Son désespoir était contenu dans cette goutte…
Dimanche, mai 2015.
Je me suis levée décalquée ; à quatorze heures. La nuit a été longue. L’oxygène était rare. Hier, j’ai fini mon dernier cours aux alentours de dix neuf heures trente. Je revois ma peau recouverte de petits points en surface. J’ai froid. La serviette crisse sur mon corps. Je frotte plus. L’intérieur de la bête demeure humide. En sortant du bassin, l’appel était trop fort. J’ai cédé.
Je nage du matin au soir. Quand ce n’est pas moi qui m’entraîne, je donne des cours. Je vis désormais dans cette bulle remplie d’eau. Un poisson dans son bocal. Qui tourne. Toute la journée. Ma vie est hyper réglée, hyper cadrée. Rien ne dépasse. Rien d’autre non plus d’ailleurs.
J’ai voulu fuir. Je me suis noyée. Sans résister. J’ai bu la tasse. Celle de trop. J’avais rendez-vous là-bas, avec mes anciens copains. Ca faisait longtemps qu’on s’était perdus de vue. Je me suis assise au comptoir. J’ai pris des nouvelles de chacun. Ils n’avaient pas changé. Leurs saveurs étaient intactes. Les sensations que je percevais me semblaient familières. Doucement, j’ai lâché prise.
Dimanche, décembre 2015.
Seule une larme coule le long de ma joue. Tout est là. Je tourne la tête et regarde dehors. Me yeux se perdent dans l’immensité du paysage. Les gouttes ruissellent sur les carreaux. Je ne sais plus vraiment qui je suis. Une autre peut-être. Je voudrais tout arrêter. Débrancher. Quelque chose ne va pas. Je ne vais plus depuis ce soir de mai. Depuis cette noyade programmée…. Je plonge. Impossible de nager en surface. Les mouvements ne s’enchaînent plus. On a coulé le moteur. Je suis engluée, prisonnière de mon corps, incapable de me mouvoir dans l’océan de mon existence. Parfois, j’aperçois le reflet de la lumière au-dessus de moi. Mes yeux sont embués. J’ai dû rêver. Le cauchemar continue. Personne pour me sortir de ce gouffre. Je suffoque. J’étouffe. Entre deux sanglots, j’essaie de reprendre mon souffle. Rien n’y fait. Avant, j’étais bien, l’eau me portait. Maintenant, je traîne ma carcasse nulle part. Je me perds. Je me suis privée de tout. Je n’ai plus rien. Qui suis-je devenue ?
Lundi, avril 2016.
Je m’appelle Mia. Pour m’éloigner de toi, je me suis parée d’écailles et j’ai élu domicile dans un autre liquide. Tu as été mon meilleur ami. Tu es devenu mon pire démon. Dualité incompatible. Aujourd’hui j’ai fait le grand saut. Je suis assise au milieu de mes compagnons d’infortune, ceux qui ont cru au rêve que tu vendais. Aujourd’hui je veux reprendre le dessus, réussir à te quitter à jamais.
Une page se tourne. Je m’appelle Mia, je suis alcoolique.
Par Colette
Colette nous propose en quelque sorte ici une réinterprétation de l’expression « nager entre deux eaux », mais où il s’agirait de nager entre eau et alcool… J’ai pour ma part deviné assez rapidement que les amis du bar étaient de ceux qui se boivent et qui font tourner la tête, mais ça ne m’a pas du tout gênée de le comprendre rapidement (c’était d’ailleurs peut-être voulu, je ne sais pas, Colette ?). J’aime beaucoup que le prénom de l’héroïne n’arrive dans le texte qu’à la fin, qu’au moment où elle choisit de s’en sortir. C’est une façon la « rendre à elle même », de la réincarner pleinement.
Je crois, Colette, qu’elle manque un peu de « corps », ton héroïne. Finalement, je te relis, et je ne sais rien d’elle, à part qu’elle nage, et beaucoup. C’est assez intéressant, je trouve, de ne pas être dans quelque chose de très explicatif, c’est assez intéressant qu’elle ne soit pas « trop » incarnée, puisque tu racontes un glissement, un moment où justement, elle ne sait plus qui elle est. De la sorte, tu nous fais vivre ça aussi en ne nous la présentant pas vraiment, pas beaucoup. Mais je crois qu’il faudrait malgré tout que tu distilles par ci par là quelques petits détails supplémentaires. On s’attache davantage à des « vrais » personnages qu’à des ombres, je crois. Je pense que ton texte serait plus attachant, plus « complet » si on savait quelques petits détails supplémentaires, peut-être anecdotiques mais affectifs, sur ton personnage.
Contrairement à Gaëlle, je n’avais pas été assez perspicace pour comprendre tout de suite l’alcoolisme de Mia… et je préfère. Cela ajoute un côté mystérieux à la beauté du texte. Triste mais beau.
Oui, je suis d’accord avec le côté « mystérieux », triste et beau, un peu envoûtant du texte de Colette (et même en ayant deviné assez tôt de quoi il retournait, ça fonctionne, cette tonalité)
Moi non plus, je n’avais pas deviné avant la chute ;-)! Et j’ai bien aimé ainsi, comme si les pièces du puzzle s’assemblaient à la fin. J’ai apprécié aussi les phrases courtes qui apportent un rythme à ton texte.
Oui, je suis d’accord aussi pour les phrases courtes, surtout autour de la sensation d’étouffement. ça renforce, par le rythme du texte, cette sensation exprimée, ça la rend presque palpable.
Pareil, je n’avais pas deviné l’alcoolisme lors de la lecture. J’ai bien aimé la façon d’écrire, cet affinement au fur et à mesure.
On ressens au fur et à mesure de la lecture cette sensation d’être oppressée.