Ma première sortie hors de la maternité a été pour me rendre dans cette maison de repos. Mon père et ma mère m’ont présenté à toute la famille, et ça en fait du monde. Moi qui à cette époque dormais 20h par jour, en suçant mon pouce, je suis venu au monde des dormeurs éternels qui ne suceraient plus jamais leur pouce.
Je ne sais pas si tous les chemins mènent à Rome, mais en tous cas, ils finissent tous ici, tôt ou tard. C’était le lieu de promenade dominical de beaucoup de monde. On se disait bonjour, on prenait des nouvelles du petit (c’est moi), puis on se rappelait pourquoi on était ici et on prenait un air contrit en parlant des absents (qui pourtant n’étaient pas loin … ah ah).
Dès que j’ai eu l’âge des culottes courtes, je me suis mis à courir dans les allées où les plaques de marbre ressemblaient à des briques de lego géantes. J’avais une vue aérienne dégagée sur une gigantesque ville tentaculaire aux gratte-ciels nains (et sans fenêtre afin que les lilliputiens ne puissent pas s’en échapper …)
Quand j’ai obtenu mon certificat d’étude (mention passable), re tournée de promo au cimetière familial. Mes parents étaient fiers de moi et m’indiquaient qui, parmi mes ancêtres, s’était aussi illustré dans les études.
Des fois, la ‘famille’ de la ville montait nous voir (ou descendait, c’est selon). Pourquoi changer de lieu de promenade? Alors avec mon cousin, nous jouions à ‘chat perché’. Nos mères nous ont chahutés avec tous les jurons reconnus par l’église, tandis que nos pères avaient un petit sourire malicieux de connivence.
Une autre fois, pour la saint-Valentin, avec mon cousin, on a fait un concours. Avec chacun une bombe de peinture de couleur rose, on s’est lancé le défi de celui qui inscrirait le plus de cœurs sur les pierres tombales de couple. Au nombre de fessées distribuées le lendemain, égalité. Nos pères n’eurent pas la main trop lourde. Cela nous encouragea à faire travailler notre imagination.
J’attendais impatiemment les passages de mon cousin, et savoir quels 400 coups nous allions faire. L’avantage d’une nécropole, c’est qu’en dehors de la période de rush dominical, c’était assez calme. Et les soirs d’été, on y allait avec des filles. On leur faisait peur, elles jouaient le jeu et se pelotonnaient contre nous. C’était l’époque des premiers baisers. On a remis ça à Halloween, mais il faisait vraiment trop froid.
Et puis un jour, ce lieu devint sa résidence principale. Mon cousin décéda dans un accident de voiture, à 16 ans, sortant d’une discothèque avec un taux d’alcoolémie décourageant. On l’a enfermé dans une boite en bois, et j’ai dû marcher en tête du cortège. Et puis le sarcophage fut descendu sous la dalle en marbre. Nous qui aimions tellement la vie. Pourquoi doit-on finir enfermé ! Ce n’était pas suffisant de mourir, fallait-il aussi être enfoui dans une maison sans fenêtre, comme une punition supplémentaire ? Alors c’était ça un mausolée? Une prison pour les personnes parties trop tôt’?
J’ai passé des nuits assis sur sa sépulture. À pleurer comme une madeleine. À jeter un à un des graviers sur sa pierre tombale, comme on lance des cailloux à la fenêtre d’une fille afin d’espérer l’entrevoir. À cet instant, ma vie se brisa. Notre terrain de jeu s’était transformé en quelque chose de morbide. Et mon esprit s’ouvrit sur une stupidité humaine. Que signifiait ce lieu pour les autres? En fait, tout sauf la joie de vivre. Moi j’étais tourné vers la vie, et eux vers la mort. À force de s’habiller en noir, on finit par voir le monde en noir.
À partir d’un certain âge, quand on assiste à des réunions de famille, c’est toujours dans un cimetière. Et puis un jour, ça a été le tour de papa et maman. Après mon cousin, mes autres piliers foutaient le camp. Et entendre les paroles empreintes de respect hypocrite me faisait haïr ce lieu. J’avais envie de partir loin, très loin. J’ai laissé sur place les ‘men in black’.
