Jour de fête ?
C’est la fête. Comme je remercie celui (ou plutôt celle, car c’est probablement une femme) qui a inventé la fête des mères ! Grâce à elle, je rends visite à la mienne, dans la Creuse, avec une joie difficilement contrôlée. La Creuse…ce département bucolique parfait pour qui aime…les vaches et le vert. Mais la Creuse, c’est aussi son système ferroviaire, ses gares désaffectées, son petit car qu’il faut prendre depuis La Souterraine jusque chez ma mère. La Souterraine, oui ! Ce n’est d’ailleurs pas très loin d’Arnac-la-Poste, bourg au joli nom qui a le mérite de me valoir un succès franc en soirée à chaque fois que je le mentionne. Et même auprès de ceux ou celles qui ne me croient pas je passe pour une rigolote spirituelle.
Le car…cela donne au périple un petit air désuet, on se croirait dans un film de Jacques Tati, c’est d’ailleurs une chance que ma douce et tendre mère n’ait pas choisi Ste Sévère, le petit village ou Tati a d’ailleurs tourné Jour de fête, pour s’installer. Non, ma mère réside à Boussac, non loin de là. Il m’a fallu longuement -et plusieurs fois- lui expliquer que George Sand qui a résidé au château de Boussac-plusieurs fois- n’avait jamais été un homme (« oui, elle, elle s’appelait en fait Aurore Dupin »).
Une fois arrivée, et après avoir vomi dans les tournants qui m’emmènent jusqu’à sa petite maison, ma mère m’accueille avec un verre d’Orangina, comme si j’avais encore 10 ans. Elle me raconte toutes les petites anecdotes sur ses sorties avec l’amicale des marcheurs, et je contemple les champs derrière chez elle, un peu groggy devant tant de silence, moi qui habite toute l’année une artère parisienne. Ici il n’y a rien, ni personne. C’est parfait pour un moment de contemplation pastorale, on respire le bon air. Et comme il ne faut guère abuser des bonnes choses, j’ai tout de suite envie de repartir.
Par chance, ma mère a tout prévu, pour éviter que je ne m’ennuie : « il y a marché », elle me propose de m’y accompagner, car «j’ai l’air toute pâlotte ». « Un bon bif, c’est ça qu’il te faut, » me lance-t-elle. A-t-elle oublié que je ne mange pas de viande ? Ni « bif », ni steak, ni bifteck, ni foie de veau non plus, non. Oui, le poulet, c’est de la viande aussi, et non, les poulets ne sont pas venus sur terre pour être dévorés. C’est pourtant ce qu’elle me rabâche devant son marchand de volailles préféré, qui me jette des coups d’œil en manipulant des rognons comme si c’était ses testicules.
J’aime par-dessus tout son ami Robert. L’an passé j’ai eu le bonheur de le rencontrer alors qu’il était entièrement nu dans le jardin. Même si cela m’a quelque peu surprise, ce cher Robert m’a expliqué qu’il était naturiste de longue date, et a d’ailleurs convaincu ma mère de le rejoindre à Creuse Nature, le camping nudiste, pardon, naturiste, à deux pas de là. Robert a eu beau insister que c’était naturel, avec un regard qui n’avait absolument rien de lubrique, mes allergies aux pollens, arbres, fleurs et divers graminées que l’on ne trouve qu’à la campagne m’imposent de rester couverte. Dommage.
Je regrette d’ailleurs de ne pas en avoir affublé mon fils du prénom Robert, il se serait peut-être davantage intégré dans la Creuse, plutôt qu’avec un nom aussi imprononçable que Joshua. Ma mère préfère l’appeler « le petit », malgré ses 14 ans, et non, il n’a pas pu venir encore cette fois. Dommage (bis).
Robert aime la nature et il est donc logiquement chasseur : c’est vrai, quoi, la chasse, c’est utile, imaginez que biches, perdreaux, faisans et autres nobles animaux sauvages se reproduisent à l’infini !
Après le lui avoir répété 22 fois, ma mère a fini par intégrer que je ne mangerais pas de viande, même si j’adorais ça pourtant quand j’étais petite, surtout la cervelle d’agneau et même les tripes ! Alors elle a fait un pâté aux pommes de terre, sorte de tourte remplie de patates et …de patates. Idéal, quand on est comme moi au régime de façon quasi permanente, pour prendre 20 kilos en une journée.
Fin de repas, j’accepte de ramener une bouteille de prune de Robert à Paris, en me disant qu’utilisée comme désinfectant, devrait libérer toutes ses vertus.
Ma mère déplore que je doive repartir si vite et propose de me «déposer au train » à La Souterraine le lendemain matin, après la nuit dans ma petite chambre, qui n’a pas changé depuis mon adolescence.
Seule enfin, j’écoute Gainsbourg et je chantonne « je serai content quand tu seras mort » en pensant très fort à ma mère et à Robert. Puis je vais vomir toutes ces bonnes victuailles décidément trop saines et je me prends à rêver d’une année où l’on abrogerait purement et simplement la fête des mères du calendrier.
par Misterdids
Je m’appelle Didier, j’ai 47 ans et suis prof d’anglais dans une fac de médecine. Suis marié avec une anglaise, j’ai deux enfants qui adorent les histoires, deux chats noirs et deux chiens et j’habite pas très loin de Poitiers dans un village non loin d’une abbaye.
