« J’ai bien pensé à prendre mes cachets anti-stress… » Elle jette un œil dans son sac et continue de penser à voix haute. « J’ai mon traitement dans la valise… J’ai bien tous mes papiers… »
Elle vérifie avec minutie que tout est bien à sa place, en ordre, et qu’elle n’a rien oublié. Rassurée, elle se redresse sur son siège et prend une grande inspiration, comme pour s’apaiser. Elle s’empare ensuite d’un vieux MP3 et ajuste un casque sur son crâne. Ses ami.e.s ont lutté pour qu’elle se défasse de son lecteur CD portable qui datait de sa période adolescente. Elle a accepté de passer au MP3, objet pourtant archaïque. Ses ami.e.s savent très bien qu’il ne faut pas lui imposer cette technologie qu’elle juge oppressante et bien trop vive. Elle, elle préfère prendre son temps. Elle en a besoin. La musique qui joue dans ses oreilles lui fait balancer légèrement la tête de droite à gauche. Son voisin de gauche détourne le regard quelques secondes, intrigué, et replonge dans sa lecture sans ciller. Elle ne le remarque absolument pas, bien trop concentrée sur les notes qui la transportent.
Pendant que les mélodies défilent, dans sa tête les pensées filent. Pour une fois qu’elle prenait une décision sur un coup de tête, il fallait que ce soit quelque chose d’insensé, de magistral. Elle ne l’avait pas tellement choisi cela dit, elle aurait préféré garder sa routine et la lenteur des journées qui lui semblait douce. Le calme, la stabilité, elle s’y lovait et y ronronnait. Sa vie était un havre de paix. Sa compagne, son travail, leur appartement avec un jardin au rez-de-chaussée et des ami.e.s fidèles, c’était bien tout ce dont elle avait besoin. Évidemment, elle n’avait rien vu venir. Voguant dans cette bulle de bonheur, aveuglée par l’amour.
Un jour alors, tout a volé en éclats. Dans la tête d’Irène, ce fut un énorme fracas et le bruit assourdissant ne diminuait pas. Un matin, Lahmia avait vidé son sac entre deux tartines de pain beurré. Elle ne se sentait plus bien, elle n’appréciait plus leur couple, leur mode de vie. Elle avait besoin d’air, besoin de partir. Irène s’était emmurée dans un silence monastique. Lahmia avait tenté de relancer la discussion, en vain. Elle avait donc commencé à faire les démarches pour quitter l’appartement, sans avoir d’explications avec Irène.
Une semaine plus tard, Lahmia avait rassemblé toutes ses affaires, elle allait vivre quelques temps chez sa sœur en attendant de trouver un nouveau logement. Irène s’était dirigée vers le jardin avec la démarche d’un zombie, manquant de s’écrouler au sol. Lahmia l’avait suivie : « Irène, parle-moi, s’il te plaît. Où étais-tu ? Dis-moi…comment… Comment tu vas ? » Irène avait tourné son visage vers Lahmia, et le regard dans le vide, avait dit sur un ton placide : « On vient de me diagnostiquer un diabète de type 2. »
La bombe avait explosé. Irène ne se contrôlait plus. Le cœur brisé et le corps dorénavant affecté ; elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Un cadavre vivant, loin d’être exquis. Ce soir-là, sans arriver à dire un seul autre mot à Lahmia, elle avait acheté un billet d’avion pour Bruxelles où elle retrouverait sa mère. C’était d’ailleurs très étrange de sa part de choisir cette destination. Se voyant rarement et ayant des rapports conflictuels – sa mère oscillant entre être trop étouffante, et parfois, trop absente- Irène préférait prendre ses distances. Mais à ce moment précis, elle ne sut pas l’expliquer, elle sentit qu’elle voulait retourner chez elle. Dans son pays natal, dans la ville où elle avait grandi ; retrouver sa chambre d’adolescente que sa mère s’acharnait à vouloir laisser telle qu’elle. Ce qu’Irène trouvait d’ailleurs, absolument stupide. Pourtant, à cet instant, elle n’avait qu’une envie, s’allonger dans ce lit et observer les vieux posters qui tapissaient les murs. Une fois le billet acheté, elle avait préparé sa valise avec soin. « Je m’en vais. » avait-elle dit. Lahmia n’avait rien su de plus. Irène avait continué à sortir ses vêtements de l’armoire, à tout ranger de manière rituelle dans sa valise. Elle avait entendu Lahmia claquer la porte et soudain, un soulagement s’était fait ressentir en elle.
