Le douzième coup de minuit vient de sonner, le compte à rebours est sur zéro…
Bonne année, meilleurs vœux, champagne à flots, cotillons et embrassades sous le gui. On se souhaite mutuellement le meilleur, santé, amour, gloire et beauté. L’année écoulée tire sa révérence, place à la relève. On l’espère meilleure, parfois on souligne qu’elle ne peut pas être pire que la précédente. À l’aube de cette nouvelle année, l’enthousiasme est de bon ton. Elle sera certainement l’occasion d’opportunités à saisir, à condition de s’en donner les moyens. On n’a rien sans rien ! On va se bouger, promis. Corriger les bugs récurrents pour une version améliorée de soi, la 2.0. On en arrive aux bonnes résolutions, recommandées voire obligatoires. D’ailleurs n’est-ce pas la question phare qui vient après la déferlante des bons vœux : “Alors quelles bonnes résolutions ?”. Celles-ci sont, à n’en pas douter, LA condition pour faire de cette nouvelle année un meilleur millésime que la précédente. Optimisation maximale des efforts au programme.
Tout cela m’amène donc à réfléchir à celles qu’il me faudrait adopter, susceptibles de changer l’eau en vin cette année. Ce n’est pas ce qui manque sur la palette diverse et variée des résolutions. Elle propose de la plus simple à entreprendre à la plus radicale, celle de changer de papier peint à celle de changer de vie. Entre les deux, il y aurait peut-être :
– Apprendre à méditer… ça m’endort.
– Combattre l’anxiété… ça me crispe.
– Bannir les escargots Lanvin… n’exagérons rien.
En poussant plus loin la réflexion, il me revient que, très récemment, on a pointé du doigt la procrastination. Procrastination qui s’est installée à mes dépens, je tiens à le préciser. Des conditions indépendantes de ma volonté m’ont littéralement jetée dans ce travers.
Certains y trouvent leur adrénaline dans cette fâcheuse tendance à tout remettre au lendemain et encore au lendemain. La pression de s’activer au dernier moment les transporte, leur fait accomplir des prodiges. C’est leur carburant. Je ne rentre pas dans cette catégorie de procrastinateurs. Elle est une dévoratrice d’énergie, de sommeil ; elle m’épuise, je l’exècre.
Comment ai-je pu devenir malgré moi, j’insiste sur ce point, une retardataire chronique alors que mon organisation était synonyme de papier à musique… ? Enfin, il me semble…
La procrastination s’est installée, comme le font les souris, insidieusement. On ne soupçonne rien, les premiers temps. Puis arrive le jour où on s’étonne de découvrir quelques grignotages légers dans le pain ou autres denrées. On accuse le chat ou les enfants. Chat fortement frappé d’amnésie sur son rôle de chasseur. De là s’ensuit la découverte horrifiée de petites crottes parsemées de-ci de-là. Le chat et les enfants injustement accusés, sont innocentés, reconnus victimes collatérales. Le problème s’est installé sous votre nez, en douceur, de plus en plus envahissant et incommodant.
Il en est de même pour cette tendance fortement marquée à l’ajournement, le processus est identique. Il suffit d’un léger sentiment de débordement et hop, on reporte au lendemain cette petite tâche insignifiante, mais en trop, à exécuter. Cette pointe de flemmingite est son cheval de Troyes, elle s’est glissée dedans, elle est dans la place…. La procrastination ne se montre pas gourmande aux débuts de son installation. Elle opère presque avec bonhomie “il y a le temps, tout va bien”, c’est sa manœuvre dilatoire, son chant de sirène. Elle se contente d’un petit pas grand-chose qu’on décale, et décale encore au risque qu’il prenne de l’ampleur à en devenir problématique, voire à friser la catastrophe.
Au fur et à mesure, elle a révélé sa boulimie. Il m’est devenu difficile de la priver de ses friandises goût “keep cool”. Le premier effet “Keep cool” passé, celui où j’ai procrastiné, arrive le deuxième. C’est le moment où je suis à la limite du hors-limite pour une tâche, un travail à effectuer, un document à renvoyer, etc. La panique prend le contrôle. Je ressemble à un naufragé qui met toutes ses dernières forces dans un crawl désespéré pour tenter de rejoindre un bateau aperçu au loin, dans l’espoir fou qu’il jette l’ancre. J’en ai des suées. Je me promets que c’est la dernière fois, trop épuisant. Je m’en convaincs, j’ai les ressources pour y arriver. J’y crois, je suis remontée à bloc.
