Le réveil avait sonné comme à son habitude aux premières lueurs du soleil. Je m’étais levé, maussade, comme chaque matin. D’un geste automatique, j’avais fait couler mon café pendant que je mettais machinalement à griller 2 tranches de pain. Je m’étais approché de la grande baie vitrée. De là, je surplombais tout New York. J’étais resté de longues minutes plongé dans mes pensées. J’avais encore mal à la tête de la soirée de la veille. Soudain, le silence m’avait interpelé. Un silence lourd, pesant. Je n’entendais aucun klaxon, aucun moteur, aucun cri. De l’étage où j’étais, il m’était impossible de voir quelque chose. J’enfilai rapidement un jean et une chemise, pestai contre mes chaussures qui étaient encore une fois hors de portée sous le lit. Je sortis de mon appartement et appelai l’ascenseur. Etrangement, je n’eus pas à l’attendre longtemps ce matin. J’étais arrivé dans le hall de l’immeuble, pas un bruit, pas une personne. J’étais habitué à croiser Mme Nelson qui balayait toujours dans l’entrée et en profitait pour regarder les allées et venues de ses locataires. Aujourd’hui, seuls mes pas résonnaient sur le carrelage.
Je poussais la grande porte vitrée. Un silence assourdissant. Une sensation de peur m’avait envahi et je me rappelle avoir frissonné. J’étais resté de longues minutes devant cette porte ouverte, n’osant pas en franchir le seuil. La rue aurait dû être grouillante de monde. Pas un piéton ne venait, pas une voiture ne roulait, pas un oiseau ne chantait.
Je m’étais avancé doucement. Des rires nerveux m’avaient échappé. J’avais traversé une rue, puis une suivante. Personne. Je m’étais arrêté, je sentais ma respiration s’accélérer. Je n’avais pas reconnu ma voix, aigue, lorsque j’avais essayé de crier un « y’a quelqu’un ? ».
Il fallait que je continue, que j’en ai le cœur net. Je m’étais mis à courir afin d’arriver à Times Square. Désert. Le néant. Seuls les grands écrans publicitaires continuaient de déverser leur lumière et leurs images. J’essayais de cligner des yeux, me disant que j’allais me réveiller, que cela ne pouvait être qu’un mauvais rêve. En courant, j’avais erré à travers Manhattan.
Il fallait que je contacte quelqu’un. J’avais essayé le 911, ma mère, mon ex femme, mon patron. A chaque fois, cela avait sonné dans le vide. Je m’étais mis à composer des numéros au hasard, je n’avais pas eu plus de chance.
Il fallait que je me rende à l’évidence, j’étais seul. J’étais tombé à genoux, dans un état oscillant entre les rires et les larmes.
Un sentiment d’insécurité m’avait envahi. Malgré moi, en grand cinéphile, des images de villes dévastées et de zombies ou autres créatures me traversaient l’esprit. Je ramassais une grande planche qui trainait afin d’avoir quelque chose pour me défendre.
Désorienté, j’avais avisé une voiture garée en double file. La portière n’était pas fermée et les clés étaient sur le contact. Je regardai rapidement autour de moi, n’osant mettre en route le moteur puis réalisai l’absurdité de ma peur. Le bruit du démarrage fit comme une détonation dans l’atmosphère.
Je sentais les battements de mon cœur s’accélérer.
J’avais roulé de longues minutes, dans les longues avenues désertes, sans aucun feu ne m’arrêtant. Je me rappelle avoir eu la sensation de voler, comme si j’étais un oiseau, avec toute la liberté qu’il pouvait avoir.
Soudain, sans comprendre, je m’étais retrouvé hors de la voiture. Je sentais la transpiration couler contre mon front, couler le long de mon dos.
J’avais alors couru, trébuchant, me retournant pour voir si je n’avais personne dans mon dos. Je criais en même temps que les larmes se mettaient à couler sur mes joues.
Soudain avec effroi, j’avais vu les murs des immeubles se mettre à osciller et se déformer devant mes yeux. La terreur s’était emparée de moi, il fallait que je m’échappe. Plus je courais et plus les murs se rapprochaient de moi. Je levais les yeux au ciel, les nuages formaient comme un kaléidoscope tournoyant et multicolore.
Je tombais encore alors que je tentais de fuir. Il me semblait que je venais de m’uriner dessus.