Arrivée avec quatre heures d’avance, dans le doute, elle attend avec une angoisse omniprésente, le numéro de sa porte d’embarquement. Ayant fait en sorte de trouver un siège en face d’un des écrans qui allaient l’annoncer, elle se rassure comme elle peut. Sa mère, paniquée, n’arrête pas d’essayer de l’appeler. Irène sait, en revanche, que sa chère maman arrivera sûrement en retard à l’aéroport pour la récupérer et qu’il n’y aurait rien pour cuisiner le dîner, qu’il faudrait « faire un saut rapide au supermarché ». le genre de désagrément qu’Irène détestait.
« Pourquoi j’ai fait ça… » soupire-t-elle. Réajustant sa robe, elle repasse une couche de rouge sur ses lèvres, observe son reflet dans le miroir et, satisfaite, attrape sa valise et sort des sanitaires. Fatiguée, elle s’écroule sur un siège. La soirée de la veille a été interminable, mais c’était fabuleux. Florence n’en attendait pas moins de ses proches. Une soirée surprise dans son bar fétiche, entourée de tous les gens qu’elle aimait, c’était parfait. L’heure du départ était, en revanche, beaucoup trop tôt. Elle se doutait que ce serait difficile de se réveiller mais cela lui était inconcevable de ne pas célébrer son départ et de l’arroser comme il se doit. Elle se met à rire toute seule en repensant à des discussions de la veille. Dire au revoir à tout le monde lui avait brisé le cœur mais l’idée du départ qui approchait la mettait dans un état d’excitation intense. Elle n’aurait pas dormi de la nuit, dans tous les cas. Elle se lance dans un mot fléché mais son esprit s’égare en imaginant la suite.
Istanbul. Cette ville pour laquelle elle avait eu un énorme coup de cœur. Elle avait passé deux ans à apprendre le turc et en parallèle de son poste actuel, elle s’était activée à trouver un emploi là-bas, quand bien même on lui répétait que ce serait difficile. Elle avait réussi, et elle en était fière et heureuse. La première fois qu’elle avait posé un pied là-bas, c’était en voyage, avec une de ses amies. Elles avaient passé une semaine dans cette ville, des vacances prises sur un coup de tête, des envies d’ailleurs et pourquoi pas la Turquie ? Coup de foudre. Florence y était retournée une seconde fois et ne s’était pas arrêtée à Istanbul. Elle avait passé un mois à vadrouiller où elle avait envie d’aller. Eskisehir, Izmir, Antalya. Elle avait alors su qu’elle voulait s’établir pour quelques temps dans ce pays, et elle avait choisi Istanbul. Cette ville magnifique, folle, grandiose. Après plusieurs allers-retours pour des entretiens et des vacances, autant allier l’utile à l’agréable, elle avait fini par trouver un emploi, elle serait hébergée par une amie turque en attendant de trouver son propre appartement. « Enfin, en-fin ! » songea-t-elle. Ses ami.e.s lui avaient demandé de revenir vite, avouant coupablement qu’iels préféreraient la voir rester mais à la fois très heureux.euses pour elle de concrétiser ses ambitions. Ses parents l’avaient encouragée, depuis le début de ce projet, à foncer. Il n’y avait que son frère qui manquait à l’appel. Et ce depuis dix ans, déjà.
Luc n’avait jamais réussi à accepter que sa sœur soit lesbienne. N’étant pas tellement proches, cela avait définitivement brisé leurs relations fraternelles. Finalement, si Florence était attristée, c’était plus par rapport à ses parents qu’à son frère. Cela les affectait beaucoup plus qu’elle et elle ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu responsable de tout ça. Quand bien même, elle n’avait aucune raison de l’être.
