Madeleine islandaise
L’avion a atterri peu après minuit. Dernier vol du soir ou premier du matin. J’ai choisi d’être à la veille de quelque chose de nouveau. Nous avons traversé un aéroport fantomatique. Dehors, le froid m’a saisie, sans plus. Je n’ai rien perçu d’extraordinaire. Ou peut-être que si… Un sentiment heureux et fatigué à la fois.
Dans le bus qui nous conduit à Reykjavik, il y a encore trop de français pour que je réalise où je me trouve. Je colle mon nez à la vitre. Des miettes d’île se dessinent dans la lumière orangée des réverbères : roches noires aux formes singulières, lichens, sable gris et flaques de neige. De longs pans d’obscurité coupent le trajet. Je sais qu’il y a la mer d’un côté de la route, la plaine volcanique de l’autre.
Nous retrouvons les lampadaires à l’entrée de la ville. Le car me dépose dans le centre. Je dois faire quelques centaines de mètres pour arriver à la chambre d’hôtes. Les rues sont étrangement animées pour un milieu de semaine. Celle que j’emprunte monte vers le quartier 101. Un couple passe en me saluant. Je leur réponds d’un sourire. Je crois qu’ils m’ont souhaité bonne nuit.
La porte n’est pas fermée à clé. Les propriétaires m’ont avertie qu’ils seraient couchés. Sur la table de l’entrée, une petite lampe est allumée. Dans son halo chaleureux a été déposé à mon intention un mot, en anglais. A l’étage, la chambre est simple et accueillante. Sur le bureau m’attendent un thermos de « moka » et des biscuits au goût de gingembre. Pas le courage de défaire mes valises. Je m’endors à peine couchée.
Au matin, je remonte le store pour découvrir un bois de croix et d’arbres. A l’occasion d’une émission de radio, j’avais entendu un islandais raconter que le vieux cimetière de Reykjavik représentait la plus grande forêt du pays. J’ai voulu vérifier par moi-même. Ça et aussi les trolls et les aurores boréales.
La vue qui s’offre à moi m’apaise et ne me dérange pas. J’aperçois le mur rouge d’une maison. Un arbre torturé où pend une balançoire. J’entrouvre la fenêtre. L’air froid se mêle à un parfum inédit. J’aime déjà cette ville. Dans la douche, l’eau sent le souffre. Mon corps se réchauffe au contact des volcans.
Je tape un message rapide sur mon smartphone : « Suis bien arrivée, ne t’inquiète pas. Embrasse les enfants pour moi. Mia ». Une fois l’appareil éteint, je le glisse au fond de ma valise, avec l’intention de ne pas le rallumer avant plusieurs jours. Je sais ce qui se dit dans mon dos. Mais ce voyage compte pour moi. Et Victor, ravi de ce « tête-à-tête » avec les enfants, ne s’y est pas opposé.
Je m’offre le droit d’être seule, après plusieurs années passées à construire une famille. J’ai besoin de renouer avec des sensations perdues. De retrouver une part de moi qui s’est endormie. Une semaine, c’est court. Alors, j’ai fait le choix d’un pays que je connaissais peu.
Dans la cuisine familiale, j’avale un petit-déjeuner colossal : œufs au bacon, skyr, pain, confitures, charcuterie et céréales… Mes logeurs se réjouissent de mon appétit, tandis que mes fringales adolescentes me reviennent en mémoire.
Une fois dehors, je longe le cimetière en direction du lac Tjörnin. Je ne fais que traverser le centre-ville. J’ai envie d’aller marcher sur le port. De voir en vrai la montagne dont tout le monde parle. La circulation est dense sur le boulevard. De l’autre côté, la silhouette de l’Harpa, salle de concert ultra-moderne, se découpe sur le gris du ciel. Passé le bâtiment, s’ouvre enfin la baie, dominée par le Mont Esja. Une couronne de neige nimbe le massif.
Ma balade n’a rien d’une aventure. Pourtant, je ressens soudain un immense sentiment de liberté.
Je n’entends plus rien. Je ne me demande plus de quoi sera faite ma journée. Je n’ai plus besoin de penser pour quelqu’un d’autre. Je m’éloigne des touristes qui gravitent autour du port. Je n’ai qu’une envie : marcher en fixant la montagne massive. Pour aller voir plus loin ce qui s’y trouve. Et marcher hors de mes sentiers battus.
Des flocons commencent à tomber. Sous mes pieds, le sol islandais paraît me transmettre une force séculaire. La ville n’existe plus autour de moi. J’ai l’impression d’être revenue au creux de mon enfance, ce jour où j’ai ouvert les pages de mon premier Jack London. Lire était devenu mon voyage. J’étais devenue Buck, le chien et le loup.
Aujourd’hui est une nouvelle première fois. Chaque pas me donne l’impression d’avancer dans les pages d’un livre. Je me sens libre de découvrir un nouveau monde.