Pour m’assister, j’ai investi dans un carnet avec la consigne non négociable d’y noter les tâches quotidiennes. Prendre les « rdv », appeler untel, régler telle facture, situation, féliciter la voisine pour son chien, même s’il est hideux,… L’objectif était de lire la liste chaque matin, et le soir d’y supprimer d’une rature ce qui avait été fait donc plus à faire. J’ai rayé plusieurs tâches dix soirs d’affilée, un bon début, encourageant. Mon entourage était surpris, à savoir le chat et les enfants. L’un et les autres étaient ravis : courses en milieu de semaine, croquettes et plats assurés. J’avais résisté à l’appel de cette voix mielleuse “il fait froid, la journée a été fatigante, je trouverai bien quelque chose à cuisiner, j’improviserai au pire, oui, c’est ça, j’ai tellement de choses à faire, il faut que je m’occupe du reste, ça peut attendre demain”. Engaillardie par ces petites victoires, j’ai baissé ma garde en délaissant petit à petit mon carnet. Fière, j’en ai oublié de me boucher les oreilles. Certaine d’être réconciliée avec ma capacité à organiser le quotidien sous la bannière de l’anticipation, que mon problème avait été réglé comme on remet les pendules à l’heure… Mais un mécanisme si bien huilé ne se laisse pas intimider si facilement par une piètre horlogère naïvement présomptueuse. Rassérénée et confiante, j’ai eu l’audace de repousser à plus tard une simple photocopie à faire pour les impôts, j’avais de la marge avant la date limite… qui est arrivée plus vite que je ne l’envisageais, avec un bonus de 10% à payer. La sournoise était toujours là, se moquant de mes efforts. Totalement insupportable.
Mon choix est fait dans cette palette de bonnes résolutions. Il n’y a plus à hésiter, cette année ce sera la lutte anti-procrastination. La vaincre enfin ! Mon carnet sera mon précieux allié dans cette guerre à mener. Il faudrait que je remette la main dessus.
Un peu tard pour aujourd’hui mais demain, sûrement…
Photographie : « Bullet journal », ou « Bujo » par y0mbo – Visual hunt – CC BY
Si vous voulez savoir ce qu’est un « Bullet journal » ou Bujo – cahier anti procrastination auquel fait certainement référence Khea, > c’est ici. Mais on va en reparler dans les commentaires j’imagine 🙂
En dehors du fait que votre texte est fort bien écrit et suggestif à souhait, il m’a fait découvrir avec étonnement l’univers des procrastineurs. Fort instructif, un autre monde… Moi qui suis obsédée par le fait de faire à l’heure, que dis-je à l’heure, à la minute près ce qui doit être fait (je vous garantis que c’est aussi chiant !) je viens de réaliser ce qui se passe dans la tête de mes contraires.
Votre texte est bien mené, et parfaitement crédible. J’ai aimé certaines comparaisons, fort bien trouvées, notamment l’analogie avec les grignotages des souris (ça je connais).
Bref, vous m’avez permis de réaliser que ce fléau pouvait frapper à tout moment. C’est bien, je suis avertie, je prends d’ores et déjà la résolution d’y résister s’il toque à ma porte ! Et une résolution de plus, une !
J’aime beaucoup la personnification de la procrastination et son analyse très pointue : la façon dont elle s’installe, se développe, devient tyrannique, semble s’effacer. Tout ça c’est remarquablement noté et, comme d’habitude, tout aussi
remarquablement écrit .
Et j’adore la chute, que je trouve brillante. La procrastination n’a pas dit son dernier mot Khéa ? Tu nous tiens au courant dans l’année ?
Le texte commence par une dépersonnalisation que j’aime beaucoup « on se fait…on se souhaite… On sent le groupe qui permet de marquer plus fortement le « je » qui vient ensuite.
Le regard sur les résolutions est plein d’humour. Le regard sur soi aussi. Et ce regard léger (de nouveau par contraste) met en valeur cette « pathologie » qui devient comme une maladie qui ronge et angoisse.
Comme dit le slogan qu’un neveu de 18 ans à collé sur sa porte : « les procrastinateurs seront les leaders de demain ».
Ah merci Simon pour ce slogan, je savais qu’il y aurait du bon…demain ;D
Ktou, promis pour vous tenir au courant, je note dans mon carnet …
Betty, ne lui ouvrez pas si elle vient gratter à votre porte !
Merci pour tous ces commentaires 🙂
Je me suis amusée à écrire cette nouvelle en partant du fait que j’étais constamment à la « bourre » pour rendre mon texte en temps et en heure à Francis. Et je culpabilisais évidemment. Mais, il y a toujours un mais, si je me suis inspirée de cette procrastination, je n’ai jamais eu de soucis de croquettes ni d’impôts. Le chat et les souris sont pure fiction . Le carnet existe bien 😉
Khea m’a fait rire car dans la proposition d’écriture, c’était bien évidemment -et en toute gentillesse- destiné à elle que je recommandais d’envoyer le texte en temps et en heure… Et du coup, c’est le premier texte que j’ai reçu jeudi… qui traite de la procrastination. S’en est presque un geste artistique à ce niveau 🙂 Bravo. Sinon, j’ai beaucoup aimé la personnification du problème, les métaphores, le grignotage des souris (*). C’est une belle réussite, stylée. Il y va du portrait, d’une part d’auto-analyse, d’un regard sur le problème somme toute si assumé, compris, qu’il permet cette belle distance par l’écriture.