Un jour, je suis revenu sur ce lieu de perdition, là où tout le monde a perdu un être cher. Mais ce lieu n’avait rien de magique. On ne revient pas d’entre les morts. Alors, une nuit, décidé, je suis retourné dans ce lieu sans âme et je suis allé sur la tombe de mon cousin. J’ai brisé ses chaînes, je l’ai aidé à sortir de sa prison et je l’ai libéré, pour éviter que d’autres gardiens de la paix des âmes ne le remettent dans sa crypte. J’ai fait un feu sur place, un bûcher au travers duquel j’avais la vision de mon cousin prenant son envol pour une seconde vie, synonyme de liberté et de renaissance.
J’ai laissé mes parents où ils étaient. Après tout, au moins ils étaient réunis.
‘Show must go on’. Je ne refusais pas d’aller aux processions familiales, mais toujours habillé de blanc, pour réchauffer le coeur des personnes refroidies. C’était mon hommage à la vie brutalement et tragiquement écourtée.
Et finalement, un jour, ce fut à moi de trépasser (d’y passer quoi). Je m’y étais préparé. Ma famille non. Ils ont eu du mal à comprendre que je n’étais pas fan de la série ‘6 pieds sous terre’, eux pour qui la procession dominicale était un style de vie. J’aurais aussi dû demander une ex-communion. Ils en auraient fait une syncope.
Pour eux, c’était rassurant de savoir que j’aurai mon nom sur une pierre tombale, même s’il n’y avait rien dessous. Pour la famille, les apparences sont … les apparences. Iraient-ils jusqu’à y placer un cercueil vide? C’est pas ça qui les retiendrait et je les en crois capable.
J’avais opté pour une crémation (quel horrible mot, je préfère le terme ‘d’écobuage à échelle humaine’). J’avais demandé l’ajout de ceps de vigne, histoire de diffuser un parfum agréable. J’ai toujours eu en horreur l’odeur de cochon grillé.
Selon la formule consacrée, on dispersa mes cendres aux quatre vents.
Et puis, il y eut la suite.
Je pris de la hauteur, et là, on fit connaissance. Des tas de particules de cendres errantes. Et un jour, ou peut-être une nuit … je suis tombé sur une particule familière. MON COUSIN. On redevint inséparable. On s’est laissé porter et on s’est tout raconté. On avait tellement de choses et de temps à rattraper.
Il me dit: «demain on prend le zéphyr de 10h02, on va aller retrouver des filles super canons.»
et moi je réplique: «tu veux dire des filles avec de super obus …»
La vie reprenait ses droits. Les 400 coups étaient de retour.
Rest in Peace and Love
Photo : cc – Cristina Gottardi – Unsplash
Voici un texte que j’aime vraiment beaucoup. Je me disais : où veut-il en venir ? Et puis c’est une vraie réussite, de mon point de vue. Le cimetière, comme point nodal de la vie ; une vie -des vies- autour des morts, et le tout concentré en un lieu unique – un ton calme, distancé (quoique implacable) et presque philosophe (sans désespoir ni colère, ni même douleur : il y a de l’acceptation, mais sans résignation)… Et puis la fin, poétique et émouvante. Que dire de plus ? Je ne saurais préconiser quoi que ce soit en terme d’écriture et de fiction, c’est abouti. Et ce texte nous a rappelé cette chose qu’on oublie parce qu’il ne serait sans doute pas très bon d’y penser en permanence : LE Lieu, le seul lieu de tous les lieux, pour les vivants comme pour les morts, n’est que le cimetière – où nous finiront tous.
J’ai été prise par la poésie de la fin, qui emmène le texte ailleurs. De l’humour, de l’émotion… très beau!
Il y a dans cette histoire de l’humour et de la gravité. Le rythme est rapide à l’image des deux cousins qui ne manquent pas d’imagination…
Beaucoup de plaisir à cette lecture .
Très bien écrit, je trouve le texte riche. La lecture est vraiment agréable.
