« – Pourquoi es-tu assise là, sans rien faire ? Sans rien dire ?
– C’est toi qui me dis ça ? Toi qui es toujours au même endroit ? Que je n’entends jamais même lorsque je m’adresse à toi ? Qui est là depuis des siècles et qui ne voyagera jamais plus loin que cette forêt ? C’est un peu gonflé quand même… »
Quelques minutes passèrent en silence.
« – Tu fais la tête ? Je ne voulais pas te fâcher tu sais. Mais plus personne ne vient me parler. Avant, j’étais le confident de tant de personnes et aujourd’hui, je reste là à me morfondre dans mes souvenirs.
– Non, je ne boude pas. Mais je me demande bien comment tu pourrais faire la différence entre quelque chose que je t’inventerais pour te décrire le monde et quelque chose de vrai.
– Et alors ? Le monde ne serait-il pas plus beau si chacun pouvait le décrire à sa façon ? Un peu de magie et de beauté n’a jamais fait de mal, au contraire. Par exemple, moi j’imagine que les nuages sont de gros morceaux de cotons qui s’en vont adoucir le monde. Ne crois-tu pas que cela soit plus beau que de voir juste un nuage nous gâchant le ciel bleu ? »
Je me laissais prendre au jeu. J’essayais d’imaginer un monde rempli de féérie.
« – Ce que je vais dire va être un peu enfantin dans ce cas. Mais les arcs-en-ciel ne pourraient-ils pas être des toboggans ?
– Les enfants sont souvent plus sages qu’on ne le croit ! C’est une bonne idée ces toboggans ! Mais, à ton avis, qui pourrait bien les emprunter ?
– Des toboggans à rêves, m’exclamai-je ! Les rêves descendraient du ciel, prendraient toutes leurs couleurs grâce à l’arc en ciel. Puis, ils virevolteraient pour venir se poser, aussi légers que des papillons.
– Les papillons seraient des morceaux de rêves ? Quelle belle image ! Et les rêves non utilisés se transformeraient en aurores boréales pour émerveiller les insomniaques !
– Les lucioles seraient des étoiles tombées sur la terre ?
– C’est pourquoi la mousse existe. Pour amortir leur chute et qu’elles ne se cassent pas. Sinon elles s’éteindraient. Parfois, elles ne tombent pas sur de la mousse. Elles atterrissent sur des feuilles tendues, qui les font rebondir et repartir dans le ciel. On croit alors que ce sont des étoiles filantes, mais en vrai, il s’agit d’une gigantesque partie de trampoline.
– En rebondissant, elles saupoudrent de poudre d’or les toiles d’araignées. C’est pourquoi elles brillent dans la nuit. J’ai d’ailleurs entendu dire que les araignées étaient des couturières. Que leurs toiles étaient de la dentelle pour enjoliver les robes.
– Mais bien sûr, me répondit-il. N’as-tu jamais vu un cortège de mariés ? Le voile est en toile d’araignée et les bulles de rosée sont des miroirs dans lesquels les coccinelles se refont une beauté.
– Et pour partir en voyage de noces, ils partent en plume volante ? Leur destination est un peu aléatoire je crois.
– Détrompe-toi. Lorsque tu vois voler les petites aigrettes blanches des pissenlits, il s’agit en fait d’éclaireurs préparant le voyage et qui sont là pour les guider. Pendant ce temps, nous les arbres agitons nos branches tels des chevaliers avec leurs épées afin de sécuriser le trajet.
– Sais-tu ce qu’ils découvrent quand ils arrivent vers une plage ? Des dunes qu’ils sont obligés de franchir. Ce sont en réalité des géants endormis, bercés par le mouvement du ressac, et qui sont recouverts d’une épaisse couche de poussière après tous ces millénaires.
– Les crabes en ont peur. Ils ont réussi à convaincre tous les autres coquillages qu’il fallait absolument les laisser recouverts de sable. C’est pourquoi toute la journée, ils s’activent pour éviter que le sable ne s’échappe !
– Mais qui est, selon toi, responsable de du mouvement de la mer ?
– C’est une baleine qui s’est fait piquer par un moustique. Et elle se frotte encore et encore contre les rochers pour se gratter.
– Je crois, quant à moi, que les algues sont les cheveux qu’une fée a perdus alors qu’elle voulait se les laver dans la mer. Régulièrement, elle pleure, désespérée de ne plus pouvoir les brosser. Ce sont alors les gouttes de pluie qui tombent sur la terre.