Je suis juste un peu plus circonspect sur la chute (la dernière phrase), qui est somme toute, implicitement attendue : la procastrinatrice va procrastiner. C’est drôle, mais je trouve que c’est n’est pas au haut niveau de l’ensemble. Peut-être une pirouette plus forte, si je puis me permettre, aurait-elle clos le tout ? Comment ? Ce serait peut-être à chercher parmi les idées écrites par d’autres (le sujet fait beaucoup écrire) et s’en accaparer une.
Ainsi, du coup j’ai retourné ma maison pour retrouver en vain mon indispensable et formidable « Dictionnaire du Diable d’Ambrose Bierce » (on a dû me l’emprunter et ne jamais me le rendre – sans doute est-ce le méfait un procrastinateur), mais la citation est sur le Web : « Procrastination : « Ne remets jamais au lendemain ce que tu peux ne pas faire du tout. » (agrémenté d’une de François Cavanna : « Ne remets jamais au lendemain ce que tu peux faire faire par un autre. »). Enfin voilà, il y avait peut-être à chuter dans ces ordres d’idées (ou d’autres?) ? Ensuite, on peut aussi se demander -et c’est quelque chose que je me suis toujours demandé moi-même qui fait toujours les choses immédiatement par panique d’être débordé, (à cause de mes boulots multiples je suis constamment surchargé et je lutte en permanence contre les grains de sable dans les beaux rouages, c’est épuisant) : que font les procrastinateurs lorsqu’ils procrastinent ? Procrastinent-ils d’autres choses encore ? Est-ce que cela ne finit pas par les rendre immobiles, statufiés, pétrifiés au milieu de la pièce ? S’en est flippant (et du coup je m’occupe pour ne pas y penser). Enfin, j’ai regardé il y a quelque temps la vidéo du type qui a inventé le « Bullet Journal » et lu ses explications : c’est super compliqué, ça me fatigue d’avance, et je crains qu’on ne fasse que ça de ses journées : recopier des listes d’un jour sur l’autre… Et ne rien faire que s’auto-accabler, non ? 🙂
(*) Ce beau texte me fait penser qu’en matière d’exercice personnification, j’ai un sujet d’atelier très difficile et très original sur ce point (sujet que j’ai déjà appliqué maintes fois en ateliers présentiels), mais que j’hésite depuis 2 ans à soumettre ici car il est vraiment costaud. Peut-être lancerai-je un atelier exceptionnel pour les volontaires kamikazes : signalez-vous si vous voulez souffrir).
La chute m’a posé souci avec les temps.
La suggestion de faire faire par un autre est tentante. Comme à chaque fois, je reviens sur mes textes une fois l’atelier bouclé. Je vais retravailler la chute. Que font les procrastineurs lorsqu’ils procrastinent ? Bonne question…ils sont sûrement occupés à régler une urgence 😉
Je veux bien-être kamikaze.
Kamikaze : OK, c’est noté. Attention, ça va être prise de tête (Ooooh les effets d’annonce)
Je reste sur mon appréciation de la chute : cette résolution de ne plus procrastiner qui se termine par un renvoi au lendemain, j’aime bien. Une chute plus forte aurait peut-être été fatigante pour une « procrastinatrice ». (ça se dit ça ? quel mot barbare à écrire). Peut-être que tu trouvera une autre chute Khéa, mais…. demain !
PS : je suis kamikaze aussi, si on peut se défiler après avoir lu le sujet :)) ou remettre à plus tard !
Toujours remettre à demain ce qui peut-être fait demain… J’avoue que moi, j’ai trèèèès longtemps donné dans la rigueur teutone. Et puis… se sont mes enfants qui m’ont appris à procrastiner. C’est pas mal ça. Je confirme, quand on a mis le doigt dedans c’est foutu…Betty, fait attention! Francis, le procrastinateur procrastine aussi et cela donne parfois un être un peu désœuvré qui ne sait plus par quel bout procrastiner… Flippant!
Au passage… Joli texte… Je prends note de prendre des notes cette année… Fichtre…Toujours plus de travail…
Ah ah, formidables vos commentaires.
Oui, Ktou horrible ce mot. En y réfléchissant, une chute plus forte peut-être fatigante à trouver. Je vais y penser, le noter à l’occasion 😉
Mlle 47, excellent ce clin d’oeil à Francis. La procrastination n’a pas que du mauvais, le truc est de savoir lui donner des limites comme les enfants, en fait ;D
Le problème numéro un de la procrastination est bien du travail, toujours du travail. Pfff
Super cette description de la procrastination. je ne sais pas vous mais j’ai toujours un mal de chien à prononcer ce mot ! Peut-être parce que je ne veux pas admettre que j’en use et abuse. Surtout dans l’écriture d’ailleurs, oh j’écrirai demain, pas d’idée aujourd’hui, pas d’inspiration, pas de stylo, ni d’ordi… oublié mon carnet, et j’en passe. Merci en tout cas, pour cette analyse impitoyable, c’est dit ! Ce sera ma bonne résolution de l’année !
Et si ce n’est pas cette année, ce sera pour la prochaine