Si ça ne faisait pas 116 ans que ça dure, je rigolerai. De les voir s’affairer tous là. A mes pieds. Mais là, ça m’énerve. Ils deviennent de plus en plus hautains avec leurs soi-disant nouvelles technologies. Ils se réjouissent de leurs découvertes, se félicitent, se persuadent qu’ils approchent enfin du sens que j’ai. Du pourquoi j’ai été construit. Des bouffons ces archéologues. Jamais ils ne trouveront. Plus ils fouillent autour de moi, plus ils s’éloignent.
J’ai longtemps écouté leurs divagations. J’ai même parié sur certaines hypothèses qu’ils formuleraient. J’ai aussi découvert beaucoup de métiers qui me paraissent tellement inutiles. L’expert en paléopalynologie par exemple. Celui-là, il m’a scotché quand je l’ai rencontré. Pour faire simple il étudie les grains de pollens et les spores fossiles. Ridicule. Il est venu avec son copain qui fait de la tracéologie. Lui, en fonction des traces produites par l’utilisation des outils, ils déterminent leur fonction. Les gamins qui viennent me voir tous les jours font la même chose.
Oui parce qu’en plus de me farcir des dizaines d’archéologues, je vois passer des milliers de personnes tous les jours. Encore pire que les scientifiques. Ils prennent des airs très sérieux et expliquent à leurs gamins « J’ai vu un reportage qui disait que l’orientation c’était en fonction du soleil et du vent, pour des rituels religieux. » N’importe quoi. Ils feraient mieux de se taire et de retourner se vautrer devant leur télé abrutissante. Plutôt que de m’abîmer avec leurs mains sales.
Des humains j’en ai vu passer. Ils ne s’arrangent pas avec le temps. Et ils n’ont pas arrangé le temps. Haha, trop drôle ! Pas plus tard qu’hier, un visiteur a dit à sa femme « Y a vraiment plus de saisons chérie ! On est en plein mois de juillet, il fait 10°C. De mon temps, on avait de vrais étés. » De son temps… Il a quel âge le chauve ? 65 ans ? Moi je vous le dis, de mon temps à moi, y a plus de 4000 ans, c’était vraiment mieux. Je n’entendais pas la terre gronder sous mes pierres. Elle n’était pas en colère. On vivait bien, elle, les animaux, les quelques humains qui passaient par là et moi. Tout le monde se respectait. Aujourd’hui le respect, les hommes ne savent plus ce que c’est. Des abrutis de jeunes essaient de dessiner sur mes pierres. Ils me tapent dessus. Ils hurlent. Pourtant ils devraient être admiratifs et impressionnés par ma taille, ma splendeur, mon âge. Des bouffons eux aussi.
J’en ai marre de les voir tous. J’aimerai qu’on me laisse tranquille. J’aimerai entendre le chant des oiseaux plutôt que le piaillement des américaines. J’aimerai voir les jeux d’ombres et de lumière sur mes pierres plutôt que des flash aveuglants. J’aimerai profiter de l’éternité et attendre le retour de mes créateurs. Je sais qu’ils reviendront. Ce serait tellement drôle de les voir débarquer demain. Je ne manquerai pas d’apprécier la déconfiture des archéologues face à mon utilité. Et non mesdames et messieurs, je ne suis ni un lieu de culte, ni une sépulture, ni un lieu d’observation solaire. Certes les traces que vous retrouvez viennent des hommes qui m’ont utilisé après mon apparition mais mon sens premier vous échappe. Mes créateurs n’aimeraient pas du tout le nom que j’ai d’ailleurs. Stonehenge. Stone Age. Age de pierre. Traduction : âge de barbares incultes. Ils me manquent. Mais ils sont partis. Loin. En tout cas, moi je suis prêt pour leur retour.
Les humains m’amusent avec leurs expressions. Il y en a une qui m’a plu. La vérité sort de la bouche des enfants. Je me souviens d’un petit garçon, un jour, qui a dit à sa maman « Si on ne sait pas comment les pierres ont été transportées jusque là, c’est peut-être les extra-terrestres qui les ont mises, non ? » Sa mère a levé les yeux au ciel et lui a répondu « Ne sois pas bête mon chéri. » Pauvre humaine étriquée… Dans 10 ans, 100 ans, 1000 ans, tu verras.