– C’est pourquoi il y a autant de poissons. Ils ont été dépêchés afin de les rassembler et lui rapporter sa chevelure. Mais je crois qu’ils ont oublié leur mission à force de tourner en rond.
– De désespoir, elle jette toutes ses barrettes. Chacune est différente mais peu le savent. Et lorsqu’ils tombent, on croit que ce sont des flocons de neige. »
Au loin, j’aperçus un arc-en-ciel. Je fermais alors les yeux. Sait-on jamais, si un rêve venait saupoudrer mon esprit de ses paillettes.
Texte de Groux
Groux nous propose ce mois-ci un texte qui verse dans la rêverie, comme une sorte de déambulation onirique. De fil en aiguille, ses deux personnages réinterprètent le monde de manière poétique, enfantine. C’est comme une invitation à la douce illusion, une métaphore sur la capacité à voir ce qui nous entoure chacun à notre façon (et dans ce cas présent, plutôt d’une « belle » façon). Groux le dit : on est dans le domaine de l’imagination féérique. C’est un texte léger, avec de belles images (la baleine piquée par un moustique, par exemple, j’aime beaucoup !).
J’ai bien aimé ce côté « bataille d’imaginaires », cette réinterprétation intégrale du monde qui nous entoure, Groux, mais je crois qu’il m’a manqué une chute à ton texte. Et probablement une chute « étonnante », un peu plus « rude », qui aurait fait contrepoint avec le côté « sucré » de ton texte. Et qui par effet de contraste, du coup, lui aurait donné plus de force. Par exemple, j’ai imaginé, à un moment, que c’était un ado placé en foyer qui parlait avec un arbre du parc du foyer, pour adoucir son sort (j’avais zappé que tu parlais de forêt au début). C’est un simple exemple, of course, il ne faut pas t’en saisir tel quel. Mais je crois qu’il manque à ton texte une petite point d’acidité pour contre-balancer toute cette rêverie (et du coup, lui donner encore plus d’éclat !). Comme en cuisine, quand on met une pincée de sel dans un gâteau pour en relever le goût, quoi !
Merci Groux pour la douceur, la créativité et la féérie de ce texte, qui colle parfaitement avec un dimanche soir de Novembre!
C’est vrai que c’est un texte parfait pour contrer la grisaille plan plan de novembre!
Ton texte est doux et poétique, je me suis prise au jeu de ces jolies explications oniriques. Mais je pense qu’il m’a manqué un fil conducteur, d’en savoir plus sur ton personnage, comme le propose Gaëlle.
J’ai adoré la poésie et la féerie de ton texte. Que de belles images et de belles idées…
Un peu tard mais je n’ai pas pu avant, j’ai essayé de reprendre la fin du texte (je n’ai rien retouché du dialogue du coup), pour reprendre tes conseils Gaëlle.
Je n’ai pas voulu reprendre telle quelle ton idée.
Je ne sais pas trop ce que cela donnera !
« – Pourquoi es-tu assise là, sans rien faire ? Sans rien dire ?
– C’est toi qui me dis ça ? Toi qui es toujours au même endroit ? Que je n’entends jamais même lorsque je m’adresse à toi ? Qui est là depuis des siècles et qui ne voyagera jamais plus loin que cette forêt ? C’est un peu gonflé quand même… »
Quelques minutes passèrent en silence.
« – Tu fais la tête ? Je ne voulais pas te fâcher tu sais. Mais plus personne ne vient me parler. Avant, j’étais le confident de tant de personnes et aujourd’hui, je reste là à me morfondre dans mes souvenirs.
– Non, je ne boude pas. Mais je me demande bien comment tu pourrais faire la différence entre quelque chose que je t’inventerais pour te décrire le monde et quelque chose de vrai.
– Et alors ? Le monde ne serait-il pas plus beau si chacun pouvait le décrire à sa façon ? Un peu de magie et de beauté n’a jamais fait de mal, au contraire. Par exemple, moi j’imagine que les nuages sont de gros morceaux de cotons qui s’en vont adoucir le monde. Ne crois-tu pas que cela soit plus beau que de voir juste un nuage nous gâchant le ciel bleu ? »
Je me laissais prendre au jeu. J’essayais d’imaginer un monde rempli de féerie.
« – Ce que je vais dire va être un peu enfantin dans ce cas. Mais les arcs-en-ciel ne pourraient-ils pas être des toboggans ?
