de qui tu sais aussi bien avoir une oreille attentive que te défiler quand ils veulent creuser sur tes méandres intérieurs. Arrête de froncer les sourcils, tu vas devoir puiser dans ta cagnotte à Botox plus tôt que prévu, et approfondit!
– Tu le sais mais tu veux vraiment que je la crache ma valda hein? ça t’éclate de l’entendre dire?
– Tu ne me connais pas si bien au final, ce qui m’éclate moi, c’est la vérité. Enfin ta vérité, derrière le nuage de fumée. Alors vas y balance, qu’est ce que tu as à craindre finalement? Donc pour toi, je suis….? »
D’une voix serrée, presque dans un cri, fuse :
– Une addiction contrôlée! C’est bon, ça va comme ça, tu es satisfaite?
– Rhoo l’ingénieure en chef se fâche. La si souriante Sophie est contrariée de se confronter à ses manies. Ne laissons pas cet échange prendre un tour aussi houleux. Tout avait bien commencé. Je te rappelle que tu voulais me remercier. J’ai dû mal à croire que ça soit pour une dépendance.
– T‘es marrante, tu crois que ça me fait plaisir de me sentir sous ton joug, moi qui n’aspire qu’à la liberté. Encore une ambivalence à ajouter au listing de mes névroses tiens . Je ne suis pas prête de lâcher le divan. Tu m’as rendu le gosier sec, laisse moi le temps d’une pause tisane, je te la ferai ma déclaration. »
Parquet qui craque, le robinet coule, des pas trainant de retour.
Dans une expiration, des mots pressés , comme arrachés :
– Alors voilà, sans toi, certaine portes mentales seraient restées fermées. Tu as orienté la nature de mes fréquentations. Tu as peut être même été le socle d’une partie de mon cercle amical. Ca nous a réuni, entre les délires énormes et les discussions exaltées. Tu as assis ma position de nana cool. Ca collait si bien avec les concerts de NTM. Tu m’as aussi aidée à enfin dormir et c’est pas rien. Fini les rêves, mais adieu à toutes ces heures passées à tourner et gamberger dans mon lit. Tu fais tourner mon imagination et ma machine a fantasmes à plein régime aussi. Tu arrêtes le temps qui passe et qui m’horrifie. Et merde, c’est pas là où je voulais arriver, viens là que je te roule. Tu te tairas si je te fumes.
Par Schiele
Schiele est la seule qui a clairement installé son dialogue « en intérieur ». En ce sens, elle crée un certain effet de surprise au départ (à la condition que l’on connaisse la proposition d’écriture, mais c’est notre cas à tous ici 😉 ). En ce sens, aussi, elle « dissimule » un peu le deuxième interlocuteur. J’ai mis un petit moment à comprendre à qui s’adressait Sophie, qui était cet « autre » qui la poussait dans ses retranchements, et c’est très bien ainsi. C’est un texte mené sur le mode « je fais le point », un peu comme celui d’Ademar Creach, même si la façon de mener ce « bilan d’étape » est très différente dans les deux textes. Il y a dans le contenu de cet échange le pour et le contre, toute l’ambivalence de « l’addiction contrôlée », qui à la fois ouvre des portes mais enchaîne un peu aussi. On perçoit bien ces sentiments contradictoires dans l’écriture de Schiele.
Je pense, Schiele, que ton texte est trop linéairement « sérieux » pour son sujet. Je crois qu’il gagnerait en épaisseur si tu le déconstruisais un peu, si tu y faisais rentrer un peu de ce côté « nana cool » et « exaltée » qu’évoque Sophie. Faire rentrer des anecdotes (qui d’ailleurs, peuvent être très courtes, et venir soit de Sophie soit de l’autre côté « je me rappelle X »/ « Oui, enfin rappelle toi Y, c’était quand même pas glorieux »…) de telle soirée, tel évènement… ça permettrait de faire comprendre, plutôt que de démontrer. Cela permettrait d’introduire des changements de rythme, peut-être qu’ils se couperaient la parole, ça serait moins « policé » comme échange. Mettre en scène directement, plutôt qu’expliquer. L’écriture gagne souvent à rapporter les évènements le plus directement possible, plutôt qu’à les commenter.
Gaëlle merci 🙂 je n’aimais pas mon texte quand je te l’ai envoyé, en partie parce que j’avais ce sentiment diffus d’un manque sans pouvoir mettre le doigt dessus, en effet maintenant ça me semble évident!
J’ai bien aimé cette façon de détourner le sens premier de l’herbe ;-). C’est marrant, j’ai cru que tu parlais d’une télé, sûrement à cause de l’allusion à la télé au début puis à l’écran posé sur sa vie. Ça collait bien avec l’addiction et les soirées avec elle ;-).
En effet, l’idée de Gaëlle est chouette! Tu nous feras lire la nouvelle version?
Moi aussi j’ai pensé à l’écran de télé pendant un moment… Je me demandais comment Schiele allait retomber sur ses pieds pour que ça soit un élément « naturel »… Et j’ai bien aimé être « baladée » comme ça ^^
J’ai mis un moment avant de comprendre avec qui elle parlait…et je trouve ça fort…. d’autant plus que j’y arrive rarement, à ne révéler « la chute » qu’au dernier moment. J’ai beaucoup aimé le ton aussi.
Idem pour moi, j’ai mis un moment à comprendre ! J’ai pensé à un miroir en premier puis à la télé ! Du coup, j’ai été agréablement surprise par le fait de ne comprendre qu’à la toute fin !
J’ai bien aimé ce côté introspection 🙂
J’ai aussi beaucoup aimé, le texte et surtout me torturer l’esprit pour me demander a qui tu parlais!