Première clé
Des buis retenant parfois des brins de laine de moutons, des rochers, de l’herbe jaunie par le soleil insistant. L’air est sec. La chaleur pulse à perte de vue sur ces collines désertiques. Quelques papillons bruns et bleus virevoltent et disputent aux abeilles le pollen de quelques minuscules orchidées sauvages, presque cachées sous les pierres, à ras le sol. Le vent écorche le chant des oiseaux, le fait tournoyer et rebondir ça et là dans l’immensité du paysage. Les cheveux d’ange, ces herbes follement attachantes, ondulent langoureusement sous mes yeux. Je ressens la force de cette terre ancestrale, rude, sous mes pieds rouges de poussière. De-ci de-là de petites crottes rondes de moutons, vestiges du troupeau ayant emprunté le sentier. L’odeur du thym que je foule remonte par bouffées à mes narines. Les petites pierres crissent et roulent sous mes sandales.
Plus loin, je croise la cabane ronde, en pierres sèches. Vide. Devant trône la vieille pompe à eau dont la peinture blanche s’écaille largement, laissant entrevoir tantôt la rouille tantôt une couche verte plus ancienne. Je l’actionne quelques longues minutes, la sueur me pique la peau, mes muscles grognent sous l’effort. Une eau d’abord couleur terre gicle dans le long bac en pierre polie, faisant fuir quelques sauterelles affolées. L’eau pure et fraîche s’écoule enfin par saccades, attirant les insectes bourdonnants. Sans cesser le mouvement, je me penche pour boire quelques gorgées. Puis je m’arrose la tête pour me rafraîchir et me nettoyer le visage, les mains, les bras, tour à tour. Je reprends mon chemin.
Le vent se met en tête de me sécher les cheveux, s’amusant à les ébouriffer, les froisser, les sculpter à son goût. L’air est limpide, rendant ma vision nette jusqu’aux montagnes plus hautes et plus noires au loin. Je l’inspire fort, il me rend toute légère, mes pas se font plus faciles. Mon pied est sûr, le chemin est tracé, net. Le cri de quelques rapaces virevoltant haut dans le ciel me frôle les oreilles. J’imagine leur œil acéré me repérer, lente petite créature sur le minuscule sentier tout là-bas. Ils m’accompagnent un moment puis se sauvent vers la vallée, s’amusant avec les courants ascendants et descendants.
Le soleil réchauffe ma peau et fait briller les dernières gouttes sur mes bras, joyaux lumineux multicolores un bref instant. La chaleur intense est vivifiante et se diffuse dans tous mes muscles avec bonheur. Je me sens vivante.
Deuxième clé
Le chemin serpente maintenant pour descendre vers un petit pont enjambant un lit de pierres blanches d’une rivière souterraine, en cette saison. Des bosquets de lavande y tendent leur parfum capiteux vers le ciel d’un bleu presque blanc. Mes pieds me mènent vers l’autre rive, tambourinant sur les lattes de bois sec.
Je l’emprunte les poches délestées des vieux bagages pour arriver sur mon île, la belle, la bien-nommée.
Je grimpe la colline verdoyante devant moi. L’iode flotte dans l’air. La lumière baisse peu à peu. La pierre plate encore chaude est ici, exposée aux quatre vents. J’y prends ma place. L’île jumelle m’apparaît en contre-jour dans le soleil couchant, sa falaise tourbillonne de plumes et de cris d’oiseaux qui y nichent. Ma respiration s’apaise, yeux fermés. Sur le rythme des vagues commence le rituel. Appeler la Terre. L’énergie de Gaïa monte en moi, rouge, et s’épand dans tout mon corps. Le Soleil maintenant. Sa chaleur dorée se diffuse en moi. Equilibre.
Je me relève et descends sur la plage en contrebas. Le soleil rougeoyant plonge dans la mer, fait place à la première étoile. J’arrive aux neuf marches taillées dans la roche, puis sur le sable. La lune baigne son reflet dans la mer calme. De petites vagues lèchent la plage dans un doux murmure. Les branchages sont installés. L’un d’entre nous allume le feu. Nous sommes assis silencieux autour du brasier, le cœur heureux. Les flammes crépitent, prennent de la hauteur, léchant le bois sec, sifflant une musique ancestrale. Et les langues se délient, les rires fusent, les conversations vont bon train. L’odeur des mets qui cuisent nous ouvre l’appétit. Les boissons sont servies. Des groupes se forment, certains surveillent le feu, d’autres s’assoient au bord de l’eau. On prend des nouvelles, on se raconte, on partage. Je m’éloigne de quelques pas pour m’imprégner de toute cette vie. On se sourit, les yeux pétillants, heureux de ces retrouvailles. « Tellement magiques ces passages vers notre plage, tu trouves aussi ? »
Troisième clé.