Florence chasse très vite ses pensées de sa tête, ce moment est un moment joyeux et ce n’est pas son petit frère, borné et fermé d’esprit, qui le gâchera.
Florence sent soudainement la faim la tirailler, elle a envie d’un café et d’un sandwich. Elle se lève et d’un pas décidé, se dirige vers une des brasseries en se faisant remarquer que ça va encore lui coûter un bras. Mais elle a trop faim, et entre se ruiner ou finir par être assez affamée pour manger ledit bras ; elle choisit l’option numéro une.
Elle avance, et tout en essayant d’esquiver les autres voyageurs.euses, elle tente de répondre à un texto. Sa vigilance compromise, elle finit par rentrer dans quelqu’un.e. Florence perd son téléphone portable qui chute au sol, au même titre que la jeune femme qu’elle vient de percuter. Celle-ci, paniquée, essaie de rassembler ses affaires étalées autour d’elle.
« Je suis vraiment, vraiment désolée ! » s’excuse Florence, gênée
Elle s’accroupit pour aider la jeune femme qui ne lui lance même pas un regard. Florence la sent nerveuse.
« C’est toujours un peu stressant l’avion… » se hasarde-t-elle
« Hmm hmmm » est la seule réponse qu’elle obtient.
Florence lui tend les papiers qu’elle a réuni, l’étrange voyageuse les lui arrache presque des mains et les remet dans un ordre très précis. Florence l’observe, hypnotisée. « Elle est vraiment jolie… ». Elle se dit qu’elle pourrait lui offrir un café pour s’excuser mais son interlocutrice et son attitude si froide, la font se sentir comme une adolescente de quinze ans qui n’ose pas avouer son attirance. « Je peux t’offrir un café pour m’excuser. » ose-t-elle alors « Moi, c’est Florence. ». les grands yeux clairs percent alors son regard. « Moi c’est Irène. Je vous remercie mais ce n’est pas utile, ce n’est pas si grave que ça. » Florence ne peut plus lâcher cette femme des yeux, elle est sous le charme. Elle qui, habituellement fait des ravages, elle le dit sans honte ; se fait rabrouer. Un rictus traverse alors son visage. Elles sont maintenant debout l’une face à l’autre.
« J’ai quelque chose sur le visage ? » demande Irène, embarrassée.
« Non… Non, pas du tout. » répond Florence, amusée
« Ha bon… » lance Irène. « Bon et bien, bon vol. Au revoir. »
Irène s’en va. Florence se met alors à s’imaginer qu’elles vont peut-être dans la même direction. Et si Irène et elle étaient faites pour se rencontrer et se retrouver à Istanbul, et si l’amour de sa vie, elle le rencontrerait juste avant de décoller ? Et si… ? Elle se dit qu’elle doit lui demander sa destination. Ou pas. Elle ne sait plus. Veut-elle la surprise de voir la jolie Irène apparaître dans l’avion et prendre place sur un siège non loin d’elle ? Ou préfère-t-elle savoir cela maintenant ?
Ce serait trop bête de passer à côté. Le cœur battant, Florence rattrape Irène, fendant la foule, faisant attention de ne faire tomber personne cette fois. Elle finit par la voir, vérifiant sa porte d’embarquement. Elle s’approche, essoufflée.
« Je suis désolée, je ne suis pas du genre à faire ça d’habitude… » Irène sursaute.
« Je voulais te demander où tu partais ? »
Irène lui jette un regard inquiet, elle ne sait pas comment réagir.
