Les vacances scolaires arrivaient à grand pas. Sonia et moi, nous nous étions accordées pour oser une sage folie, aller danser en boîte de nuit ! Cela paraît très certainement d’une exceptionnelle banalité à quiconque est étranger à ma vie de mère célibataire, jonglant sans répit entre obligation professionnelle, enfants, intendance de la maisonnée… Bref le joyeux bazar organisé !
Cette sortie était d’une urgence absolue, le seul choix possible, après une énième joute verbale avec celui qui brillait par son absence dans la vie de mes enfants. Un coup de fil une fin de soirée plutôt morose, Sonia n’avait pas été longue à convaincre ; elle s’organiserait avec son époux ce soir-là et nous profiterions d’une soirée animée comme à nos vingt ans ou presque… La douce violence du doute m’envahit très vite, déconnectée depuis bien longtemps de ce monde de la nuit. Les codes, les règles avaient-elles changé ? De grandes réflexions existentielles surgirent : comment s’habiller ? Où aller ? C’était à mourir de rire ! Moi qui souhaitait tant rompre avec cette réalité routinière parfois étouffante, m’échapper juste le temps d’une nuit, je m’angoissais à sortir de ma zone de confort d’un bon film avec un paquet de biscuits sur le canapé entourée de mes chiens !
Le fameux samedi arriva… Un jour sans fin pour se préparer à une nuit blanche. Sonia et moi avions rendez-vous dans « notre » petit restaurant habituel, lieu de nos retrouvailles quand l’une ou l’autre souhaitait s’échapper le temps d’un déjeuner ou plus rarement d’un dîner. J’arrivai un peu en avance ; elle en retard comme à l’accoutumée. Je profitais d’un verre de vin blanc sec frappé à point en l’attendant, les yeux rivés sur la porte dont la clochette tintinnabulait à chaque entrée. Elle arriva, sourire aux lèvres, me fit un petit signe de la main tout en indiquant au serveur qui l’accueillait, qu’elle était attendue.
Son maquillage était plus accentué ; un trait d’eyes liner soulignait avec intensité son regard, l’ombre à paupière déposée en amande lui faisait des yeux de chat. Tout son regard était comme éclairé d’une lumière obscure. Elle était jolie à croquer et c’était ma meilleure amie. Elle commanda un verre à son tour puis nous nous régalâmes d’un poulet sauce aigre-douce et de ses petits légumes… Minuit arriva à petits pas feutrés… Un silence éloquent s’était installé entre nous depuis plusieurs minutes, signe avant coureur du questionnement intérieur.
« On y va, on n’y va pas ? Qu’irait-on faire en boîte à notre âge ?
– À quoi penses-tu ? », l’interrogeai-je.
– Tu es sûre de vouloir aller danser ?
– Oui », mentis-je… « Pas toi ? »
Elle me répondit d’un « OK » tonique comme soudainement piquée par une mouche, fit prestement signe au serveur pour avoir l’addition.
L’air extérieur était frais et revigorant. Arrivées dans les lieux, entourées d’illustres inconnus déjà dans l’ambiance de la fête, nous nous sentîmes un court instant comme dans une réalité virtuelle puis très vite, nous profitâmes du moment, à rire et à danser comme des folles que nous étions, jusqu’au petit matin.
Nous nous quittâmes après une longue étreinte sans se promettre de refaire une telle escapade ni s’avouer qu’il nous faudrait un repos intensif pour nous en remettre !
Photo : Kaptain Kobold – Visual Hunt – CC BY-NC-SA
Tout d’abord saluons le plaisir amusé de lecture. Ce pétillement quand on voit l’intelligence et l’astuce employées par l’auteure. Marine s’est très certainement amusée à placer la contrainte de l’oxymore en tant qu’entre-deux ou en opposition ou contradiction, partout où elle pouvait. J’en ai repéré au moins dix : nuit blanche, sage-folie, exceptionnelle banalité, bazar organisé, brillait par son absence, douce violence, jour sans fin, lumière obscure, aigre-douce, réalité virtuelle… sans compter la situation transitoire, d’entre-deux, au seuil ou en marge de leurs vies que vivent ces deux femmes à l’occasion de l’escapade. Tout cela crée un climat qui fonctionne parfaitement, à touches discrètes.