Par Ann
C’est un texte un peu onirique que nous propose Ann ce mois-ci. On ne sait pas vraiment ce que sont ces « clés », on ne sait pas très bien quel est ce chemin emprunté, quel est ce rassemblement qui le conclue, qui sont ces gens retrouvés (ni même ce personnage principal)… C’est un texte d’ambiance, d’images, avec un vrai soin porté aux mots choisis pour décrire les détails des paysages, des sensations. A titre personnel, ça m’a fait l’effet d’un mélange entre rites chamaniques, ambiance un peu fantasy façon Fée Morgane se rendant à Avalon, et autres petites choses du genre. J’ai bien aimé ce voyage un peu « flou », je me suis laissée portée par les mots. On comprend assez vite qu’il n’y aura pas forcément grand-chose à comprendre, justement. Juste prendre ce texte comme un chant, comme l’écho un peu sublimé d’une aventure dont on n’aura finalement pas toutes les « clés », malgré les trois citées.
Je présume, Ann, que c’est un choix, tout ce « flou » autour de ton personnage, et du reste. Et si c’est un choix qui serait probablement difficile à tenir sur le long terme (c’est quand même compliqué de raconter une histoire sans la raconter vraiment… !), sur un texte court, ça fonctionne. Néanmoins, C’est un équilibre extrêmement difficile à tenir, et je crois que tu pourrais encore affiner les choses. Il y a deux modes narratifs, dans ton texte : une narration descriptive, extérieure, pour le paysage par exemple. Et une narration « sensorielle » : l’effet que ça lui fait, le ressenti. Or je trouve que tu ne distingues pas assez les deux. Le registre sensoriel reste le plus souvent aussi dans une narration extérieure, et je pense que c’est dommage. A mon sens ça fonctionnerait encore mieux, dans les instants où tu décris des sensations, si tu étais vraiment « dans » le ressenti, et pas dans l’explication. Par exemple « je m’arrose la tête pour me rafraîchir » : bon, certes, mais là c’est presque journalistique, purement factuel. On préférerait que ça soit « vécu », que ça brasse. Ça lui fait quoi, de s’arroser la tête d’eau fraîche ? Quelles les sensations profondes ? (tu peux jouer de plein plein d’images différentes des images du paysage). Eventuellement, qu’est-ce que ça lui rappelle ? etc… Je pense que si tu creusais le sensoriel, en complément des moments plus éthérés où on est davantage dans les détails du paysage, du donnerais sacrément plus d’épaisseur à ton texte.
j’ai pas tout compris, loin de là mais j’ai aimé ça, être transportée, y’avait vraiment un univers qu’on pouvait ressentir. Et c’est très bien écrit, sans qu’il y ait une impression de labeur ou de recherche…j’ai beaucoup aimé
oui oui c’est un choix. Tu as mis le doigt sur ce qui me gênait mais que je n’arrivais pas à identifier pour le narratif/sensoriel. Et en fait je me heurte à quelques difficultés là-dessus, dans ce texte. J’essaie une 2ème version, libérée du nombre de caractères aussi, alors avec un peu plus de détails.
Version2:
Première clé : quatre éléments – ressource.
Des buis retenant parfois des brins de laine de moutons, des rochers, de l’herbe jaunie par le soleil insistant. L’air est sec, la solitude extrême. La chaleur pulse à perte de vue sur ces collines désertiques. Quelques papillons bruns et bleus virevoltent et disputent aux abeilles le pollen de quelques minuscules orchidées sauvages, presque cachées sous les pierres, à ras le sol. Le vent écorche le chant des oiseaux, le fait tournoyer et rebondir ça et là dans l’immensité du paysage. Les cheveux d’ange, ces herbes follement attachantes, ondulent langoureusement sous mes yeux. Je ressens la force de cette terre ancestrale, rude, sous mes pieds rouges de poussière. Je me sens prendre ma place, gagner ma stabilité. De-ci de-là de petites crottes rondes de moutons, vestiges du troupeau ayant emprunté le sentier. L’odeur du thym que je foule remonte par bouffées à mes narines, m’enivrant légèrement. Les petites pierres crissent et roulent sous mes sandales qui retrouvent leurs habitudes. Suis-je calme ? A l’intérieur, encore, mes pensées se bousculent, filent et se croisent en un va-et-vient incessant.