« Tu n’es pas obligée de me le dire si tu ne veux pas, c’est juste que…
— Ha Bruxelles, porte 45 ! » s’écrie Irène. « Pardon, mais je dois y aller. Bon voyage ! »
Une rencontre qui tombe à pic (c’est le cas de le dire), dans la mesure où les deux femmes sont l’une et l’autre attirées par des personnes du même sexe. Et pourtant il ne se passe rien, le coup de foudre qui tombe sur Florence ne semble pas se répercuter sur Irène. Et comme elle ne vont pas au même endroit…
Du coup je suis perplexe, j’ai bien aimé l’écriture, la façon de décrire les états d’âme de l’une et de l’autre, mais je ne sais pas comment interpréter la chute finalement assez morose, une histoire d’amour qui n’aura pas lieu ?
J’aime beaucoup les caractères des deux personnages et leur rencontre qui n’en sera au final pas une , j’ai eu l’impression de vraiment voir au sens cinématographique du terme, la scène de l’aéroport, par contre, j’ai beaucoup de mal avec l’écriture inclusive qui ôte une partie de mon plaisir de lire, mon âge sans doute !
Comme Zazie6454 je verrai bien ce texte en images. Il me paraît très visuel et la scène de la rencontre à l’aéroport me semble particulièrement réussie.
Cela ne m’a pas gênée que la rencontre n’ait finalement pas eu lieu comme l’aurait souhaité Florence, mais la toute fin m’a laissée… sur ma faim ! Il y a une intensité dans ce qui déboule dans la vie de Florence, ce coup de foudre, qui est complètement balayée par les derniers mots et c’est un peu dommage (mais c’est seulement mon avis). Ceci dit, l’art de la chute nous fait souvent chuter, n’est-ce pas Francis ?
Merci Moly pour cette agréable lecture.
Bon je commence par la chute : C’est vrai qu’on aimerait bien qu’il se passe quelque chose entre Florence et Irène mais l’auteur est maître de son histoire jusqu’au bout.
J’ai été plus touchée par Irène, et j’aime beaucoup les quatre heures d’avance à l’aéroport, la place devant le panneau d’information, le fait de contrôler si elle n’a rien oublié… C’est à la fois drôle et touchant.
Un grand plaisir à lire ce texte. Petit bémol aussi pour l’écriture inclusive…
Merci pour vos retours !
En ce qui concerne la chute, Francis m’a aussi fait cette même remarque. C’était cependant volontaire, je voulais une fin nette, abrupte. L’idée étant de ressentir la même chose que Florence qui, toute heureuse de son futur départ, rencontre une femme qui lui plaît et c’est euphorie de la nouveauté qui la fait s’enflammer… Mais la réalité la ratrappe. Et la laisse les bras ballants.
J’ai essayé, ça ne fonctionne pas vraiment, c’est à retravailler.
Quant à l’écriture épicène, elle compte beaucoup pour moi d’un point de vue éthique et engagé. Je comprends que ce soit compliqué à lire et à intégrer … Comme tout changement. L’écriture n’est pas immuable et ne l’a jamais été, le langage évolue et évoluera toujours.
Il me semble important de prendre part à cette évolution, j’ai envie de participer au changement. 🙂
Ce fut encore un plaisir d’écrire pour cet atelier et de lire tous les textes produits.
Ouhlala… On va dire que c’est un complot du lobby LGBT, mais je ne suis pas du tout d’accord avec la réception générale de ta chute ! Moi, je la trouve bien, et vraiment, ça change. Merci de nous emmener ailleurs de la sorte ! Oui, c’est frustrant, bien sûr. Mais t’es pas là pour nous donner ce qu’on veut avoir, par habitude 😉 Et puis, ces coups de coeur qui ne mènent nulle part —même si les planètes étaient théoriquement plutôt bien alignées— n’en a-t-on pas toustes eu notre lot ? C’est une réalité aussi, dans nos vies. Pourquoi ces étincelants croisements qui n’iront pas plus loin ne mériteraient-t-ils pas d’être contés, au même titre que les histoire d’amour, ou de cul, réussies, ou ratées ? Un peu de justice, que diable 😀
Pour l’écriture égalitaire… Much soutien et appréciation <3
Ma précédente participation à l'atelier avait soulevé tout un débat sur ce même sujet. Mais je persiste à penser moi aussi qu'on est du bon côté de l'histoire à vouloir écrire de la fiction avec cette particularité, même si c'est pompeux de dire ça, car l'égalité et la juste représentation de toustes est largement plus importante à mes yeux que toute considération esthétique sur la typographie d'un texte. Je reste également persuadé.e que ce n'est pas la mer à boire que de lire trois accords épicènes sur la longueur de toute une nouvelle^^
Le seul bémol pour moi dans la construction de ce récit, c'est la transition entre le point de vue de ces deux femmes, dans l'aéroport, un peu trop brusque à mon goût pour pouvoir la vivre de manière fluide 😉
Ce que tu dis au début de ton commentaire c’est exactement ça !
