Il m’avait fallu dix heures de route pour arriver à destination. Dix heures avec plusieurs arrêts : pause pipi, pause-café, pause repas, pause obligatoire « je ne m’endors pas au volant ». Pendant ces dix heures, les mêmes voix m’avaient tenu compagnie ; je faisais les chœurs un peu casserole ; seule dans ma Polo, je ne risquais de casser les oreilles à personne. Partie au lever du jour, j’étais à la tombée de la nuit au cœur de ce petit village, familier à mon cœur mais devenu presque inconnu à mes yeux. Cela faisait vingt ans que je l’avais laissé derrière moi, avec son lot de souvenirs, joyeux ou dramatiques. Lieu de mon enfance, lieu de mon adolescence.
J’avais retenu un petit appartement avec AirbnB dans un corps de ferme, transformé en gîte. Je commencerai demain le pèlerinage.
En me couchant ce soir-là, je me sentis enfant dans un corps d’adulte, bien au chaud sous l’épaisse couette, incontournable agrément en ce mois de janvier dans cette partie de France. J’essayais en vain de trouver le sommeil, les yeux fermés et je passais la nuit entourée de visages, d’histoires, d’évènements, de situations et de lieux appartenant à mon passé.
J’ai toujours été fascinée par les vitraux de l’église. La lumière qui y transperçait, m’appelait. Les particules de poussières microscopiques tourbillonnant dans l’espace en suivant la ligne du rayon lumineux lui donnaient vie et il me semblait alors que je pouvais entrer en communication avec elle et le ciel.
Au-delà d’y être présente lors des différentes célébrations, je poussais très souvent ses lourdes portes, toujours ouvertes, prêtes à accueillir le badaud. Elle refermait alors ses bras maternels autour de moi comme pour me protéger en son sein. Une fois dans les lieux, la fraîcheur de l’espace, surtout l’été, provoquait en moi un frisson parcourant tout mon corps comme pour me signifier ma vivance. Le silence qui régnait là, tout autour, n’était en rien pesant bien au contraire, il était une invitation à être encore plus à son écoute, attentive au moindre son, au moindre souffle qui s’échappaient de ses vieilles pierres et boiseries. À pas feutrés, comme pour ne pas réveiller la quiétude ambiante, pour ne pas la déranger, j’avançais jusqu’au pied des grandes orgues, entrailles ténébreuses ou joyeuses selon les évènements d’actualité de cette maison, qui pendant quelques heures serait mienne. Assise au milieu des trois marches qui séparaient le chœur de la nef, les vitraux m’offraient leur distraction bienveillante par le jeu de couleurs chatoyantes au sol, véritable danse mouvante pour le plaisir des yeux, presque hypnotique. Ainsi choyée, je laissais libre cours à mes pensées et partageais avec elle les turbulences de ma vie, comme l’on peut le faire avec une amie confidente. Un léger courant d’air, un grincement subtil parfois l’arrivée d’un fidèle rompait notre communion, me signifiant le moment de mon départ. Sur une dernière respiration profonde, je me levais, lui rendait grâce en brûlant un cierge, et en glissant un petit sou dans le tronc.
J’ouvris un œil puis l’autre. Le jour pointait son nez à travers le store. Quelques secondes, je me demandais où j’étais et me rappelai très vite ce besoin presque viscéral de retour aux sources et là comme une évidence, la visite de ma chère église, mon amie, ma confidente d’antan s’imposa à moi. Mon pèlerinage commencerait ici et nulle part ailleurs.
Photographie : cc – pixel2013 – Pixabay
Voici une nouvelle, quoique courte, que j’ai beaucoup appréciée. Le personnage arrive (ce pourrait donc être une ouverture classique de roman découlant d’un lieu et d’un moment déterminants, porté par une quête cruciale et actuelle dans la narration, ce qui crée immédiatement l’installation d’une tension romanesque) et est vite croqué et compréhensible, attachant et intriguant. Le lieu, cette vieille église, est très visuel (Ah, la poussière qui flotte dans les rayons ! – j’en sentais presque même la vieille odeur de ces églises de campagne !) est symboliquement et polysémiquement chargé (on comprend tous que le pélerinage n’est pas forcément religieux, mais que pour le personnage, il est ou sera en quelque sorte, sacré), tout donne envie d’en savoir plus. Bref, une réussite avec une belle économie de moyen. C’est un générique 🙂
Je voudrais à cette occasion pointer un truc : au cinéma, en littérature, si on revient 10 ans après, quelle que soit la période de notre vie ou notre âge, finalement les choses ont vieili, mais cela n’a pas tant changé. Du moins cela ne prend qu’un sens : celle superficielle de la fuite du temps. En revanche lorsqu’on revient vingt ans après (comme le poème d’Aragon, pas comme chez Dumas 🙂 ) on est frappé par une plus forte implacabilité du temps : les choses ne pourront définitivement plus être les mêmes. Des pages se sont irrémédiablement tournées, on a appris, on est dans le bilan, des virages ont été définitivement pris, du sens profond vient d’ajouter et de nouvelles perspectives s’offrent. C’est aussi, vingt ans près, le début d’une sagesse et l’ère de certaines renonciations. D’où ce « cliché » (au bon sens du terme) des « vingt ans après » récurrent en récit, fictions… On est imbibés, toutes et tous de cette notion des « vingt ans après », abondante en littérature, qu’on a lu Proust ou non. C’est ce qui est très bien rendu ici. Et le lieu, alors emplit tout le personnage, et est là en fait, un personnage en lui-même.
J’ai eu du mal à entrer dans le texte. Après 2 lectures, j’ai compris que le pèlerinage avait été dans les rêves avant que demain peut-être et sans doute il soit comme un voeu exhaussé.
Pour ma part, et c’est peut-être ma réticence …
je voyais 2 pistes:
piste 1 : comparer la préparation du pèlerinage avec sa réalisation ?
piste 2 : j’aurai aimé une visite d’une vielle église poussièreuse et miteuse (elle est déjà myhtique, pourquoi pas miteuse … (humour)) et entre les yeux et le coeur, la cathédrale de ‘ses’ rêves ravive les souvenirs.
Sinon, j’ai apprécié la forme, avec des phrases avec ‘propositions’, qui rendait le texte plus riche et ‘en mouvement’
J’apprécie beaucoup ce texte pour sa sobriété qui fait appel à tous nos sens et j’imagine très bien la petite fille toute intériorisée dans cette église aux » bras maternels. »
Le texte est très beau. J’ai particulièrement apprécié la description de l’église. Le fait qu’il s’agit d un rêve met vraiment en évidence le besoin du personnage à se ressourcer au sein de ce lieu.
J’adore les églises et je comprends très bien ta fascination de petite fille pour ces lieux sacrés et pourtant si familiers.
C’est l’endroit où l’on est bien accueilli, où l’on se confesse, où l’on communie. On s’y sent tranquille, même dans la solitude, et c’est bien ce qui ressort de ton texte, bien qu’il n’y ait aucune référence à une éducation religieuse. Ce que je trouve un peu dommage. La quiétude d’une église est intimement lié à une religion, comprise comme de paix.( à tort ou a raison)
J’ai beaucoup aimé ton petit mot sur les entrailles des grandes orgues. C’est tout à fait ça : « ténébreuses ou joyeuses ».
C’est un très bel endroit pour commencer un retour en arrière.