Par Nolwenn
Aime lire, raconter et écrire des histoires depuis… (ne s’en rappelle pas c’est trop loin). Devenue journaliste de presse écrite pour en partager. Dans ses rêves les plus fous, serait conteuse et écrivaine. Y travaille…
Tout comme le texte de Missgrump, et bien que ce soit d’une manière très différente, Nolwenn nous propose un texte qui est l’occasion d’une réflexion presque philosophique sur la nature humaine. Et qui semble n’en pas avoir une très haute opinion ! En mettant en scène un lieu très connu, présenté comme « blasé » des explications idiotes sur son origine, imaginées par des humains incapables de se décentrer d’eux-mêmes et d’imaginer qu’une entité extra-terrestre puisse exister, Nolwenn met en perspective une certaine « étroitesse » de pensée du genre humain, et construit sa narration autour de cette caractéristique. Le ton est assez mordant et finalement, à part l’enfant, peu d’humains trouvent grâce aux yeux de ces vieilles pierres. Le côté acerbe du texte est à mon sens fort bien dosé et sert tout à fait la narration.
Si j’aime assez cette « vision », et ce ton, il me manque pour ma part une raison d’être à tout ça. Les pierres attendent le retour de leurs créateurs, certes. Pour « moucher » les humains qui imaginent avoir tout compris, mais refusent cette hypothèse, certes aussi. Mais je pense que le texte serait plus complet si au fil du récit, on découvrait petit à petit qu’il y a effectivement une réelle raison d’être à cette élévation de vieilles pierres. Et probablement, une raison d’être totalement décalée de tout ce qui a pu être imaginé. (si ça se trouve, Nolwenn va résoudre pour de vrai le mystère de Stonehenge et devenir célèbre !). Ceci renforcerait l’agacement des pierres, et le ton désabusé, puisqu’elles savent fort bien à quoi elles sont destinées à servir, et que personne ne subodore la réalité des choses (ce qui peut justifier une certaine ambivalence : les pierres sont à la fois vexées de ne pas être comprises, et moqueuses de l’incompétence des humains).
Ben moi c’est mon coup de coeur. Pour la fin. Parce que moi aussi je me demande qui a construit les pyramides, Stonehedge et les menhirs. Et que je suis de plus en plus persuadée qu’on n’est pas tout seuls 😉 Et je crois aussi que la vérité sort de la bouche des enfants. Ne perdons pas cette naïveté. Continuons à rêver et à écrire nos rêves. Et merci pour ce texte.
Je pense aussi que de parler plus de la véritable histoire de ces pierres, même si elle semblerait folle, serait intéressant. On aimerait en apprendre plus sur ses « créateurs » et cela permettrait de renforcer le décalage entre les explications des soi disant scientifiques, historiens, profs qui prétendent tout savoir et la réelle raison de leur existence. Les pierres pourraient peut être s’adresser à leur créateur en lui demandant quand il compte revenir ? une idée comme ça…
Merci pour vos retours. J’avais volontairement décidé de ne pas trop en dévoiler sur la véritable utilité pour laisser le lecteur imaginé ce qu’il veut et ne pas le décevoir. Mais il semble que ce ne soit pas suffisant. Mais je ne suis d’ailleurs toujours pas sûre moi-même de son utilité ! Je n’ai pas réussi à trouver quelque chose qui me convienne et qui puisse finir en beauté ce texte. Bref au travail !
Alors cette nouvelle version? J’aimerais bien te lire avant dimanche!
A titre perso, Nolwenn, je pense qu’il faut partir en live total sur l’utilité du bouzin, si tu utilises cette piste. Ne pas se cantonner à une des explications déjà existantes (je suppose que c’est ce que tu cherches, d’ailleurs). Je ne sais pas, imagine que c’est une source de captation d’énergie extra-terrestre, non-polluante, destinée à être activée à l’ère post-nucléaire, ou que sais-je. Mais vas-y franchement, lâche-toi!
ou un ring construit par des hommes du Néolithique qui faisaient des paris sur des combats d’ours 😉
Pourquoi, mais pourquoi tant de questions sans réponses ?
J’ai ri en lisant vos commentaires, et du coup j’attends avec impatience la réécriture de Nolwenn !
Le texte m’a beaucoup plu, j’ai cherché un bon moment qui parlait (avant la révélation finale…), et du coup j’ai tout relu une deuxième fois, c’est très bien mené ! Le côté mordant et un rien désabusé des pierres, c’est parfait !