Je l’ai peut-être joué un peu trop flemmarde en travaillant pas assez la fluidité dans le texte. C’est un de mes gros problème… La flemme.. 😉
(ah et aussi, j’avais buté sur « cachet anti-stress », formule un peu vieillotte qu’utilisent des personnes qui n’en ont pas dans leur trousse à pharmacie il me semble, ce qui est dommage en attaque. Je pense que « mes anxios », « mes anti-dépresseurs » ou « mon lexomil » auraient sonné plus naturel… mais c’est un micro-détail 😉 )
Oui je suis d’accord avec toi, et en plus je suis loin de faire partie de ces personnes qui ne connaissent pas le sujet. J’avoue et je suis pas fière mais j’ai eu une flemme de chercher ce qu’elle prenait pour calmer ses angoisses. Mais j’aurai pu dire qu’elle avait dans son sac des huiles essentielles de lavande et de cèdre d’atlas. Elle n’est pas dépressive simplement très angoissée par le changement et les imprévus.
Merci en tout cas pour ton retour, ça me fait très plaisir ! 🙂
Beaucoup de plaisir à la lecture de ce texte. Merci pour cette tranche de vie… qui tombe un peu abruptement effectivement… sans gâcher pour autant le reste. Je rejoins certaines d’entre vous sur le bémol de l’écriture inclusive…
Allez, on va encore parler de la chute (oh, pfff, oh non, msieur on l’a déjà fait, pas encore la chute..).
La chute, hein @Slava, cela ne veut pas dire que ça finit bien, que tout le monde va s’aimer, que les histoires ou événements aboutissent à un résultat, que c’est happy end, que le lecteur est rassuré et que tout va bien dans la bonne case, etc. : NON.
La chute, c’est juste en quelques mots faire briller, ou donner soudain, soit le sens d’un texte (ex. texte de Ktou14, « twist » final on comprend la situation, on donne du sens, et on surprend), soit la motivation qui a présidé à sa création, le plaisir d’écrire et de lire (ex texte de Betty, jouer avec le cliché, surprendre sans chercher plus de sens que ça).
Alors regardons un peu Irène et Florence : pourquoi la chute, ce n’est pas ça.
Parce que
1- On a construit un texte, tout un bouzin, une usine à gaz, qui doit aboutir à une promesse soit de sens, soit un plaisir intellectuel. Là, le bouzin est réussi, pas de sopuci, mais au moment du « tout ça pour quoi ? » , il n’y a ni sens supplémentaire (ou sens sur lequel on zoome soudain), ni jeu intellectuel.
C’est donc une promesse (inhérente à l’existence du texte) qui n’est pas tenu. Et on finit par être perplexe, par trouver ça platouille.
« Je suis désolée, je ne suis pas du genre à faire ça d’habitude… » Irène sursaute.
« Je voulais te demander où tu partais ? »
Irène lui jette un regard inquiet, elle ne sait pas comment réagir. « Tu n’es pas obligée de me le dire si tu ne veux pas, c’est juste que… »
« Ha Bruxelles, porte 45 ! » s’écrie Irène. « Pardon, mais je dois y aller. Bon voyage ! »
Je vais donner deux exemples au pif, en improvisant. Un peu nazes, mes exemples, mais c’est pour expliquer.
