Texte de Melle47 – « Les deux font la paire… » *

Je lui tape légèrement mais sèchement le dos de la main pour lui faire lâcher prise.
« Aïeuhhh… T’es pas obligée de me taper dessus ! » Ma fille ronchonne. Secoue la main. Cette ado, tout dans l’excès…
« Mais enfin… Tu es sans cesse en train de la tripoter. Et puis, tu m’épuises avec tes incessantes questions… Pourquoi, pourquoi, pourquoi… »
Je termine mon maquillage par une touche de rouge à lèvre. Vérifie mon chignon. Me regarde une dernière fois dans le miroir de la coiffeuse. C’est bien. Ni trop, ni pas assez. Je me trouve jolie. J’aime m’apprêter lorsque je sors et ce soir est un grand soir. Je relève le nez. Observe dans la psyché Jacques qui entre dans notre chambre, très élégant dans son costume sombre. Je déguste le sourire bienveillant que j’entrevois. Lui offre à mon tour l’expression douce et calme de mon bonheur serein. Je tourne la tête vers lui, plonge mes yeux heureux dans ses yeux brillants. Il tend la main pour m’inviter galamment à me lever. Il me fait tourner. Je lève les yeux au ciel comme pour me moquer de lui. Rigole comme une jeune première. Il se penche pose ses lèvres dans mon cou. Je frissonne. Me reprends. Sophie … Je me tourne vers elle. La curieuse, toujours là, ne nous prête pas attention. Elle tient du bout des doigts cette boucle d’oreilles solitaire qui traîne sur ma coiffeuse. La regarde, encore une fois, d’un air perplexe.
« Je ne comprends pas… » poursuit-elle songeuse toujours dans la contemplation du petit objet fait de piécettes couleurs cuivre mat. Cette petite chose, cette petite babiole insignifiante et pourtant si chère à mes yeux.
« Tu sais toi, papa ? » dit-elle, levant le regard vers l’homme à mes côtés.
« Tu sais toi, pourquoi maman garde cette vieille breloque comme un chien son os, me grognant dessus chaque fois que je lui demande pourquoi elle ne la balance pas ? »
Son père attrape le colifichet entre ses doigts, le fait tinter, l’agite sous la lumière. Elle produit le même son à mon oreille qu’un carillon au loin qui joue dans le vent. Une vague de souvenirs me submerge. Je ferme les yeux. M’absente. Remonte loin dans le passé. Mes lèvres s’étirent… Je savoure… Jacques attrape ma main, l’ouvre, embrasse le creux de ma paume, plonge ses yeux couleur de mer dans les miens couleur de miel, pose la boucle, referme mes doigts dessus comme pour garder ce petit trésor en sûreté. La garde un instant au chaud dans les siennes.
« Cadeau ! » …
« Viens ma fille. » Il se tourne vers elle, pose une main dans son dos et la pousse vers la porte.
« Laissons ta mère finir de se préparer. Tu ne voudrais pas que nous soyons en retard ».
La porte de notre chambre se ferme derrière eux. Je me laisse glisser sur le fauteuil. Le passé me happe.

***

« Aïe… Outch ! »
« Oups ! Désolé » …

Je relève la tête en m’effleure le front. Le choc a été léger mais sec. Je plonge mon regard dans celui du serveur qui s’est baissé en même temps que moi pour ramasser une petite chose que visiblement nous avons découverte en même temps. Elle gisait là, au pied de la table de bistrot à laquelle je suis installée en terrasse.

Le jeune homme, la mine déconfite se tient là, paume tendue vers moi, me présentant l’objet de la collision.

« Encore une fois, je suis désolé. Vous n’avez pas mal ? J’ai vu cette boucle d’oreilles. J’ai pensé que vous l’aviez perdue, mais visiblement elle n’est pas à vous, n’est-ce pas ? »

Il sourit devant mon air hagard, mon manque de réaction. Hausse les épaules dans un geste d’impuissance face à cette situation cocasse et si “clichée”. Il tend toujours la main vers moi, attendant sans doute que je me remette du choc.

Mais quel choc ? Le coup porté à ma tête ? celui porté à mon cœur qui s’est mis à battre et que je tente de contenir derrière ma main pressée sur ma poitrine ? Non, mais réellement. Suis-je en train de le dévisager ? Ai-je perdu toute retenue ou bien notre rencontre frontale m’a touchée plus sévèrement que je ne le pense ?

Je prends une belle inspiration, lâche mon traitre de cœur, tends la main vers la sienne et soulève la petite chose dorée l’agitant dans un sens, dans l’autre. Penchant la tête d’un côté, de l’autre. Laissant le temps à mon esprit de reprendre le dessus.
« Non, elle n’est pas à moi. »
Je plonge mon regard de jeune fille timide dans celui, coquin, du jeune homme qui semble se moquer de moi.
Montrant mes oreilles du doigt :
« Je constate » poursuit-il narquois… « Je constate » …
Je porte imprudemment la main à mon oreille. Constate forcément la même chose. Mon cœur capote encore. Je rougis. Le serveur doit me prendre pour une greluche.
Il se penche vers moi. M’observe un instant…
« Elles sont pourtant bien jolies ces boucles. Elles vous iraient à ravir… Elles mettraient en valeur ses jolies couleurs qui affleurent vos joues »
Le vaurien. Trahison… Je baisse les yeux, couvrant lesdites joues de mes mains.

