« J’ai envie de toi »
Sonia venait de rentrer chez elle. Il faisait nuit, il pleuvait. Le temps était à l’image de son moral : maussade.
« J’ai envie de toi »
Elle s’installa devant sa coiffeuse, défit sa coiffure, retira le boucles d’oreille qu’elle avait hérité de sa mère un an auparavant.
« J’ai envie de toi »
*
Le week-end de Pentecôte s’annonçait parfait. Jean et elle avaient loué un appartement à Deauville, en bord de mer. Il faisait beau, loin de la grisaille parisienne.
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« J’ai envie de toi »
Elle se mit à pleurer.
Ce qui s’annonçait comme un conte de fées (elle s’était surprise à rêver d’une demande en mariage sur la plage, au clair de lune) a tourné en cauchemar.
Une phrase. Cinq mots. « J’ai envie de toi »
*
Jean et Sonia étaient installés au « Bar de la Mer », afin de profiter de la vue. Jean avait commandé un double espresso. Sonia un verre de lait fraise, sa madeleine de Proust à elle. Le téléphone de Jean se mit à sonner.
Il invoqua un « coup de fil important pour le boulot », se leva, jeta un billet de 50€ sur la table, et s’éloigna.
Au bout d’une demi-heure, ne le voyant toujours pas revenir, Sonia ramassa la monnaie et partit à sa suite.
Elle l’aperçut au loin. Même de dos, elle le trouvait beau, avec ses cheveux bruns et sa silhouette musclée mais pas trop.
Sonia adorait la météo Normande en cette saison automnale. Le soleil, un peu de vent mais pas trop, des températures encore très correctes pour un mois d’octobre. Mais ce qui lui plaisait le plus, c’était la luminosité, surtout en fin de journée, quand le soleil se couchait.
Jean marchait, les pied dans l’eau, les chaussures à la main. Sonia décida de le surprendre en arrivant derrière lui. Elle l’entendait rire. Il semblait très détendu, pour quelqu’un qui parlait boulot. Mais Jean aimait son métier. Être trader à son compte, c’est un métier permanent, mais il était très calé dans son domaine, et malgré son âge (35 ans), il bénéficiait déjà d’une certaine notoriété.
Elle s’approchait de lui discrètement, pour le pas le déranger.
C’est alors qu’elle l’entendit prononcer ces mots.
« J’ai envie de toi ».
Bien-sûr, il ne s’était pas rendu compte qu’elle était derrière.
Elle avait peut-être mal compris.
« J’ai envie de toi ». Comment pouvait-elle envisager qu’il ait pu dire ces mots à quelqu’un d’autre ? Quand les lui avait-il dits à elle pour la dernière fois d’ailleurs ?
Certes, leur vie sexuelle n’était pas aussi trépidante qu’au début de leur histoire, il y a cinq ans. Mais elle n’était pas inexistante non plus. Sonia mettait ça sur le coup de la routine, d’ailleurs. Aucun signe n’avait jamais donné l’impression que.
Sonia ne sut pas quoi faire, comment réagir. Les paroles qui suivaient étaient sans équivoque. Aucun doute n’était possible.
Il ne s’était toujours pas rendu compte de sa présence. Elle s’était arrêtée. Il avait continué à avancer.
Elle décida de faire demi-tour. Elle retourna à leur appartement. Jean avait la sale manie de ne jamais fermer à clés. Pour une fois, c’était une bonne chose.
Elle fit sa valise, appela un Uber et se rendit à la gare de Trouville-Deauville, pour emprunter le premier train pour Paris.
Elle était partie sans un mot.
Elle arriva à leur appartement aux alentours de 21h30. Elle avait coupé son téléphone jusque-là. Quand elle l’alluma, elle découvrit que Jean avait essayé de l’appeler plusieurs fois. Et laissé plusieurs messages. Qu’elle choisit d’effacer sans les écouter.
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Après s’être démaquillée, elle éteignit la lumière, et alla s’asseoir près de la fenêtre, sur laquelle l’eau ruisselait.
Cette vue sur la Tour Eiffel allait lui manquer. Jean aussi, certainement. Après tout, ils avaient vécu ensemble cinq merveilleuses années.
Mais pour l’instant, la tournure qu’avait prise ce week-end qui s’annonçait pourtant si bien lui laissait un goût amer.
Par Lizou
Même si le traitement narratif est différent, Lizou nous raconte ce mois-ci une histoire qui se rapproche un peu de celle d’Ademar Creach. C’est une histoire autour de l’instant où tout bascule, qui devient le point de départ d’une autre vie. Quelque chose finit, quelque chose d’autre commence. Lizou choisit de faire de la cause de ce point de rupture –Cette phrase entendue- une sorte de leitmotiv qui revient, lancinant, et c’est une fort bonne idée, je trouve. On imagine que c’est ainsi que ça doit se passer dans la tête de Sonia, que la phrase doit boucler, cruelle et puissante. On retrouve dans ce texte une certaine volonté d’assoir les situations dans un contexte qui les accompagne : le retour est maussade (le temps aussi), le weed-end devait être grandiose (elle rêvait d’une demande en mariage). En créant ainsi des situations cohérentes, presque archétypales, Lizou déroule un texte fluide, qui nous emmène au plus près des ressentis de Sonia, et qui nous touche.