Je me mis à hurler « Laissez-moi tranquille ». Je ne contrôlais plus rien, je me mis à me frapper la tête, trop de brouhaha, il fallait que les voix se taisent.
Soudain une voix, sortie de nulle part. Des grands flashs lumineux dans mes yeux.
« Monsieur, monsieur vous m’entendez ? Serrez-moi la main si vous m’entendez ».
Suivi d’une deuxième. « Emmenez-le à l’hôpital, il fait une overdose ».
Par Groux
Le texte de Groux s’inscrit dans cette « tendance » que plusieurs ont eu avec la proposition de ce mois-ci, de proposer un texte à chute où ce qui est décrit, cette errance dans la ville vide, n’est en fait qu’une illusion qui est levée à la fin. Ici, la cause de l’illusion, ce sont les effets dévastateurs d’une overdose. En ce sens, tout le travail que tu installes dans la deuxième partie de ton texte, Groux, de mettre en exergue des sensations, morales ou physiques, est très intéressant. Il installe parfaitement la légitimité de ta chute. La distorsion du réel que tu racontes peu à peu évoque tout à fait un « bad trip » tel qu’il peut être décrit en écriture. Cela donne une parfaite cohérence à ton texte.
C’est justement parce que je trouve ton travail sur les « sensations » hyper intéressant que ça me semble une piste à approfondir. Le début de ton texte est plus « factuel » et descriptif. Or on pourrait tout à fait imaginer que dès le début du texte, tu fasses allusion aux sensations, à des détails physiques, à des impressions, du narrateur. Au début, elles seraient parfaitement cohérentes, puis on sentirait le glissement progressif (qui d’ailleurs, pourrait dans un premier temps être dissonant avec le factuel, l’étonnant lui-même « Pourquoi est-ce que j’ai froid, là, au juste ? », par exemple…). Il est probable que ça rendrait ton texte plus « viscéral », plus « ressenti », ce qui correspondrait bien à ton sujet. Et tout comme les éléments descriptifs/factuels se distordent petit à petit (les murs sont au départ parfaitement à leur place, puis ils se mettent à bouger…), on retrouverait cette même distorsion dans l’évolution des sensations du narrateur.
C’est rigolo il y a un parcours un peu similaire entre ton héros et le mien, à part pour la fin. J’ai beaucoup apprécié ce texte.
Merci pour ces retours !
J’ai essayé de reprendre le texte avec tes conseils Gaëlle. J’ai essayé de ne pas trop en faire, pour que cela reste cohérent mais ce n’est pas facile de rajouter à un texte déjà écrit !
Le réveil avait sonné comme à son habitude aux premières lueurs du soleil. Je m’étais levé, maussade, comme chaque matin. J’avais froid alors que je me rappelais avoir mis en route le chauffage la veille au soir. Incompréhensible. D’un geste automatique, j’avais fait couler mon café pendant que je mettais machinalement à griller 2 tranches de pain. Je m’étais approché de la grande baie vitrée. De là, je surplombais tout New York. J’étais resté de longues minutes plongé dans mes pensées. J’avais encore mal à la tête de la soirée de la veille. J’avais la sensation d’avoir la nuque raide, il faudrait que je pense à changer d’oreillers. Soudain, le silence m’avait interpelé. Un silence lourd, pesant. Je n’entendais aucun klaxon, aucun moteur, aucun cri. De l’étage où j’étais, il m’était impossible de voir quelque chose. J’enfilai rapidement un jean et une chemise, pestai contre mes chaussures qui étaient encore une fois hors de portée sous le lit. Je sortis de mon appartement et appelai l’ascenseur. Etrangement, je n’eus pas à l’attendre longtemps ce matin. Des bouffées de chaleur me rendaient la descente pénible. Il faudrait que je parle au gardien, je ne pouvais avoir froid chez moi et chaud dans l’ascenseur. J’étais arrivé dans le hall de l’immeuble, pas un bruit, pas une personne. J’étais habitué à croiser Mme Nelson qui balayait toujours dans l’entrée et en profitait pour regarder les allées et venues de ses locataires. Aujourd’hui, seuls mes pas résonnaient sur le carrelage. Un goût métallique m’emplissait la bouche, je passais la main sur ma lèvre afin de voir si je ne saignais pas.
