Texte de Groux

23 juin -6h10

Mal réveillée, je me dirige vers les toilettes comme à mon habitude. Une idée soudaine me pousse à passer par la salle de bain, prendre la petite boîte que j’ai toujours en avance et retourner aux toilettes.

Je sors l’espèce de tube en plastique, je ne lis plus la notice, cela fait tellement de fois que je le fais que je connais les gestes par cœur. Je me prépare à avoir le même résultat négatif que les autres fois. Mais je le fais quand même, on ne sait jamais.

6h17

Le résultat s’affiche. Une jolie croix bleue. De stupeur, je crois que je me suis arrêtée de respirer. Je ne peux pas le croire, ça a marché.

Un flot de sentiments contradictoires m’envahit, je ne suis pas prête, je n’y arriverai pas. Je panique mais ne dit rien. Le futur papa qui s’ignore dort encore.

17h

Toute la journée, je me suis sentie comme un canard sans tête qui essayait de marcher. J’ai enchainé prise de sang, deuxième test – on ne sait jamais si le premier s’était trompé – travail. Se forcer à être naturelle alors qu’on a l’impression que l’on porte le secret du monde à l’intérieur.

Les résultats en ligne s’affichent enfin. Je les relis 3 fois. Aucun doute, le mot grossesse est bien écrit.

Nouvelle vague de panique accompagnée de questions existentielles. Vais-je l’aimer ce bébé ? Et si je n’y arrivais pas ?

Je pense aux changements que cela va m’apporter dans ma vie. Les sorties, les copains, les virées et voyages improvisés… Cela me fait peur. Suis-je prête à toutes ces concessions ?

Je prépare en parallèle l’annonce au papa. Je souris en pensant à la joie qu’il va avoir.

7 juillet – 10h30

Premier rendez-vous gynéco. Première échographie. On ne voit qu’une sorte de virgule de 7mm mais l’émotion me submerge.

Je repense à ces 15 jours qui viennent de se dérouler. L’annonce au papa, ses larmes, l’amour qui a de suite émané de lui.

L’annonce aux futurs grands-parents, leur joie, leur sourire, leurs câlins.

Le secret devant les amis, penser à contenir le sourire de béatitude qui vient, se dire que c’est vraiment trop dur de ne pas pouvoir le crier au monde entier.

Les nausées aussi, et tous les autres petits désagréments. Et se dire que malgré tous ces moments difficiles, on n’échangerait notre place pour rien au monde.

Rentrer, s’observer dans le miroir. Essayer de voir si son ventre ne se serait pas déjà un peu arrondi.

Se surprendre à être sur le net à regarder des chambres de bébé, des idées de prénoms, des livres d’histoire.

11 août – 11h

1ère vraie échographie. 1ère rencontre avec notre bébé. Sa petite forme de bébé s’affiche. On est là, tous les 2, à le ou la regarder. Le moment est émouvant et pourtant il est tellement difficile de se dire que ce joli petit bébé que nous voyons est bien dans mon ventre. Je me dis que c’est impossible. Je ne sais plus trop ce que je ressens. Et de nouveau, la culpabilité. Et si j’étais une mauvaise mère ? Et si je n’avais jamais ce fameux instinct maternel dont tout le monde parle ?

Les jours et les mois passent. Je change. Physiquement, mon ventre s’arrondit de plus en plus. Mais émotionnellement aussi.

De nouveaux réflexes apparaissent. Protéger mon ventre. Parler à ce petit être qui pousse à l’intérieur de moi, le caresser dès que je peux.

Mes priorités se modifient également. Je préfère acheter pour le bébé plutôt que pour moi. Je souris lorsque je repense que j’ai pu avoir peur de ces changements de vie. Cela me semble tellement secondaire et loin maintenant.

18 octobre – 18h

2ème échographie obligatoire. J’ai la chance d’en avoir tous les mois en bonus, je sens que cela me rassure de voir mon bébé.

Son visage se distingue, on essaye de deviner si elle aura son nez ou le mien. On rigole. On est heureux.

Enfin je la sens bouger. Difficile à savoir quand était la première fois. Etait-ce le fruit de mon imagination ? Etait-ce un vrai mouvement ?

Au fil des semaines, le doute n’est plus permis. Ça remue, ça se manifeste. Ça réagit à la main de son papa posé sur mon ventre.

Des bouffées d’amour me submergent quand je pense à elle. L’émotion est par moment si forte qu’elle me déborde et que je pourrais aimer le monde entier.

Je me sens enfin plus forte, plus sûre. Plus rien ne pourra arriver, nous sommes 2 constamment.

Je ne suis plus une enfant ni une jeune fille. Je suis une maman. Ça y’est. Je n’ai plus d’hésitation, plus d’appréhension. Avant même de la serrer dans mes bras, je sais que mes peurs étaient infondées. L’inconnu nous attend, fait de bonheurs et de peurs mais je sais que l’amour que l’on lui porte est déjà immense.

