« Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre »
Juin 2015.
Aéroport de Roissy Charles de Gaulle. 23h20. Vol AF442. Boeing 777-300.
Après 365 jours derrière ses barreaux. 365 jours « sans vie ». 365 jours sans goût. 365 jours seule. Fleur vient d’embarquer. Sans bagage. Seule, aussi.
La veille, elle avait ouvert la boîte. Elle avait trouvé l’avion. Elle l’avait déplié.
Aujourd’hui, elle était là.
Juin 2014.
Jules lui avait donné une boîte. Un carton. Vaguement scotché. Un peu abîmé. Comme lui.
Fleur ne voulait pas. Mais il lui avait fait promettre de le garder. De l’ouvrir. Un jour. Quand elle se sentirait prête. Quand elle en aurait envie.
Et puis, Jules est parti. Définitivement.
La douleur a été terrible. Fleur ne reconnaissait pas sa vie. Elle assistait à ce qu’il se passait telle une spectatrice discrète et distraite. Elle n’était pas là. Chacun se pressait, l’embrassait, lui assurait son soutien. Elle était étrangère. Elle était seule. Noyée dans le brouillard de sa vie. Déambulant dans une existence inconnue. Elle aurait voulu s’envoler avec Jules.
Ça a duré un an.
Juin 2015.
Aéroport de Rio de Janeiro. 05h30. Atterrissage.
Il y a un an, Jules a pris un billet sans retour. Otage du grand Glio. Anéanti par une tumeur cérébrale.
Jules et Fleur étaient des âmes sœurs. Jamais l’un d’eux n’avait vécu sans l’autre…
Et puis, cette boîte. Un matin de juin, Fleur avait eu envie de l’ouvrir. A l’intérieur, elle avait découvert un avion en papier. L’aéroplane était habillé d’un revêtement manuscrit. Une écriture maladroite et malmenée par les turbulences cérébrales. Cette flèche volante avait sorti Fleur de sa torpeur. Décollage immédiat…
Ma Fleur,
Si me duermo mi amor…
Aujourd’hui tes paupières s’ouvrent péniblement. Je voudrais être là et venir te chuchoter « si me duermo mi amor »…
Hier, après une furieuse bataille, j’ai rendu les armes. Malgré moi. Malgré l’amour dont tu m’inondes. Nombreux ont été à me soutenir. J’ai lutté. Sans haine contre mon adversaire. Avec rage et envie. Je suis allé au bout de moi-même.
Elle est arrivée dans notre vie brusquement. Sans prévenir. Elle a débarqué. Sans bagages. Après un atterrissage périlleux, elle s’est installée. Elle a fait connaissance avec l’ensemble de mes neurones. En cachette.
Quelque chose n’allait pas. Comment savoir? Pourquoi ne voulait-on pas savoir vraiment? Enfermer cette soirée aux urgences dans une valise. L’envoyer loin.
Trop tard. La tempête. La violence avec laquelle nous avons été heurtés venait d’ailleurs. Nous avons rapidement compris qu’il faudrait combattre avec force et envie. Ne jamais s’avouer vaincu. Saisir les courts répits comme des parenthèses enchantées. Lui envoyer notre bonheur en pleine figure. La mettre à terre. A son tour.
Malheureusement, ces phases ne duraient jamais. Il fallait rebondir. Toujours.
Chaque étape était plus ardue. Plus rude. Plus féroce. Je n’ai jamais perdu espoir. Tu étais là. Toujours. Ton amour me portait. Ta volonté et ton courage m’ont amené au bout de moi-même. Pour moi. Pour toi. Pour nous. Ta tendresse et ta folie m’ont animé tout au long de ce voyage.
Aujourd’hui, de mon hublot je t’aperçois. Tes larmes coulent. Ta peine est immense. Ta douleur semble insurmontable.
« Si me duermo mi amor »… Je voudrais faire briller le soleil plus fort que jamais. Te dire combien je t’aime. Te dire que là où je suis, dans cet avion de l’inconnu, j’ai trouvé le calme. Je suis assis. Je te regarde. Je souris.
Je me suis endormi avec ton visage. J’ai vécu un rêve depuis le jour de notre rencontre. Je relis notre vie. Tu es belle. Je suis là. Tout près. Toujours.
Jules
Fleur a décidé de continuer à vivre. Ailleurs. Autrement.
Jules aurait dû être muté au Brésil en juillet 2015. Evidemment, elle l’aurait suivi.
Alors elle y est allée. Elle ne sait pas ce qui l’attend. Elle ne sait rien en fait.
Elle n’a plus peur parce qu’elle sait qu’il est là.
Au dessus d’elle.