– Les enfants sont souvent plus sages qu’on ne le croit ! C’est une bonne idée ces toboggans ! Mais, à ton avis, qui pourrait bien les emprunter ?
– Des toboggans à rêves, m’exclamai-je ! Les rêves descendraient du ciel, prendraient toutes leurs couleurs grâce à l’arc en ciel. Puis, ils virevolteraient pour venir se poser, aussi légers que des papillons.
– Les papillons seraient des morceaux de rêves ? Quelle belle image ! Et les rêves non utilisés se transformeraient en aurores boréales pour émerveiller les insomniaques !
– Les lucioles seraient des étoiles tombées sur la terre ?
– C’est pourquoi la mousse existe. Pour amortir leur chute et qu’elles ne se cassent pas. Sinon elles s’éteindraient. Parfois, elles ne tombent pas sur de la mousse. Elles atterrissent sur des feuilles tendues, qui les font rebondir et repartir dans le ciel. On croit alors que ce sont des étoiles filantes, mais en vrai, il s’agit d’une gigantesque partie de trampoline.
– En rebondissant, elles saupoudrent de poudre d’or les toiles d’araignées. C’est pourquoi elles brillent dans la nuit. J’ai d’ailleurs entendu dire que les araignées étaient des couturières. Que leurs toiles étaient de la dentelle pour enjoliver les robes.
– Mais bien sûr, me répondit-il. N’as-tu jamais vu un cortège de mariés ? Le voile est en toile d’araignée et les bulles de rosée sont des miroirs dans lesquels les coccinelles se refont une beauté.
– Et pour partir en voyage de noces, ils partent en plume volante ? Leur destination est un peu aléatoire je crois.
– Détrompe-toi. Lorsque tu vois voler les petites aigrettes blanches des pissenlits, il s’agit en fait d’éclaireurs préparant le voyage et qui sont là pour les guider. Pendant ce temps, nous les arbres agitons nos branches tels des chevaliers avec leurs épées afin de sécuriser le trajet.
– Sais-tu ce qu’ils découvrent quand ils arrivent vers une plage ? Des dunes qu’ils sont obligés de franchir. Ce sont en réalité des géants endormis, bercés par le mouvement du ressac, et qui sont recouverts d’une épaisse couche de poussière après tous ces millénaires.
– Les crabes en ont peur. Ils ont réussi à convaincre tous les autres coquillages qu’il fallait absolument les laisser recouverts de sable. C’est pourquoi toute la journée, ils s’activent pour éviter que le sable ne s’échappe !
– Mais qui est, selon toi, responsable de du mouvement de la mer ?
– C’est une baleine qui s’est fait piquer par un moustique. Et elle se frotte encore et encore contre les rochers pour se gratter.
– Je crois, quant à moi, que les algues sont les cheveux qu’une fée a perdus alors qu’elle voulait se les laver dans la mer. Régulièrement, elle pleure, désespérée de ne plus pouvoir les brosser. Ce sont alors les gouttes de pluie qui tombent sur la terre.
– C’est pourquoi il y a autant de poissons. Ils ont été dépêchés afin de les rassembler et lui rapporter sa chevelure. Mais je crois qu’ils ont oublié leur mission à force de tourner en rond.
– De désespoir, elle jette toutes ses barrettes. Chacune est différente mais peu le savent. Et lorsqu’ils tombent, on croit que ce sont des flocons de neige. »
Une main se posa à cet instant sur mon épaule.
« Il faut rentrer, la promenade quotidienne est terminée. C’est l’heure d’aller prendre ses médicaments puis nous irons gentiment au lit. Demain, tu pourras ressortir mais cette fois-ci, on essayera de changer, tu pourrais regarder autre chose que ce mur quand même. »
Je relis mon commentaire et quand je dis que je n’ai pas voulu reprendre telle quelle ton idée, c’était dans le sens de reprendre la même idée littéralement ! Car ma phrase n’était pas très claire.
J’ai donc voulu rester dans l’esprit de ton idée mais en lui donnant une autre direction. A voir si ça colle !
Et ben j’aime beaucoup cette nouvelle fin, Groux. ça rend le texte plus profond, il me semble, car à la fois la partie féérique fonctionne très bien, et à la fois, le contrepoint final donne une perspective un peu différente. J’aime beaucoup comme ça!
Merci !
Ça aurait pu être plus creusé mais le temps m’a manqué !
Merci de ton retour !