Texte de Colette

Pourquoi tout à coup, autant de monde après moi ? J’étais tranquille jusqu’à maintenant moi ! Je tiens quand même à vous préciser, mes chers, que lorsque je suis arrivée ici, personne ne s’est précipité pour m’accueillir. Il a fallu que ce soit moi qui organise une fête et qui pende la crémaillère.

Vous vous en souvenez de ce soir là hein ?!

Jules, la quarantaine, rentre, comme à son habitude, bien, 22h, dans ses baskets, après une bonne journée de boulot. Il est certes un peu tard ; mais on s’en moque. Il est heureux Jules. Il vit de sa passion et existe grâce à, avec, son âme sœur. Voilà. Jules est comme ça. Là, il a hâte de retrouver la femme. Sa femme. Fleur. Les ampoules des lampadaires de la rue clignotent. Ses yeux se posent sur l’un d’entre eux. Et… Ils s’arrêtent. Net. Plus rien ne bouge. Il se croit immobile. Pourtant, l’instant d’après, Jules est à terre. Paralysé ? Il est tombé de toute sa hauteur. Son corps s’est mis à trembler. Fort. Impossible pour lui de faire quoi que ce soit . Il est 22h15. Il est allongé sur le sol. Seul. Il convulse. Il « s’endort ». Depuis cette soirée là, leur vie, tout ce qu’ils s’étaient appliqués à construire, eux, Fleur et Jules, a basculé dans la terreur, l’angoisse.

Ben quoi ?! Il fallait bien que j’invite du monde à ma soirée ! Bon ok. Désolée, si en dansant, mes nouvelles copines et moi, on a un peu fait valdinguer le plafond. Mais bon, ce n’est pas une raison. Depuis ce soir là, vous ne me lâchez plus ! Articles de presse, reportages TV… Je suis une « people »  et les paparazzi me traquent. Ils feraient tout pour obtenir un cliché de moi. Une photographie bien belle, de près de préférence et surtout pas floue ! Pour ça je ne vous raconte même pas ce qu’ils utilisent… Le numérique c’est dépassé. Maintenant, ils sortent l’artillerie lourde, de vrais robots avec téléobjectifs intégrés. J’ai cru comprendre qu’ils appelaient cela IRM. La semaine dernière, je ne sais ce qui a déclenché la foudre, mais j’ai été victime d’une tentative d’assassinat au laser. Les agents de police du LCR m’ont indiqué qu’il s’agissait d’une arme produisant des rayons ciblés. Encore un truc de psychopathe ! Certainement un pervers dégénéré qui jalouse ma célébrité soudaine ! Bon, quoi qu’il en soit, j’ai bien compris la leçon. Pas d’inquiétude. En ce moment, je vis terrée dans ma substance blanche. Je fais timidement connaissance avec mes voisins. Je crois qu’ils m’aiment bien. Petit à petit, je « fais mon trou », comme on dit. Ils n’arrêtent pas de m’inviter chez eux. Tiens, hier, j’ai été conviée chez monsieur le maire. Bel homme ce monsieur Calleux. Et puis, il est tellement fédérateur. Grâce à lui, on peut traverser facilement les lobes, sans frontières, ni passeport (ce qui m’arrange bien… je suis arrivée précipitamment du pays de l’Infection et pour l’instant, je suis toujours sans papiers ici…).

Jules, couché dans un lit d’hôpital. Il pleut. Jules est gris. Moche. Flétri. Gonflé. Desséché. En quatre mois, il semble avoir pris dix ans.  Il ne vit plus vraiment. Un administrateur central a pris le contrôle de tout. De ce qu’il ressent. De ce qu’il dit. De son comportement. De sa vue. De tout. Seule, Fleur reste. Elle aussi on l’a dépouillé de tout. De sa vie. Et plus ils avancent, moins ils ont envie de savoir. Ils souffrent ensemble. Tentent d’affronter l’horreur.

Je m’appelle Glio. Aujourd’hui cela fait quatre mois que je vis dans la substance blanche de Jules. Je me sens bien ici. Je m’étale, je m’éclate, je défonce tout. Jules et les autres, les humains, ils veulent ma peau. Ils me détestent. Ils me trouvent horrible, méchante, dévastatrice. Physiquement, je ressemble à un papillon. Comme lui, je grandis et je me transforme. La chrysalide se méta-morphose. Je suis une nymphe au pays des neurones. Je laisse sur mon passage des bribes de cocon, des méta-stases. Partout. Je suis la reine. J’infiltre tout. Le cortex m’appartient.

Jules, la quarantaine bien tapée. Les yeux clos. Son cœur bat. Ses yeux ne s’ouvrent plus. Bientôt, il ne sera plus. Je l’ai bien bouffé.

Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…

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Colette nous convie ici dans un texte de genre, noir, cynique, très bien mené. Cette tumeur, sorte de personnage décadent et tout puissant, réjouie de son succès, n’a aucun état d’âme (et c’est logique, bien évidemment). L’utilisation par moment d’un vocabulaire assez cru, la description sans concession, et factuelle, de la déchéance de Jules, l’expansion décrite à l’intérieur du cerveau, tout cela concours à dresser un tableau assez terrifiant, mais extrêmement bien mené, qui donne un peu des frissons… Preuve que la narration est efficace !