Merci à Tous, Toutes,
J’ai mis un point d’honneur à travailler ce 1er texte (baptême du feu)
entre 10 et 15h de boulot … pour 2 malheureuses pages … mais suffisantes pour moi … et pour vous.
et vous ????
vous êtes fluent writter ? ou forçat du travail ???
Je vais répondre, pour alimenter ce débat intéressant. Pour ma part, je ne dis pas ça pour frimer, je suis très rapide, mais voilà, c’est un entrainement, et suis sans doute hors catégorie : cela m’a toujours été facile depuis l’école (on lisait mes rédacs à la classe – il y en a c’est le sport, les maths, la couture, la musique, le bricolage, la finance… que sais-je. Chacun son truc naturel, on a tous une facilité en quelque chose qui nous est particulière, en propre, et toutes sont égales), et puis je fais ça depuis toujours ; après dix ans à pratiquer le concours de nouvelles en hobby, j’ai connu plusieurs années lors desquelles c’était mon activité unique -être auteur de romans, de nouvelles, de scénars- à temps plein, et d’autres aussi, où journaliste ou chroniqueur je devais écrire très vite sur tout et n’importe quoi. Ainsi j’ai appris à écrire toujours plus vite… L’expérience des ateliers d’écriture, en « présentiel » quand quelqu’un vous donne à lire une nouvelle et vous demande une solution immédiate, dans la minute, ou alors les cours d’écriture journalistique ou littéraire donnés en formation continue ou à l’Université m’ont surentrainé (un peu comme jouer en blitz -multiparties- aux échecs : je dois avoir une réponse, une idée très vite pour satisfaire à la demande, et ce, à plusieurs personnes de suite -et surtout montrer en direct comment on l’écrit, sous les yeux de la personne, pour être crédible). Et enfin, j’ai lu beaucoup de livres sur l’art du récit, les questions de structure, les conseils des écrivains… Une de mes nouvelles, peut-être la plus lue, qui a été adaptée en court-métrage, a été l’objet de presque une dizaine de projets d’adaptation, a été écrite en une demi-heure, d’un trait. Mais bon, on n’a pas toujours la grâce et j’ai écrit aussi des bouses 🙂 Voilà, j’arrête ma frime 🙂 Ce que je veux dire, c’est que c’est comme le revers au tennis, faut passer des heures et des heures à renvoyer la balle sur un mur, c’est tout. C’est, en tout cas pour moi, vraiment pareil (bon je suis gaucher pour le revers ; il y a toujours une facilité au départ, c’est vrai… mais ce n’est pas indispensable).
Merci Francis
Danke Schoen Herr professor
J’ai échangé sur le volume d’effort et la qualité induite …
J’ai pas aimé initialement le sujet, mais j’ai eu la chance de trouver une ‘autre voie’ (Chut Fox Mulder …)
Et j’ai alors travaillé le coté plaisir … avec un poil de chance et de réussite … mais au prix de 10+ heures.
Ma passion, c’est d’écrire … mais c’est loin d’être inné.
Bonsoir
Géant Vert
Désolé si le sujet n’était pas inspirant. C’est difficile de trouver un sujet qui soit émulateur pour tous, et qui contienne aussi beaucoup de possibles. Ensuite, c’est un excellent exercice que de se frotter à la contrainte (c’est créateur, la contrainte) – et je vois que ça a donné du résultat tout de même ! 🙂
OUI Francis
de la difficulté nait l’effort
Je persiste que j’ai eu une chance d’inspiration (c’est le contraire d’une panne)
je croise les doigts pour la suivante (inspiration), le suivant (texte) … mais
« dura lex sed lex » (les préservatifs n’ont qu’à bien se tenir) …
Je rempile.
Géant Vert
Trop bien. Du gre juste ce qu’il faut et de l’humour à foison. Un beau message d’espoir.
10 heures à écrire ou à imaginer ?
Je pense beaucoup et j’écris après. Je laisse la nuit passer, et je trouve des idées au réveil. J’écris, je rature, je recommence quand l’imagination est au rendez vous. je reprends u jour ou deux jours plus tard. Je suis incapable de quantifierle temps que je mets.
Mais en ce qui te concerne, c’est une réussite.
Et j’écris trop vite aussi : je voulais dire du gore juste ce qu’il faut.