Par Groux

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Groux nous conte ce mois-ci un changement de statut : le « passage » de l’état de non-parent à celui de parent. Elle écrit les doutes, les peurs, puis l’apprivoisement progressif de l’idée, jusqu’à ce qu’elle devienne une telle évidence qu’on se demande même pourquoi, un temps, elle a fait peur. Ce qui est joli, je trouve, et qui apporte une touche d’originalité au texte, c’est qu’elle a choisi de « clore » ce « passage » avant même la naissance. De faire de son héroïne une maman, totalement, pleinement investie, avant même l’accouchement. Je trouve ce choix judicieux, moins convenu, que si on avait tout suivi depuis le test de grossesse jusqu’à la naissance. Le texte est donc le pas-à-pas de cette prise de conscience, et non simplement le récit d’une grossesse, même si les deux sont enchâssés, bien évidemment. Le choix narratif, façon « journal de bord », permet bien de rendre l’évolution progressive, le changement de ressenti au fil du temps. Et finalement, à la fin, pour accompagner le changement de statut définitivement ressenti par la narratrice, la structure du texte change et lâche les références temporelles. La boucle est bouclée : le passage est fait !

Je pense, Groux, qu’il serait chouette d’inclure dans ton texte, par petites touches, d’autres évènements de la vie de cette femme. Des trucs parfaitement anodins du quotidien, par-ci par là, qui eux aussi se transformeraient au fil du temps. Par exemple, au début, ça pourrait être « il faut que je pense à repasser ma robe pour demain, je dois partir tôt pour cette réunion exceptionnelle », puis ça deviendrait « en repassant mon linge, ce matin, je me suis demandé de quelle couleur serait la première robe que je lui repasserai, à elle »… Etc (simple exemple, hein, tu brodes à ta façon après !). Je crois que ça permettrait aussi que tu allèges la fin que je trouve un peu « démonstrative ». Il me semble que j’aurais tendance à stopper le texte après « je suis une maman », ce qui suit, je pense qu’on l’a compris déjà avant, et que si tu le surlignes, tu perds en efficacité narrative. Et je pense que ce serait une meilleure façon d’enfoncer le clou, que de mettre en scène les changements concrets de son quotidien, plutôt que de rapporter une réflexion. Ce serait plus concret, plus « ancré ».

sympa comme tout de (re)vivre cette aventure, d’une autre manière, puisque pour moi elle s’est déroulée différemment. On se met bien à sa place de maman, on vit les étapes. Et la croix bleue, elle n’a pas vérifié 10fois si ça voulait bien dire ça? Je crois que j’aurais aimé un tout petit peu plus de détails sur la réaction du papa, ou même celle-ci à chaud en direct

J’ai aimé aussi me replonger dans cette belle période. Comme Gaëlle j’aime que le texte se termine avec l’accouchement, que l’accomplissement ait lieu avant la rencontre. Comme Ann, je suis restée un peu sur ma faim concernant la réaction du papa, qui est évoquée mais sans plus. J’ai bien aimé le rythme. J’aurais aussi peut-être arrêté le texte par « je suis une maman », quitte à mettre la suite avant.

J’ai également aimé ce texte. Il délivre les sentiments d’une future maman avec exactitude, mais pudeur. Je pense que certains des sentiments et nouveaux comportements, qui sont décrits là, sont proches de ce que j’aurais si un jour je tombais enceinte.
Je ne partage pas l’idée qu’il faudrait plus de détails sur la réaction du papa. Moi aussi je l’attendais, mais je pense finalement que ni consacrer que quelques mots est dans la même veine que d’arrêter le texte juste avant l’accouchement. Ce texte est sur les sentiments qui traversent une future maman et de sa relation avec les changements que cela implique dans sa façon de penser. La réaction de son entourage n’est pas le sujet. D’ailleurs, nous pouvons remarquer qu’il y a très peu de phrases sur la transformation du corps qu’une grossesse entraîne.

Je suis plutôt d’accord avec cet avis sur le papa… Je crois que c’est un chemin très personnel, en fait, ce qui est décrit là… C’est un chemin « à côté », en fait, pas « avec » le papa.

Ton texte m’a rappelé plein de doux moments. Et comme le soulignent les commentaires précédents, j’aime bien le parti que tu as pris d’arrêter le texte avant l’accouchement. C’est tellement vrai qu’on devient maman en fait déjà presque avant la naissance. Comme le souligne Gaëlle, quelques pensées de la maman évoquant ce qui va se passer par la suite rendrait le texte (et la naissance) encore plus concret et ajouterait encore plus d’émotions sans que ce soit larmoyant. Tu sais comme lorsqu’on est enceinte et qu’on croise une maman avec son bébé et qu’on se dit « ah…bientôt et est ce qu’il ou elle sera comme ce bébé ? » ou lorsqu’on se dit « tiens le printemps est là et un jour mon enfant goûtera ses premières cerises » enfin bref ….tous ses précieux moments.

Merci pour ces ces commentaires. J’aurai voulu reprendre le texte avec vos conseils mais des événements personnels ne m’ont pas permise d’être disponible cette semaine ( pour réécrire ou commenter les autres textes).
C’est un texte qui a beaucoup d’importance pour moi, je le retravaillerai sûrement par la suite tout de même, alors merci 🙂