Plus loin, je croise la cabane ronde, en pierres sèches. Vide. Devant trône la vieille pompe à eau dont la peinture blanche s’écaille largement, laissant entrevoir tantôt la rouille tantôt une couche verte plus ancienne. A quelle source cachée peut-elle être raccordée ? Je l’actionne quelques longues minutes, la sueur me pique la peau, mes muscles grognent sous l’effort. Une eau couleur terre gicle dans le long bac en pierre polie, faisant fuir quelques sauterelles affolées. L’eau pure et fraîche s’écoule enfin par saccades, attirant les insectes bourdonnants. Sans cesser le mouvement, je me penche pour boire quelques gorgées. Je les sens descendre et marquer leur trajet tout du long, ralentissant le bouillonnement intérieur et abreuvant mon corps entier. Puis je m’arrose la tête. Ah ! C’en est presque douloureux, au début, et après quelques profonds frissons, ça devient plus intense, je me sens plus propre, grand nettoyage intérieur et extérieur, fluidité. Je reprends mon chemin.
Le vent se met en tête de me sécher les cheveux, s’amusant à les ébouriffer, les froisser. L’air est limpide, rendant ma vision nette jusqu’aux montagnes plus hautes et plus noires au loin. Je l’inspire fort. Je le sens défroisser mes poumons. Je l’expire. Il m’entoure et m’emplit. Il me fait bien plus légère, il est légèreté. Mes pas sont plus faciles, mes pensées plus claires. Mon pied est sûr, le chemin est tracé, net. Le cri de quelques rapaces virevoltant haut dans le ciel me frôle les oreilles. J’imagine leur œil acéré me repérer, lente petite créature sur le minuscule sentier tout là-bas. Ils m’accompagnent un moment puis se sauvent vers la vallée, s’amusant avec les courants ascendants et descendants.
Le soleil luit et réchauffe ma peau, mes os. Il fait briller les dernières gouttes sur mes bras, joyaux lumineux multicolores pour un bref instant. Mes yeux clignent sous sa force. Je croise quelques lézards au ton pierraille. Ils viennent eux-aussi profiter de ses rayons bienfaisants sur les rochers bordant le chemin. La chaleur intense est vivifiante et se diffuse dans tous mes muscles avec bonheur, comme des picotements, de petites étincelles circulant partout sur mon corps. Sa puissance me soutient. Je me sens vivante dans cette immensité. Il me fait pétillante de joie.
Deuxième clé : passage – alignement.
Le chemin serpente maintenant pour descendre vers un petit pont enjambant un lit de pierres blanches d’une rivière, souterraine en cette saison. Des bosquets de lavande y tendent leur parfum capiteux vers le ciel d’un bleu presque blanc. Je regarde mes pieds me mener vers l’autre rive, tambourinant sur les lattes de bois sec. Je l’emprunte les poches délestées des vieux bagages pour arriver sur mon île, la belle, la bien-nommée. J’y suis. Je me sens instantanément heureuse, mon coeur bât un peu plus vite, j’inspire un peu plus d’air. Je grimpe la colline verdoyante devant moi, pas à pas. L’iode sature l’air. La lumière baisse peu à peu. La pierre plate encore chaude est ici, exposée aux quatre vents. J’y prends ma place et j’admire. L’île jumelle m’apparaît en contre-jour dans le soleil couchant, mystérieuse, sa falaise tourbillonne de plumes et de cris d’oiseaux qui y nichent. C’est l’heure. J’inspire, j’expire plusieurs fois, je ramène mon attention sur ma respiration. Petit-à petit, elle s’apaise, mes yeux se ferment. Sur le rythme des vagues commence le rituel. Appeler la Terre. Je prends racine, profondément. L’énergie de Gaïa monte alors en moi, rouge, orangé, jaune et s’épand lentement, comme un liquide me remplissant, du bassin, au ventre, jusqu’à la tête , dans tout mon corps qui se densifie. Elle vivifie chaque cellule de mon corps, les nourrit. L’astre du Soleil maintenant. Appeler ses rayons. Sa chaleur dorée descend en moi de la tête au cou, aux épaules, aux bras et se diffuse dans ton mon corps jusqu’à la pointe de mes pieds. L’énergie du cosmos me purifie, me nettoie entièrement et me ramène à ma source, à l’essentiel. Je suis en cet instant en équilibre parfait entre la terre et le ciel, la matière et l’esprit s’unissent instantanément et font un. Quelques rares pensées et émotions passent tels les oiseaux de mer de la falaise et je les laisse filer vers d’autres horizons, sans y prêter plus d’attention, avec facilité. Je profite pleinement de cet intense moment de calme intérieur. Je suis ici et maintenant. Maîtrise d’un instant.
Troisième clé : partage.