Une chute à sens :
Il faudrait pour que la chute soit efficace qu’elle soit formulée différemment : qu’on comprenne que s’il ne se passe rien c’est voulu, parce que le personnage à changé par exemple, vient de décider un truc et que l’ensemble du passé et les événements récents lui disent qu’il faut que rien ne se passe. Que Florence, en arrivant près d’Irène, soudain change d’avis car ça lui rappelle qu’avec sa précédente ça s’était passé exactement pareil, et qu’elle rejouait son symptôme (par ex., hein).
Une chute surprise/jeu :
Il faudrait apporter un truc que le lecteur ne sait pas. Que Florence voit en fait son ex partout et quand elle court après Irène pour la rattraper, Irène se retourne et lui dit de cesser de la harceler, qu’elle ne s’appelle pas Irène, que ça suffit (le coup de la nouvelle du vieux et de la gamine, certes).
Voilà deux exemples à la con, mais juste pour essayer de montrer ce qui fait une chute, de pas de chute. ce n’est pas la réussite de l’action tout finit, mais ça boucle le texte et lui donne soit son sens, soit sa nécessité.
Je te remercie pour ton explication détaillée, je comprends tout à fait, j’ai voulu essayer quelque chose et ça n’a pas fonctionné. Je prends note.
Par contre je suis déçue de ne pas avoir de retour sur le reste du texte… Quelques notes positives, ça motive toujours et ça fait plaisir . 🙂
Eh bien à vrai dire je n’ai pas grand chose à dire sur le reste du texte : je trouve cela bien, rythmé, emporté, vivant, avec des personnages crédibles et des dialogues justes. De ce côté là, pas de problème du tout à mon sens. Ça tient la route et est équilibré entre ce que dit et fait le personnage et ce qu’en raconte la narratrice. Ca manque un peu de décor mais cela ne nuit pas, là. Non, c’est vraiment « pourquoi ce texte » qui n’est pas dit par la chute, et c’est sans doute pourquoi je me suis focalisé dessus.
Je te remercie 🙂
Je voulais sans doute plus parler de fin que de chute, effectivement. Et à la fois, cette coupure net « fait la blague » d’une pirouette finale bien écrite et me procure un effet inattendu assez plaisant. Après tout, on parle de boucle non bouclée 🙂
Merci pour ce texte.
La fin m’a également laissée sur ma faim. impression d’inachevé tandis que les personnages ont du potentiel.
Ca se finit en eau de boudin, comme parfois dans la vie quand on n’ose pas donner suite. C’est peut-être pour ça qu’on aurait voulu une vraie chute : c’est souvent dommage, les occasions manquées.
En tout cas, cette fin, à défaut d’avoir pu rassasier, elle aura fait parler. 😉
« c’est souvent dommage, les occasions manquées » : C’est exactement ce que je voulais faire ressentir.
Comme je le disais dans un précédent commentaire, j’avoue que cette mauvaise chuteou fin inachevée, vient un peu de mon côté « paresseuse » mais aussi de mon envie de casser des codes établis. Je ne dis pas que je fais ça bien, je ne vais pas non plus me la jouer hyper subversive non plus, mais j’avoue, j’aime bien déranger…et je me trouve plutôt soft dans les textes que je propose ici. 😀
Merci pour ton commentaire et tes retours.
Je comprends bien la démarche, l’envie de casser les codes, pas de souci ; c’est même très sain en terme de création. Et c’est « pas empêchant », je dirais. Juste bien régler les effets pour pouvoir être perçue, comprise dans cette démarche surtout quand la démarche concerne plutôt le contenu (ne pas faire aboutir une histoire entre deux personnages (*) alors que vous avez épousé une forme « normée » sur les 4/5e du texte (et donc dans ce cas il vaut mieux finir de garder une forme « normée »). S’il s’agit de casser les codes de contenu ET de forme, alors il faut casser les codes de forme aussi dès le début. Sinon vous ne cassez, à mon avis, les codes de forme que partiellement, et du coup en toute fin, on pourrait croire à un ratage. Ou alors il faut que l’intention soit évidente, pour qu’elle soit correctement perçue, et là du coup ça vous « contraint » (dans le sens de cela « nécessite ») de bien régler votre effet final.