« Allons… » fait-il joyeusement, levant mon embarras silencieux. Il prend ma main, pose délicatement sur ma paume l’objet de cette étrange rencontre, ferme doucement mes doigts dessus, conserve dans les siennes ma main tremblante.
« Cadeau ! »

***

« Mamaaaan…. »
Je me redresse. Ouvre la main. Retiens mon souffle…


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Il faut bien que quelqu’un commence … Je vais commenter dans l’ordre d’apparition.

J’ai apprécié cette jolie histoire sentimentale, très bien menée. Bons descrictif – sons et même interjections, descriptions pour visualiser, sentiments intimes. La famille heureuse et unie avec la gamine collante (Sophie, ça me rapelle la contesse de Ségur). Il m’a fallu lire plusieurs fois pour déterminer que la rencontre n’avait eu lieu avant ou après Jacques, mais que Jacques était l’ancien serveur (la clé étant le « Cadeau » en fin des 2 parties). Par contre je n’ai pas encore trouvé la justification du titre.
La narration au présent nous met dans le bain, les phrases sans sujet ou sans verbe donnent du rythme au récit, mais là il y en a peut-être un peu trop.

Pour pinailler : Je n’aime pas « clichée » (ce n’est pas un adjectif). Il y a passage directe d’une phrase avec « le colifichet » (masculin) à la suivante « Elle produit … »
Mais c’est facile à corriger.
Travail très agréable à lire.
Trados

Bonjour Melle47

C’est une histoire de transmission que vous nous racontez.
Sur le mode de la petite voix intérieure vous vous appuiez sur l’ellipse du sujet au début du texte (…le « je » dans la première partie :Vérifie mon chignon…Me regarde… le « il » dans la deuxième : me regarde), sans abuser de l’effet. C’est bien vu, ça donne un rythme très doux au texte. Pour la voix du serveur, par contraste le « je » répété (je constate, je constate) souligne son assurance, normal.

Je suis un peu surpris et plutôt séduit par la relation que tu construis entre la mère narratrice et sa fille. Surpris tout d’abord, par certains termes : cette ado, tout dans l’excès… Vous créez une distance entre la mère et la fille (pronom démonstratif « cette »). La narratrice aimerait bien qu’on la laisse un peu en paix dans ce moment d’intimité avec elle-même puis avec son Jacques (l’homme, le père) tandis que la fille « la curieuse » mise à distance continue de tourner autour. Une distance que la narratrice brise finalement après une plongée en elle-même. Il est temps de lui ouvrir la porte du monde, en lui offrant un petit présent, un « allez vas-y, comme moi tu y as droit ».
Merci de ce beau texte

Pour moi ce texte, c’est « une chanson douce »…. Tout y est doux, effleuré du doigt, des yeux ou du coeur. Oui, c’est cliché que la rencontre sur un objet tombé à terre, mais ici, ça a produit du bon semble-t-il, même une ado boudeuse et curieuse ! Melle 47 a beaucoup joué sur les yeux (amusant pour parler d’une boucle d’oreille) : mes yeux heureux dans ses yeux brillants et plus loin ses yeux couleur de mer dans les miens couleur de miel. J’ai beaucoup aimé.
C’est un beau texte. La douceur en est apaisante et les personnages très attachants. Bravo Melle47
Ktou 14

J’aime l’idée du coup de foudre. De la boucle d’oreille, symbole de leur rencontre, de leur amour. J’aime aussi la plongée intérieure, souvenir, flash back.
Pas de problème pour Jacques.
Un truc qui me dérange : la relation mère-fille.
Pourquoi l’envoie-t-elle balader comme ça ?
Quel intérêt dans l’histoire ? (Simon, où vois-tu la distance brisée après la plongée en elle-même ?)

Merci de la remarque. J’ai lu trop vite et mal interprété le « cadeau » en effet. J’ai cru que la mère donnait la boucle à sa fille…ce qui en fait une transmission.
Là c’est donc une mère qui a simplement envie qu’on la laisse tranquille pour se souvenir. Why not?

Bonsoir à tous… merci pour vos commentaires, ils sont précieux pour avancer…

Et si j’avais terminé mon texte avec cette petite phrase de plus?

… Je me penche vers le miroir, pince les deux clips à mes oreilles. Mes yeux de miel se voilent. Je me dépêche de descendre… Mais comment a t’il fait?

Je crois que Trados s’est posé la bonne question avec sa remarque… mais pourquoi « les deux font la paire? » Francis avait trouvé une moitié, voilà l’autre… tout l’art de la chute réussi tiendrait elle dans je mets ou pas cette dernière phrase? Vont-ils comprendre avec le souffle retenu qu’il se passe quelque choses où non…

Pour l’ado… c’était glisser une note de vrai dans une histoire peut-être trop cliché… comme un équilibre à tenir…

Ok Melle47. Je comprends le rôle de l’ado. C’est compliqué cette histoire d’équilibre. On est sur le fil du rasoir quand même je trouve. On aurait vite fait de tomber dans le parasitage. HELP Francis, est-ce que le rôle d’un personnage secondaire peut enlever du sens, de la force à l’histoire initiale?