Je poussais la grande porte vitrée. Un silence assourdissant. Une sensation de peur m’avait envahi et je me rappelle avoir frissonné. J’étais resté de longues minutes devant cette porte ouverte, n’osant pas en franchir le seuil. La rue aurait dû être grouillante de monde. Pas un piéton ne venait, pas une voiture ne roulait, pas un oiseau ne chantait. Je sentais mes mâchoires se serrer, comme si je n’allais plus jamais pouvoir ouvrir la bouche.
Je m’étais avancé doucement. Des rires nerveux m’avaient échappé. J’avais traversé une rue, puis une suivante. Personne. Je m’étais arrêté, je sentais ma respiration s’accélérer. Je n’avais pas reconnu ma voix, aigue, lorsque j’avais essayé de crier un « y’a quelqu’un ? ».
Il fallait que je continue, que j’en ai le cœur net. Je m’étais mis à courir afin d’arriver à Times Square. Désert. Le néant. Seuls les grands écrans publicitaires continuaient de déverser leur lumière et leurs images. J’essayais de cligner des yeux, me disant que j’allais me réveiller, que cela ne pouvait être qu’un mauvais rêve. En courant, j’avais erré à travers Manhattan.
Il fallait que je contacte quelqu’un. J’avais essayé le 911, ma mère, mon ex femme, mon patron. A chaque fois, cela avait sonné dans le vide. Je m’étais mis à composer des numéros au hasard, je n’avais pas eu plus de chance.
Il fallait que je me rende à l’évidence, j’étais seul. J’étais tombé à genoux, dans un état oscillant entre les rires et les larmes.
Un sentiment d’insécurité m’avait envahi. Malgré moi, en grand cinéphile, des images de villes dévastées et de zombies ou autres créatures me traversaient l’esprit. Je ramassais une grande planche qui trainait afin d’avoir quelque chose pour me défendre.
Désorienté, j’avais avisé une voiture garée en double file. La portière n’était pas fermée et les clés étaient sur le contact. Je regardai rapidement autour de moi, n’osant mettre en route le moteur puis réalisai l’absurdité de ma peur. Le bruit du démarrage fit comme une détonation dans l’atmosphère.
Je sentais les battements de mon cœur s’accélérer.
J’avais roulé de longues minutes, dans les longues avenues désertes, sans aucun feu ne m’arrêtant. Je me rappelle avoir eu la sensation de voler, comme si j’étais un oiseau, avec toute la liberté qu’il pouvait avoir.
Soudain, sans comprendre, je m’étais retrouvé hors de la voiture. Je sentais la transpiration couler contre mon front, couler le long de mon dos.
J’avais alors couru, trébuchant, me retournant pour voir si je n’avais personne dans mon dos. Je criais en même temps que les larmes se mettaient à couler sur mes joues.
Soudain avec effroi, j’avais vu les murs des immeubles se mettre à osciller et se déformer devant mes yeux. La terreur s’était emparée de moi, il fallait que je m’échappe. Plus je courais et plus les murs se rapprochaient de moi. Je levais les yeux au ciel, les nuages formaient comme un kaléidoscope tournoyant et multicolore.
Je tombais encore alors que je tentais de fuir. Il me semblait que je venais de m’uriner dessus.
Je me mis à hurler « Laissez-moi tranquille ». Je ne contrôlais plus rien, je me mis à me frapper la tête, trop de brouhaha, il fallait que les voix se taisent.
Soudain une voix, sortie de nulle part. Des grands flashs lumineux dans mes yeux.
« Monsieur, monsieur vous m’entendez ? Serrez-moi la main si vous m’entendez ».
Suivi d’une deuxième. « Emmenez-le à l’hôpital, il fait une overdose ».
Oui, c’est toujours compliqué de « rajouter » des choses, mais c’est un travail super intéressant, de retoucher un texte, de quelque façon que ce soit. Je trouve que tu t’en sors bien, en plus, on ne sent pas d’effet « raccord » comme il peut parfois y en avoir quand on rajoute des éléments. Et j’aime bien cette version 2, plus sensorielle, effectivement, qui me semble bien correspondre à la « réalité distordue » de ton personnage.
En effet, Groux, beaucoup mieux cette deuxième version. Plus concrète, plus vraie et la fin trouve mieux sa place ici. Bravo d’avoir réussi si vite à le retravailler 😉