Par EmmaBo
Il y a dans ce texte quelque chose de l’ordre de la quête ré-initiatique (même si je ne sais pas si ça se dit !). L’originalité est qu’elle n’est pas réalisée par quelqu’un qui a tout plaqué et qui repart à zéro, mais simplement par quelqu’un qui fait une « pause », pour retrouver son quotidien ensuite. Il se dégage je trouve une assez grande douceur du peu d’évocation faite de la vie de Mia. On n’est pas dans la rupture, dans la souffrance aigue, on est dans quelque chose qui est finalement assez apaisé, même s’il y a une petite remise à zéro à faire. Et c’est agréable à lire et à percevoir. On a le sentiment d’une femme qui a besoin de se retrouver, mais qui ne renie rien de ce qu’elle a construit. En assez peu de choses, c’est un beau personnage que l’on découvre.
La description du paysage, de l’ambiance, est très bien rendue. C’est simple : J’avais déjà envie d’aller en Islande, et ça n’arrange pas mon cas ! Gasp !
En revanche, je trouve la fin un peu plus « plaquée » (peut-être est-ce dû à la limite de caractères imposée, auquel cas je plaide coupable). J’aime assez l’idée de la résurgence des premiers plaisirs de lecture, mais pour le coup, pour que ça ait la force qui est suggérée dans le texte, je pense qu’on aurait besoin de descriptions de sensations, diverses, fortes, vraiment (d’autant plus que Mia dit qu’elle a besoin de retrouver des sensations oubliées). Que ce ne soit pas simplement « rapporté », mais vraiment « vécu » par le personnage. Savoir ce que ça lui fait physiquement. Ça donnerait encore plus de relief au propos, au personnage, et à son escapade.
Je suis entièrement d’accord avec ton commentaire Gaëlle ! Je n’étais pas satisfaite de la fin, mais comme je me suis laissée emporter par mon envie de décrire Reykjavik, je me suis fait prendre au piège de la limite des caractères. Et pour tout avouer, j’ai commencé le texte samedi avant de tomber malade, ce qui fait que je l’ai fini en vitesse lundi soir…
Pour moi, ce texte serait presque plus le début d’un roman en fait. Trop de descriptions et de sensations pour une nouvelle, pas assez de rythme. Soit à retravailler en nouvelle donc, mais en la rallongeant un peu. Soit à transformer en roman si j’en ai un jour le courage ! Je vais peut-être tenter la chose…
Si vous avez des pistes, allez-y !
Et merci Gaëlle pour ton retour.
Oui, c’est l’effet que ça m’a fait à la lecture: c’est le début de quelque chose de plus long, ce texte! C’est pour ça que j’ai trouvé la fin un peu plaquée, et que j’ai subodoré que la limite de caractères y était pour quelque chose. Roman ou nouvelle, à voir en fonction de la façon dont tu voudras finalement le dérouler, des idées que tu auras. Mais en fait, c’est cette semaine particulière pour Mia, qu’il faudrait nous raconter. Moi j’ai envie de la partager avec elle, là, maintenant. Vu la façon dont tu l’introduis, vu la belle installation que tu en fais, je brûle vraiment de savoir ce qui va s’y passer. Et il n’est pas certain d’ailleurs qu’il faille de gros rebondissements, ça peut aussi justement être une nouvelle ou un roman des « sensations », sans évènement extraordinaire à la clé, mais juste une femme qui retrouve des ressentis, qui se « reconnecte » à son intériorité, avec un vrai travail possible autour de ces descriptions. (boulot éventuel autour de changements de registres de langue, de longueurs de phrases, selon que l’on décrit une sensation langoureuse, vive, désagréable, etc…)
Personnellement, je ne suis pas fan des descriptions de lieux, mais là comme les phrases sont courtes, sans tournures « alambiquées qui font littéraire et intelligent mais dont on ne comprend pas le sens », je n’ai eu aucun mal à imaginé.
Au fil de ma lecture je me suis demandé ou étais la résurgence jusqu’à l’évocation du roman. Je suis un peu restée sur ma faim du coup quand au thème mais si on exclu le thème pas du tout.
Je suis d’accord avec Nolwenn. Ce que j’aime beaucoup dans les descriptions d’EmmaBo, c’est qu’elles ont un intérêt pour l’histoire, c’est une façon de « poser » le personnage, d’accompagner en douceur le début de cette semaine de « off ». Ce n’est pas juste pour remplir des lignes. C’est réellement l’histoire qui s’écrit au fil du paysage, on sent que ce personnage qui s’est peut-être un peu « perdu » est justement un peu fondu dans le paysage au départ de son voyage, et que l’auteur va nous emmener justement vers le fait de l’en « décoller » petit à petit pour que Mia retrouve son intériorité.