Semaine n°12
Samedi – 15h47
Je ferais mieux de me préparer pour aller parler à ces idiots de l’autre côté de la porte. J’ai bien compris que cela ne servait à rien de résister. Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter cette fois ? D’habitude, je sais faire preuve d’imagination, tout le monde me l’a toujours dit, mes blagues sont les meilleures. Mais là, je dois avouer que je sèche un peu. Il faut dire que le mur grisâtre que je fixe à longueur de journée ne m’aide pas beaucoup à être drôle. Je perds même mon sens du sarcasme. Je sais que c’est fait exprès d’ailleurs, cela me parait évident. Quoi qu’il en soit, il faut que je prépare mon texte, mon expression et donc, comme je disais, deux ou trois blagues.
Je me demande ce que font les autres quelques minutes avant. Ils n’ont pas l’air très drôle, donc cela ne m’étonnerait pas qu’ils ne fassent rien. Qu’ils soient spontanés, et sincères. J’espère que je ne deviendrai pas comme eux. Le temps risque d’être long en revanche, sans ami, ni complice. Ni famille. J’ai l’impression que je leur fais un peu peur. Je me demande ce qu’on leur a dit. Peut-être qu’ils n’ont rien dit, d’ailleurs.
Samedi – 18h06
Je ne sais pas pourquoi elle m’a empêchée de parler. J’aurais aimé lui demander mais ce serait comme avouer que cette mascarade avait une quelconque importance pour moi. Mais cela me perturbe, il faut bien que je me l’avoue à moi-même. Quelle plaie si je dois y assister sans pouvoir parler. J’ai bien fait de garder mon sourire comme si de rien n’était, comme si je n’avais pas remarqué qu’elle était passée directement à la brunette qui renifle tout le temps. Elle en avait des choses à dire, elle. Insipides, inintéressantes, plates.
Dimanche – 7h55
Je dois avouer que je me sens seule. Ce n’est pas une nouveauté mais cette fois je suis vraiment seule en fait. Hier soir, il est repassé me voir. Pour me demander comment s’était passée ma journée et si j’avais quelque chose à dire avant l’extinction des feux. J’étais un peu prise au dépourvu, donc je n’ai pas trop répondu. Mais je ne suis pas bête, je sais bien que c’était fait exprès de venir me parler en dehors des sessions. Désormais je serai prête.
Dimanche – 14h23
Je m’ennuie. Je me suis toujours ennuyée. D’ailleurs, c’est peut-être la raison pour laquelle je suis ici. Mais n’y pensons pas, ne jouons pas leur jeu. Je sais que c’est ce qu’ils veulent, me faire dire pourquoi je suis ici. Mais je n’en ferai rien et je m’interdis d’y réfléchir. Je suis ici et c’est tout. Ils devront bien un jour décider de quelque chose au lieu d’attendre. Enfin j’ai l’impression qu’ils attendent mais je n’en suis pas sûre. En tout cas, il n’est pas repassé cette fois, il me laisse seule à cogiter.
Dimanche – 15h18
En fait je ne suis sûre de rien. Et je ne suis plus sûre de vraiment me rappeler. Peut-être que je devrais t’en parler à toi, mais c’est vrai qu’au fil des semaines j’ai un peu de mal à remettre les choses dans leur contexte. Je pense que c’est cet endroit qui fait cela. Je suis plus concentrée à survivre au quotidien, à rester qui je suis, à éviter les pièges et la bêtise des autres.
Dimanche – 18h13
Je n’ai pas parlé aujourd’hui non plus. Je n’ai pas pu m’empêcher de simuler une petite toux peu discrète mais elle ne s’est pas laissée perturber et est passée cette fois au grand blond tout maigrichon. Qui, soit dit en passant, raconte des bobards sans précédent. Qu’est-ce qu’ils m’agacent.
Lundi – 8h04
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’ai beau me répéter que je ne dois pas tomber dans leur piège, ce n’est pas évident. Certaines images me reviennent, l’expression de surprise sur son visage, la tentative vaine de me raisonner, la panique, les hurlements. Puis la vieille voiture qui moisit dans le garage depuis des années, l’odeur dégueulasse du coffre que j’ai forcé, l’odeur qui désormais doit y régner.
Lundi – 18h09
J’ai craqué, j’ai parlé. Je ne lui ai pas laissé le choix, et je me suis levée. Et j’ai fini par expliquer à tous ces imbéciles à l’air ingénu pourquoi j’avais tué ma mère.