Là haut. Dans les nuages. Là, où il avait toujours voulu être.
« Et la mer, quelle saloperie ! »
Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…
Pour ceux qui ont participé à l’atelier de mai, il y a dans ce texte comme un air de déjà vu. Colette nous repropose ici un texte mettant en scène Jules et sa foutue tumeur, comme elle l’avait fait de façon percutante le mois dernier. Pour autant, il n’y a aucunement de redite, c’est une autre facette de l’histoire de ces deux personnages qui est ici mise en scène. C’est en quelque sorte la suite. La renaissance, ou la résilience, de Fleur, après le deuil et la souffrance, qui sont ici évoqués sans s’appesantir dessus (ce qui à mon sens est mieux, c’est difficile à négocier sans pathos…). Et me concernant, j’ai aimé retrouver ces personnages!
J’ai une vraie question, en revanche, sur la crédibilité de la lettre de Jules. C’est une lettre très « écrite », belle, émouvante. Mais il est précisé au départ qu’elle est écrite à un moment où la tumeur a déjà fait grandement son sale boulot. Du coup ça m’a gênée, je l’ai trouvée presque « trop » belle pour un malade en phase terminale de tumeur cérébrale.
Je pense qu’il y aurait un travail assez intéressant à faire autour de cette lettre, imaginer une langue hachée, déconstruite, des mots jetés sur le papier sans qu’il n’y ait toujours de phrases… Une lettre écrite en plusieurs fois, quand Jules peut jeter 10 mots sur le papier, un coup une belle phrase, un coup juste un mot ou deux… Cela donnerait un relief tout autre à cette lettre, et à la cruauté du mal qui a frappé Jules. Je pense que le lyrisme de la lettre, telle qu’écrite là, n’est pas forcément la meilleur option possible.
Et petit détail, qui m’est venu comme ça et qui vaut ce qu’il vaut (peut-être rien, l’auteur jugera !) : j’aurais eu très envie de tordre un peu la phrase imposée, moi, et de conclure le texte par « et l’amer, quelle saloperie ! », puisque justement, ce texte raconte le moment où on tourne la page de l’amertume.
Merci Gaëlle pour ton retour!
Après le texte un peu noir sur Glio, j’ai ressenti le besoin d’être un peu plus « tendre »… La lettre demanderait effectivement à être retravaillée de manière plus « réaliste »… Je vais m’y pencher prestissimo!
Concernant la phrase imposée, je garde ton idée en tête…
moi j’aimais bien l’idée d’opposition entre le « titre » reprise d’un slogan d’Air France (et clin d’oeil à la passion de Jules!) Le Ciel, La terre et la conclusion sur la Mer… Comme une opposition entre les éléments quoi! enfin peut-être est-ce un peu confus comme explication!
Non non, elle n’est pas confuse, ton explication, elle est très claire! Et c’est effectivement l’effet que ça fait à la lecture de ton texte, une opposition des éléments. Tu peux tout à fait garder ça, ça fonctionne (ma proposition était plus un clin d’oeil parce que ça m’est venu vraiment spontanément, mais c’est toi qui écris et ton choix est pertinent!).
Et oui, ce texte est plus tendre, plus léger, plus optimiste, que ton texte mordant et noir du mois dernier (qui était vraiment super dans cette veine-là). Comme quoi on peut trouver plein de facettes d’écriture autour des mêmes personnages. Mais ça, on le savait déjà… 😉
J’arrive avec mes grands sabots; je m’imagine mal conserver une lettre un an, je me vois plutôt me précipiter pour la lire sans attendre.
Sinon, le texte m’ a beaucoup touchée. Quel bel amour, quelle relation fusionnelle ! Et quelques expressions qui font mouche . » Un carton. Vaguement scotché. Un peu abîmé. Comme lui. « Il y a un an, Jules a pris un billet sans retour. »
C’est vrai qu’une fois la lettre de Jules « arrangée » le texte n’en sera que plus poignant et je ne doute pas que Colette gagne ce pari.
Colette, merci de refaire vivre ces deux personnages! c’est chouette de les retrouver!
effectivement on ne retrouve pas « l’écriture turbulente et malmenée » dans ta lettre, alors j’attends ta nouvelle version qui apportera sans doute beaucoup à ton texte!
Contente d’avoir une suite et de retrouver ces deux personnages!
j’ai un peu le même sentiment au sujet de la lettre, cela m’a fait l’impression d’une intervention extérieure aux personnages… Peut-être qu’un rythme haché, des mots jetés par ci par là sur des bouts de papiers et qu’elle lirait, même dans le désordre seraient plus « forts »
utiliser le peu de force qu’il lui restait pour offrir un dernier témoignage à son aimée…