Je vais prendre un exemple radical : Burroughs (« Le Festin nu », « La machine molle », etc.) il a cassé les codes de contenu (états liés à la drogue, exploration des autres réalités, homosexualité, etc. pour l’époque), en les accompagnant de codes cassés sur la forme : en faisant des collages de textes, en déstructurant, etc. En peinture, ceux qui ont à chaque fois voulu casser les codes, l’on fait radicalement sur la forme, plus que sur le contenu (« pixeliser » en pointillisme un paysage > ça reste un paysage), sauf les surréalistes qui ont plutôt fait l’inverse : des thèmes oniriques, psychanalytiques par ex mais peinst avec une technique hyper classique). Enfin, c’est mon avis.
(*) Quoique ce n’est pas non plus casser les codes une histoire qui n’aboutit pas. Ex parmi sans doute des millions : In the mood for love, film de Wong car Wai.
Comme je le disais dans mon précédent commentaire, je ne me vante pas d’être subversive dans ce texte, et je n’irai pas me comparer à des auteur.e.s dont on reconnait le travail et le « talent ». Cela dit, grand nombre d’artistes ayant voulu « casser les codes » se sont plutôt pris des vents et des critiques virulentes (on parlait plus de ces personnes parce qu’iels choquaient la morale et la bien pensance de l’époque, plutôt que pour leurs créations), c’est bien souvent des années voir un siècle plus tard qu’on réalise que, pour leur époque, iels avaient été sacrément audacieux/ses.
Je dis bien, aussi, que par flemme parfois -souvent. Trop souvent?- je me casse pas trop la tête et je me contente , sans doute un peu facilement, de ce que j’ai créé.
Cependant, personnellement, j’aimais bien la fin, la chute -le saut périlleux ou le crash total- que j’ai choisi. Je voulais que ce soit brutal, net, que ça nous coupe l’herbe sous le pied et que ça nous frustre. Je ne maîtrise pas toutes les techniques littéraires, les bottes secrètes des grand.e.s -ou moyen.ne.s- auteur.e.s, mais ça ne m’empêche pas de tenter des choses, de m’amuser. Quoi qu’il en soit, j’ai pris du plaisir à participer et à écrire. Et les retours sont très intéressants!
La prochaine fois, promis, je casserai vraiment les codes (mais pas la chute). 😉
Pas de souci. De toute façon je dis toujours qu’au dernier ressort (après qu’on en a débattu) c’est l’auteur-trice qui a raison, et point barre car c’est sa création. Et vous avez raison : à chaque fois ceux qui cassent les codes se prennent des volées de bois vert avant d’être reconnus bien tardivement, ou jamais (pour les impressionnistes, par exemple, ce n’est pas pour leur morale ; ou Stravinsky en musique, etc, mais pour la forme de leur création). Je disais simplement —et je ne cherche nullement à vous titiller, hein ; on discute — que pour casser les codes, il faut s’assurer que son truc est bien bouclé en ce sens pour être bien perçu(e) (ou jamais, certes, ou plus tard), mais en notant que pour casser les formes, il faut les maîtriser (ex : en musique, peinture aussi, etc.) pour pouvoir les expliquer et les justifier au besoin. Bon bref, elle est bien cette nouvelle 🙂
« et je ne cherche nullement à vous titiller, hein ; on discute » haha mais pourtant, ça marche! Je ne le prends pas mal, je tiens quand même à le préciser.
Je prends ça comme un défi à relever pour la prochaine fois, ou pour moi personnellement, dans les textes que j’écris hors atelier.
Merci encore pour tous ces échanges! 🙂
»j’aime bien déranger…et je me trouve plutôt soft dans les textes que je propose ici. » eh bien lâche toi et montre nous la « vraie Moly » . Dé-soft tout ça, qui dit que ça ne rendra pas un texte chouette ? Au plaisir de lire et de découvrir