J’aime vraiment bien le côté assez « mordant » et sans complexes, cruel, du langage de cette tumeur, à titre personnel. Et je n’hésiterai pas à l’accentuer nettement. Les courts retours à un narrateur extérieur, pour décrire la déchéance progressive, pourraient être l’occasion de mettre en place le fait que la tumeur se « nourrit » de cette déchéance, de ce désespoir. Comme un espèce de monstre fou, de « méchant » de cinéma, qui se régale des dégâts et de la souffrance qu’il cause. Qui gonfle d’orgueil et de jouissance, plus son hôte s’avance vers la mort.

Il reste une possibilité non-explorée de chute, également : ce que la tumeur ne dit pas, c’est que sa victoire sera aussi sa chute… Car quand elle aura eu la peau de Jules, elle sera amenée à disparaître elle aussi, n’ayant plus de cerveau à dévorer…

Ce texte est d’une noirceur totale. C’est une super idée de montrer le point de vue de la tumeur…qui fait son boulot de tumeur finalement.
Effectivement, une fin qui indique que la mort de Jules signe également la mort de la tumeur pourrait être tout à fait délectable (une sorte de retour de bâton ah ah !)

Texte très noir et cynique qui malgré tout m’a fait sourire (après relecture, je trouve le premier paragraphe particulièrement drôle!)

oui c’est vrai !!!!

Intelligent, bien tourné, on la trouve presque sympathique cette tumeur.
Cela m’a rappelé un film dont j’ai oublié le titre dans lequel le personnage, apprenant sa maladie, va parler à sa tumeur devenue un personnage, ce qui nous la rend plus agréable et permet de nous distancer. C’est ce que permet ce texte. De nous distancer. merci

Le film en question, c’est pas « Le bruit des glaçons » ? avec Jean Dujardin et le génial Albert Dupontel ?

Merci++++ pour vos retours! Je vais tenter d’explorer la piste de la fin de la tumeur…
Pour l’instant, je me nourris de vos commentaires, réflexions, pistes, conseils…
Re-Mercis++++
Je n’ai pas vu le film dont vous parlez mais cela ne saurait tarder désormais!!!!
L’idée de faire parler la tumeur était pour moi une manière de lui exprimer ma rage, ma haine et toute ma colère …

Ton texte est bien fichu parce qu’on sent effectivement la haine que la tumeur t’inspire mais en même temps, tu nous la rends malgré tout presque sympathique. C’est bien joué !

C’est « marrant » que j’évoque un méchant de cinéma, et qu’en commentaire vienne aussi la référence d’un film. Il y a vraiment quelque chose de cinématographique dans ce texte, et pourtant pas seulement (parce qu’à l’écran, il ne serait pas vraiment possible de faire parler la tumeur). Bref, un truc inventif et convaincant.

C’est exactement ça ! J’aimerais bien avoir aussi quelques infos (juste pour bien les rendre encore plus réels) sur Jules et Fleur. Pas grand chose, juste de petites touches descriptives. Mais c’est un avis tout personnel. J’aime beaucoup ton texte.

Ce thème est vraiment bien trouvé Gaëlle, la diversité des textes est super !
J’aime beaucoup cette tumeur, cette histoire m’a vraiment enthousiasmé.
J’aimerai juste la lire sans la limite des 4500 signes pour rentrer plus dans son évolution, et avoir plus d’infos de la part du narrateur extérieur en alternance. Sur un texte aussi court, je n’aurai pas mis de narrateur extérieur, qui m’a un tout petit peu perdu. Je n’aurai fait parler que la tumeur pour renforcer son côté méchant « J’ai réussi à coucher Jules dans un lit d’hôpital. Je fais tellement la java qu’il est tout gris et moche… »

Moi j’aime assez le retour au narrateur extérieur, justement pour ce côté cinématographique qu’il instaure. Mais effectivement, tout traiter par les yeux de la tumeur est une autre option qui donnerait certainement aussi un texte intéressant.

Et je suis d’accord avec toi, Nolwenn, sur la variété réjouissante des textes de cet atelier (mais je ne suis pas sûre que ça soit la proposition, c’est plutôt votre créativité!)

J’aime bien qu’il y ait un narrateur extérieur, cela permet de nous distancer de la tumeur et d’avoir aussi le point de vue de l’entourage de Jules. C’est là qu’on sent ta colère et ta haine face à « Glio ». Alors que quand c’est la tumeur qui parle, on a presque envie de se ranger de son côté. C’est ce qui est intéressant dans ton texte: l’alternance entre la tumeur et le narrateur extérieur et donc entre l’empathie qu’on a pour la tumeur puis pour Jules et son entourage.

J’ai oscillé entre le rire et les frissons tout au long de ma lecture, comme quoi c’est effectivement très trèèèèèès bien mené. Bravo, vraiment, pour ce texte très juste et très bien écrit ! Comme pour beaucoup de textes de cet atelier, j’ai maintenant envie de connaître la suite de l’histoire (de ce texte, pas de la tumeur, enfin si, ça va ensemble, mais bon, bref, euh… z’avez compris ?).

Glacial mais génial! On finit par s’attacher à cette tumeur habituellement détestable car vous avez su la rendre vivante (!). Elle est comme un personnage à part entière qu’on a en effet envie de suivre plus longtemps. Mais on a presque des difficultés à lui souhaiter du mal… C’est terrible!

(ça y est! Je l’ai attrapé! Depuis le début de la semaine, je me demande à quel méchant de cinéma me fait penser cette tumeur, mais comme je ne vais plus guère au ciné et que je n’ai plus la télé, mes idées sont un peu floues à ce sujet. Et là ça me revient: je crois que c’est au « joker » de Batman. Un espèce de clown grimaçant infiniment cruel et sans scrupule, quoi…)