Par Mini 697
Mini nous propose un texte dont on devine rapidement qu’il sera un texte « à chute », et qui du coup, distille ses éléments petit à petit. Cela donne un sentiment d’étrangeté, où on ne comprend pas tout au premier abord, qui convient fort bien au propos, puisque très vite, on comprend que ce sentiment d’étrangeté est aussi partagé, d’une certaine manière, par les protagonistes du texte. Le personnage principal ne parlant pas, ces éléments qui nous manquent, manquent aussi aux autres membres du groupe, et le lecteur est ainsi mis « au cœur » du texte, convié à éprouver « vraiment » ce qui se joue dans ce texte. La chute permet que les éléments du puzzle s’emboitent. On comprend alors qu’il s’agit de quelque chose du type groupe de parole en prison, et on relit le texte à rebours, en se disant que tout était là pour nous préparer à cette fin, sans pour autant qu’on l’ait totalement devinée. Jolie conclusion !
Je pense, Mini, que ça serait intéressant que tu fasses sortir ton personnage du pur « discours ». Telle que tu nous la campes là, elle est quand même très « intellectualisée », cette femme. Je crois que j’aimerais que tu lui donnes aussi un corps. Durant ces séances où elle ne veut pas parler, où elle veut se contrôler, il se passe quoi pour elle ? Elle transpire ? Elle se ronge les ongles ? Elle croise et décroise ses jambes ? Elle cligne trop des yeux et ça la dérange ? Elle a le ventre noué ? Ou au contraire, elle a des montées d’adrénaline qui, finalement, sont agréables. Et juste avant que la porte ne s’ouvre? Et le soir? Bref : je trouverais intéressant que tu « complètes » ton personnage avec des éléments assez factuels, corporels, qui nous indiqueraient (l’adage dit « mieux que des longs discours » 😉 ) où elle en est, comment elle se sent, comment elle évolue, etc… Et lui donneraient davantage d’épaisseur.
Je crois que le « j’ai craqué » de la fin, tu pourrais même l’enlever et lui faire croire et nous faire croire qu’elle n’a pas craqué mais décidé de parler en agrémentant de qqs raisons de mauvaise foi, comme pour appuyer le fait qu’elle sait très bien ce qu’elle fait, ce qu’elle a fait… Pour rester sur le fil entre raison et folie, sans basculer, comme une funambule qui tient le coup, encore, …
J’ai bien aimé ton texte, l’idée est originale et j’aime bien le fait de préserver l’explication pour la chute finale.
Par contre (et non, ce n’est pas paradoxal ;-)!), j’ai été frustrée à ma 1ère lecture de ne pas réussir à comprendre davantage ce qui se passait, de ne pas avancer dans ma compréhension de l’histoire. Je crois que j’aurais aimé avoir quelques indices, des petites infos qui me permettent progressivement de déduire des choses, tout en préservant la chute. Ou alors, avoir cette impression de progression juste en changeant l’ordre de certains éléments (par ex, évoquer le mur grisâtre plus tard).Je ne sais pas si je suis claire… Peut-être que les autres n’ont pas eu la même impression que moi / ont réussi à deviner davantage ?
Je réponds à ta question, Ariane: moi j’ai très vite identifié l’univers carcéral. Au tout début du texte, j’ai pensé à un acteur qui allait monter sur scène, et puis très rapidement, à une garde à vue. En voyant défiler les paragraphes, ça a été plus flou un peu, avant que je retombe sur mes pieds. Mais du coup, c’était plutôt bien dosé pour moi, puisque perdre un peu lecteur (pas trop) fait partie du ressort narratif choisi par Mini.
Je trouve que tu as bien réussi à faire monter la pression (et le suspens) tout au long du texte…on sent qu’on approche de la chute, et qu’elle risque d’être pire que tout ce que l’on pourrait imaginer à la première lecture.
J’ai bien aimé comme tu as écrit ton texte, j’ai été complètement perdu au début puis à la fin tout s’est assemblé comme un puzzle !
Je m’attendais à une chute particulière mais pas à celle ci ! Alors Merci de m’avoir surprise !
Comme Gaëlle, j’ai assez vite deviné l’univers carcéral. En revanche je ne comprenais pas quelles étaient ces « séances » où on ne lui donnait pas la parole. Je me disais que ça devait être lors du procès, mais ça ne collait pas avec certaines partie de l’histoire. Vu la gravité du thème, je crois qu’il me manquait à peine de tension. Peut-être que la proposition de Gaëlle permettrait d’ajouter une dimension supplémentaire qui donnerait à ta juste un ton encore plus glaçant.
Ton histoire me fait penser à un roman dont je ne retrouvais pas le nom : La puissance des mouches de Lydie Salvayre