Je me relève et choisis le chemin vers la plage en contrebas. Le soleil rougeoyant plonge dans la mer, fait place à la première étoile. La beauté de la nature m’emplit et je me sens en accord profond avec elle. Je suis elle. J’arrive enfin aux neuf marches taillées dans la roche, je les prends une à une, puis je mets les pieds sur le sable fin. J’enlève mes sandales, j’adore le sentir crisser sous mes doigts de pieds. Ça fait monter en moi une joie enfantine. La lune baigne son reflet dans la mer calme, instant de paix. De petites vagues lèchent la plage dans un doux murmure. Les branchages sont installés et forment comme une petite hutte au milieu du foyer entouré de pierres. L’un d’entre nous approche une torche pour allumer le feu. Nous sommes assis silencieux autour du brasier, échangeant des regards complices. L’air nous enveloppe comme d’une odeur de bonheur. De petites flammes crépitent, prennent de la hauteur, léchant le bois sec, sifflant une musique ancestrale, prenant leur juste temps. Je sens l’énergie se diffuser dans le cercle et augmenter. Elle forme comme un toit de lumière bleutée au dessus de nous, et finit par former au centre une fine colonne tourbillonnante qui monte, monte haut avec la fumée, vers la voûte étoilée. Chacun rouvre les yeux, croise ceux des autres, amusés, reconnaissants. Et les langues se délient, les rires fusent, les conversations vont bon train. L’odeur des mets qui cuisent nous ouvre l’appétit. Les boissons sont servies. Des groupes se forment, certains surveillent le feu, d’autres s’assoient au bord de l’eau ou sur les rochers. Un tambour résonne, quelques chants. On prend des nouvelles, on se raconte. Je m’éloigne de quelques pas pour m’imprégner de toute cette vie. On se sourit, les yeux pétillants, heureux de ces retrouvailles. On se serre dans les bras. Quelques mots glissent dans mon oreille : « Mmmm tellement magiques ces passages vers notre plage, tu trouves aussi ?» à quoi je réponds « Quoi qu’il se passe, je suis en confiance ». Et nous partageons un grand éclat de rire sur cette phrase répétée mille fois en apprenant le rituel.
Comme j’ai aimé ton texte ! On ressent encore mieux tout dans ta deuxième version. Tu y mêles plus subtilement tes descriptions visuelles avec tes autres ressentis sensoriels. J’aime bien « le vent écorche le chant des oiseaux », c’est tout à fait ça ! On apprécie vraiment aussi mieux les bienfaits de l’eau sur le corps et l’esprit du personnage. J’apprécie aussi que tu fasses ce rappel de l’eau avec les gouttes sur le bras. Pour les clés, j’ai pas forcément tout compris mais ça me rappelle le château de ma mère de Pagnol avec les clés qui permettaient de longer le canal du midi en passant par les jardins de grandes propriétés.
J’ai vraiment aimé la deuxième version. La première était très belle, mais « juste » poétique, on regardait le paysage défilé. Dans le deuxième texte on est embarqué, on le vit avec la personnage, on le ressent. C’est très beau. Bravo
Oui, c’est une jolie deuxième version, plus intense et plus équilibrée, je trouve. Merci Ann!
Je préfère aussi la 2e version, toujours aussi poétique mais plus « compréhensible ».
Incroyable comme un même thème peut apporter des histoires et des styles très différents!
J’ai beaucoup apprécié lire ton texte si poétique. Mais lors de ma lecture de la première version, j’attendais un tournant, quelque chose qui allait arriver. J’étais sûrement encore sur le coup du texte de Schiele 🙂 A la fin, je me suis aussi dis que je n’avais pas bien compris ce qui se passait. J’ai mieux apprécié la lecture de la deuxième version. En effet, le rythme est bien mieux maîtrisé. De plus, sachant à quoi m’attendre, j’ai pu mieux me laisser bercer par la poésie, car, je ne l’ai pas encore dit, il y a plusieurs phrases que je trouve très belles.
j’ai changé qqs détails:
« Maîtrise de l’instant. » plutôt que d’un instant, et il y avait une répétition sur le verbe former dans une autre phrase: « Elle forme comme un toit de lumière bleutée au dessus de nous, et finit par créer au centre une fine colonne tourbillonnante qui monte, monte haut avec la fumée, vers la voûte étoilée. »
Il y aurait encore des choses à revoir…
Merci pour tous vos commentaires, sur le rythme, et surtout la poésie. J’ai essayé de jouer avec certaines images, des contrastes, des verbes/noms associés alors qu’ils ne parlent pas du même sens, niveau perception. J’avais peur que cela fasse « trop », peu naturel… L’idée est d’essayer aussi pour moi de changer de style selon les thèmes! Akina heureusement que tu n’as pas lu mon texte de septembre, pas mal de gros mots dedans, c’était un parti pris, qui a sûrement déplu à certains, mais justement, écrire avec des gros mots, pas si facile, et en même temps, amusant car frôlant un léger « interdit ». Et en relisant plusieurs de mes textes au fil des ateliers, même en ayant essayé de varier, je retrouve un gros fil directeur sur les perceptions et les sens dans mon écriture. Intéressant. J’avance…j’avance…Merci Gaëlle ^^