Mais justement, Lizou, je crois que tu pourrais aussi te risquer à « jongler » un peu plus avec ces contextes. Quelque fois, créer un effet de contraste peut servir à renforcer un personnage et à dynamiser la narration. Par exemple, pourquoi ne fait-il pas un soleil éclatant quand elle rentre à Paris ? Tu pourrais ainsi mettre en scène l’idée que tout se détraque, depuis le moment fatidique, et exacerber certains ressentis de ton héroïne, sans avoir à les expliciter de trop (« c’est dingue qu’il fasse beau, le ciel ne comprend rien à son chaos intérieur, ou quoi ? »… Simple exemple, hein).
Par ailleurs, je trouve que tu pourrais aussi réfléchir autour de cette phrase qui revient, le « j’ai envie de toi ». Je trouve hyper intéressant que tu l’utilises comme un genre de refrain cruel, mais je pense que tu pourrais réfléchir à la découper différemment en fonction des paragraphes. Qu’elle revienne parfois en entier, parfois en désordre, (« envie de toi. J’ai »), parfois découpée entre les autres morceaux de narration (J’ai/envie/de/toi), ou parfois juste un morceau de cette phrase entre deux paragraphes (« envie »). Bref, tu peux vraiment jongler avec ce refrain, pour en faire un support apte à nous faire comprendre plein de choses « internes » à ton héroïne.
Merci Gaëlle pour tes précieux conseils !
Merci pour ton regard si juste (dans tous les sens du terme).
Je tâcherai de faire attention à tout ça pour un prochain atelier!
Une histoire comme il doit en arriver souvent à des hommes, à des femmes qui ne sont bien évidemment nullement préparés. Je me suis mise à la place de cette femme. La situation est bien décrite, j’avais l’impression d’être elle. En même temps j’ai la sensation que cette femme n’éprouve ni de haine, ni de colère et qu’il ne s’agit pas au fond d’un véritable tremblement de terre. Est ce vraiment la fin de leur histoire ? Fin bien amenée qui me permet de me poser la question car au fond je n’en suis pas si certaine …..
J’ai bien aimé ton texte, j’ai été prise dans l’intrigue.
J’aime bien les deux suggestions de Gaëlle. Pour rendre ce refrain encore plus prégnant, tu peux aussi partir sur des dérives, du genre : « Envie. Moi j’ai envie de pleurer sous la couette pendant des mois. » Ou « Moi aussi, j’ai envie, ça ne lui est pas réservé. J’ai envie d’engloutir mon poids en chocolat », même avec des propos un peu décalés d’une l’héroïne sonnée…
Ah oui, décliner la notion « d’envie » et la décaler, ça peut donner des trucs très chouettes à l’arrivée, super bonne idée aussi!
C’est une chouette idée ça !
À réfléchir en effet ! Merci Ariane !
Quel contraste entre ses émotions déchirantes et ses actions bien déterminées, c’est vraiment bien posé! Décliner les envies pourrait un peu casser ça, ce serait dommage, ou alors vraiment bien pesé. Tu décris tellement bien sa façon de poser ses limites, de refuser sans bruit ce qui n’est pas acceptable pour elle. Ca rend le texte très fort, je trouve.
J’ai bien aimé ton texte, on a vraiment envie de savoir ce qu’il va se passer. J’ai beaucoup apprécié aussi la répétition du leitmotiv, qui doit tourner en boucle dans sa tête comme dans ton texte.
oui quelle jolie idée cette répétition, d’autant qu’au départ, on l’imagine énoncée pour de tellement meilleures raison
Je trouve ton style agréable à lire. On est dans l’histoire du début à la fin. En fait, au contraire du personnage d’Ademar qui n’est pas celle qu’on croit, Sonia est face à Jean qui n’est pas celui qu’elle croit. Déçue et sans doute vexée, elle réagit en partant. Tu nous bien décrit une réaction à chaud, un mélange de colère, de regret contrastant avec la joie du départ. On pourrait en rester là mais peut-être pas…
Merci pour vos avis qui sont très encourageants !
J’ai eu beaucoup de mal à trouver une idée pour cette première participation à l’atelier, et elle s’est finalement pointée à la dernière minute.
Vos encouragements poussent à retenter l’expérience.
C’est d’autant plus important pour moi que cela fait des années que j’essaie d’ecrire mais n’y parviens pas car jamais satisfaite.
Grâce à vous je vais peut-être enfin me faire confiance et me lancer !
Mille merci !
Ton texte m’a pris, vraiment.
Effectivement, au début, je m’imaginais partir sur un happy end et j’ai aimé le changement de situation.
Cette phrase qui tourne en boucle nous entraine avec elle dans sa chute, et j’ai vécu avec Sonia cette tempête de sentiments.
J’admire le calme qu’elle conserve malgré tout, et sa réaction qui reste rationnelle et qui la rend d’autant plus forte.
Lizou, je crois qu’il faut accepter de n’être pas satisfait, en écriture… C’est le meilleur chemin pour parvenir à l’être un jour 😉 (pour la petite histoire, c’est exactement pour cette raison-là que j’écris… Un jour on m’a demandé d’écrire un genre de poème pour l’anniversaire d’une copine, au prétexte fallacieux que « oh toi, t’es bonne en français ». J’ai trouvé ce que j’ai pondu ce jour tellement nul que je me suis dit que j’allais continuer, au moins jusqu’à écrire un truc qui soit à peu près potable à mes yeux, manière de ne pas rester sur un sentiment de nullité absolue… Et tu vois où ça m’a menée 😉 )