Cela étant dit, alors que l’exposition et le déroulement me semblent donc être parfaitement écrits -il y a une montée, une promesse vers une fin… qui hélas, ne vient pas, du moins pas assez haut. La chute, si je puis me permettre, est assez plate. La soirée est finie : bon ben OK, et ça retombe.
Ce qui manque hélas, c’est une ouverture vers un futur pas forcément chambouleur de tout, mais vers un changement, même minime. Là, on a l’impression, du moins c’est la mienne, qu’elles vont reprendre leur quotidien, sans en avoir tiré autre chose qu’un bon moment certes, mais cela ne décolle pas plus. L’art de la chute, c’est d’offrir de quoi nourrir le lecteur, même si c’est avec un plat connu, même si les ingrédients ont déjà été proposés depuis des siècles de récit. Je pense qu’on aurait pu finir de façon plus porteuse.
Comment ? En utilisant par exemple simplement une description petit matin gris bleu. Quand les oiseaux recommencent à chanter, qu’on avance dans la ville déserte et silencieuse et la lumière naissante. De ces moments où on a le sentiment que notre vie est unique, lyrique, exaltée, différente… et belle. De ces moments où on se réconcilie avec l’existence parce qu’on avait un peu oublié ces possibilités et plaisirs simples de sage folie. Les deux femmes riantes, et remontant la rue dans les premiers rayons, bras dessus-dessous, alors que la nature (même en ville) reprend ses droits, c’est « Il est 5 heures Paris s’éveille », dans la version énergique d’An Pierlé (meilleure que celle de Dutronc) :
Les deux copines seraient tout aussi heureuses, mais implicitement on sentirait que quelque chose a changé au plus, ou au moins qu’elles sont en accord avec elles-mêmes.
Et cette façon positive de conclure serait, certes « cliché » (mais qui fonctionne), et plus sensible et visuelle qu’une simple embrassade… Il y a l’autre solution : celle de faire apparaître en toute fin, comme la fait Melle47, un élément extérieur et signifiant, drôle, pétillant en l’occurence et vu l’argument porté par le texte : une scène cocasse, un personnage inattendu, un détail (une affiche qui leur dit Just do it, enfin, vous voyez l’idée)… Tout cela ne peut prendre que peu de lignes de plus.
Merci Francis, je vois très bien vers quoi il me faut aller… et je reconnais que ma fin amène à rester sur sa faim!
A notre âge ?? Mais oui, il faut danser ! J’ai eu envie de vous suivre dans votre virée et rentrer en chantant.
Merci pour cette échappée 🙂
Que de fébrilité dans la préparation de cette soirée. Un vrai bain d’excitation et d’oxymores. Bon allez, on va donner raison à Francis pour cette histoire de fin. (Son « Just do it » m’a fait sourire). C’est casse-pieds cette histoire de chute, mais heureusement qu’il est là pour nous pousser à la faire parce que quand on y arrive c’est juste bon.
Marine, ton texte m’a fait sourire parce que je m’y suis projetée (les codes et les règles en boîte ont-ils changé?, comment s’habiller? Ces questions, je me les suis déjà posées!!.). À quel âge sommes-nous trop vieux pour sortir en boîte (ou faire telle ou telle autre activité) ou sommes-nous encore assez jeunes pour le faire??
Merci pour ce moment de lecture!
Marine,
J’ai beaucoup aimé ton texte. J’y perçois à la fois la re(découverte), l’envie de deux femmes qui se prépareraient comme des ados et une certaine retenue malgré tout du fait d’une certaine maturité, d’années de vie, d’épreuves qui ont fait que la vie les a rendu plus sages entre guillemets ….. C’est doux, léger et en même temps je ressens qu’elles auraient eu envie qu’une petite fée bouscule un peu leurs vies à l’aide d’une baguette magique. Si ce moment là avait pu se produire ….. Merci Marine.