Je me suis lancé en écriture en 2013 via un atelier de découverte Aleph, puis j’ai continué chez eux par e-mail, et j’ai participé à plusieurs stages (« nouvelles en une page », « techniques narratives ») chez Aleph et Bing, ainsi qu’à Poitiers dans une association locale et avec Ségolène Chailley. J’aime surtout écrire des novelles et je cherche à gagner en autonomie tout en partageant avec des gens qui comme moi, ont besoin de retours constructifs sur leurs écrits.
Voilà un texte qui prend le parti de l’humour « à froid », et qui fait ça bien. Les choses sont dites de manière « sérieuse », pour que l’ironie soit plus flagrante. On ne trouve aucune expression volontaire du personnage du genre « quelle galère » ou « qu’est-ce-que je fous ici », et c’est tant mieux : on comprend malgré tout très bien que le fond du ressenti est celui-là, et l’effet produit est encore plus net. Le « parti-pris » de détestation, qui est décliné tout au long du texte, et distillé grâce à un humour désabusé, nous amène au bout du texte de manière fluide.
On rejoint le thème traditionnel de la famille non choisie et honnie.
Pistes de travail possible :
Le texte présente la caractéristique de très peu « présenter » le personnage. A titre personnel, en le lisant, je n’ai pas réussi à tout a fait trancher, savoir si cette femme m’atait sympathique ou antipathique. C’est une ambiguité intéressante, mais dans la perspective de développer le texte, il me semblerait intéressant de glisser des éléments de « connaissance » de ce personnage, qui n’est finalement campé que par sa colère. On aimerait de manière détournée apprendre 2/3 trucs sur elle (ce qui légitimerait peut-être sa colère, ou au contraire la rendrait carrément antipathique). Sont évoqué dans le texte « l’artère parisienne » à côté de laquelle elle vit, l’orangina de ses dix ans, ça peut-être développé. Ne sont pas évoqués et pourraient l’être, le père du personnage, le père de son fils… Etc… A noter que ces éléments développés n’empêchent pas de conserver l’ambiguité sur la sympathie ou non du personnage (il est possible de distiller un coup, un truc qui la rend sympa, puis 10 lignes plus loin un truc qui la rend nettement moins sympa, et jongler comme ça…)
(petite remarque technique: il y a un « d’ailleurs » en trop au début du 2ème paragraphe)
Merci de ces retours, Gaëlle.
Oui l’ambiguïté est sans doute voulue, mais effectivement, on pourrait la renforcer, se dire « je ne sais pas trop si j’aime bien ce personnage en fait! » Quant à l’absence des « pères » c’est aussi voulu pour que le seul réel personnage masculin soit « Robert ».
Ok pour développer/reprendre le texte, j’avoue que 4500 signes, c’est frustrant! A bientôt
Je reconnais bien volontiers que la règle des 4500 caractères est cruelle! (mais il en faut bien une…).
L’ambiguité sur la sympathie de la narratrice me semble vraiment intéressante dans ce texte, elle rajoute quelque chose. Plus je le lis, plus je me dis qu’on ne gagnerait pas à trop « adorer » la narratrice. Le thème de la famille que l’on déteste, c’est un thème assez « classique » (ce qui ne retire rien à son intérêt). Le traiter d’une façon où on évite que les gentils soient très gentils, les méchants très méchants, les beaufs très beaufs, etc… C’est mettre toutes les chances de son côté pour s’éviter quelques clichés.
OK pour l’absence des pères, mais si Robert est le seul personnage masculin, il est aussi possible d’exploiter ce choix (en faire un bouc émissaire, ou l’emblème de la nullité du lieu, ou au contraire le traiter comme un apollon de pacotille, ou faire revenir sous forme de leitmotiv acerbe toutes les 5 lignes « je me demande ce qu’en penserait Robert? » « mais ou est donc Robert? »… Je ne sais pas. A chercher éventuellement si c’est une piste qui vous intéresse!)
C’est sûr (pour la règle des 4500 signes)! Il y a un truc que j’ai oublié dans ce texte: c’est le cadeau! Si elle vient voir sa mère, pour la fête des mère, elle a forcément acheté quelque chose! Ça pourrait être la chute. Et je serais pour rendre la narratrice hyper désagréable, « parisienne hautaine » qui renie ses racines, ça donnerait plus de poids à sa pauvre mère et son cher Robert, je trouve. Quant à lui, en fait un « Apollon de pacotille » me plait bien, ça renforcerait son ridicule. Bon! Y’a plus qu’à se mettre à retravailler le texte, et je vous l’envoie par mail dès que c’est fait, ok? Merci encore!
Très juste en ce qui concerne le cadeau. Il y un potentiel à exploiter. Et la rendre très désagréable, pourquoi pas, on peut en quelque sorte construire le texte avec une sorte de « miroir inversé »: elle, elle se voit au dessus de ces péquenots ratés, et elle les déteste ; nous on voit avec tendresse les gens de peu et une antipathie certaine celle qui les méprise. On rejoint ce que l’on disait avant: c’est un équilibre à trouver, un « bon dosage ».
Bon boulot, j’attends votre mail!