J’ai toujours aimé la couleur bleue.
Je dis « la », non qu’elle soit unique bien au contraire, il en existe plus de cinquante nuances… et s’il en manquait, j’en ai inventé d’autres tout au long de ma vie.
Je m’appelle Marine, n’est-ce pas le prénom prédestiné par excellence pour qui aime le bleu? Je suis née avec la particularité visuelle que l’on nomme daltonisme, et qui modifie la perception des couleurs. Cela ne fait pas mal comme un bleu sur lequel on appuie, c’est plutôt comme si j’étais aveugle de certaines couleurs, et, du coup, mes yeux compensent avec les nuances de bleu, réelles ou inventées comme le bleu-cerise, le bleu-coquelicot ou le bleu-pâturage. Oui je sais, cela paraît sans doute étrange à qui ne voit pas avec mes yeux.
Il faut me comprendre, le premier souvenir de chute dont je me souvienne, j’apprenais à faire du vélo sans roulette, je devais avoir trois ou quatre ans. Au premier virage, équilibre encore précaire, mon regard a été attiré par un avion dans le ciel bleu clair, laissant un joli dessin derrière lui et patatras… Les gravillons du chemin du parc public qui jouxtait la maison ont eu raison du côté droit de mon petit corps. Haut de la cuisse éraflé, genou et paume de la main bien amochés. Quand je me suis relevée, j’ai observé longuement, fascinée, le liquide encre bleue foncée qui coulait lentement de mes plaies. Quand maman m’a soigné en me mettant du « rouge », je n’ai pas voulu la contrarier. Pourtant, le produit rouge qui me picotait tant aux endroits blessés, moi, je le voyais plutôt bleu ardoise.
Quand je ramenais mon carnet de travail pour montrer à mes parents l’évolution de mes apprentissages, ils me félicitaient toujours vivement de la collection de points « verts » soulignant mes acquis… Là encore, pourquoi pas, si eux les voyaient verts, pour moi, ils étaient plutôt bleu turquoise ou mers du sud.
Je compris que mes yeux avaient une vraie particularité quand avec mon grand-père, je parcourais la campagne, un dimanche après-midi ensoleillé sous un ciel azur. Nous étions au printemps. Mon grand-père, il sait tout. Il m’explique longuement et patiemment tous les trésors de la vie et m’exerce à regarder du bon oeil ce qui m’entoure pour en apprécier toujours plus la diversité.
Ce fameux après-midi, il me dit :
« Regarde ma chérie comme le rouge de ces coquelicots ressort du vert de ce pâturage tout neuf. »
« Rouge », « vert », lui aussi me parlait de couleurs que je ne distinguais pas. C’est ainsi que sont nés le bleu-coquelicot et le bleu-pâturage.
Un beau jour, un drôle de médecin est venu à l’école pour peser, mesurer, contrôler les oreilles et les yeux de chaque enfant. Il portait une blouse bleue canard comme les infirmiers. Je n’étais pas très rassurée, pas au point de la peur bleue qui vous noue l’estomac, mais quand même.
C’est ce jour là que mon secret si bien gardé a été dévoilé au grand jour et, avec lui, envolées mes grandes aspirations professionnelles de devenir pilote de chasse et intégrer la patrouille de France. Qu’à cela ne tienne, je naviguerai en solitaire sur les océans lapis-lazuli !