Un déhanchement à gauche, un déhanchement à droite. On bascule le bassin, comme ci. Ne pas oublier le mouvement des hanches, comme ça. Marquer le tempo. Chaque chose en son temps. Chanter. Laisser la musique s’imposer. Se déhancher. Suivre le rythme. Taper des mains. Mais comment font-ils ?!
Danser. Eviter les cailloux. Au début, ça les étonnait qu’elle soit pieds nus. Ils prenaient ça pour une moquerie. Ou une ingratitude, peut-être. Elle leur a expliqué qu’elle préférait le contact de la terre sous ses pieds, qu’elle aimait sentir les vibrations du sol. Elle se sent plus libre, ainsi. Ça les surprend toujours mais ils se sont habitués. Maintenant, les petits se déchaussent quand ils veulent l’imiter. Ça la fait rire.
Le rythme s’accélère. Surtout ne pas lâcher. Elle transpire. En temps normal, elle s’essuierait discrètement le visage, mal à l’aise. Mais ici, les gouttelettes le long de son visage et son tee-shirt trempé sont sources de fierté. On l’encourage. Elle se dit qu’il lui reste du travail à faire mais on l’acclame, pour ses efforts, son sourire, sa transpiration. Ça la touche. Pour quelques progrès aussi, peut-être. Faut dire, après plusieurs mois à ce rythme, elle note enfin que ses mouvements sont plus naturels. Elle sait que, demain, des courbatures les inscriront temporairement dans son corps.
Pourtant, amatrice des boîtes de nuit, elle en a passé des nuits sur le dance floor ! Les chorégraphies, le rock, le jazz, les slows, elle se débrouille. Mais là, c’est comme si elle découvrait son corps, si elle découvrait ses hanches, son bassin, ses genoux, ses épaules, ses coudes. Elle se demande comment elle faisait avant pour ne danser qu’avec ses pieds et ses mains. Tout comme elle se demande comment elle faisait pour marcher, seulement avec ses jambes. On lui avait appris que la danse était une affaire de grâce et de délicatesse. Deux choses qui n’ont jamais été son fort, à bien y réfléchir. Ici, il s’agit de lâcher prise, d’oser, d’être spontané. La clé : être portée par la musique.
On lui tend un verre d’alcool de palme. Ça fait du bien avec cette moiteur. Le groupe s’agrandit, les voisins arrivent, les enfants les rejoignent. Pas besoin d’invitation pour danser sous la voie lactée. Les bébés dodelinent dans le dos de leurs mères. Là d’où elle vient, on sait skier avant de savoir marcher. Ici, on sait danser avant de savoir marcher. Elle ne peut s’empêcher de penser « le rythme dans la peau ». Un instant, elle se trouve malchanceuse. Elle se dit alors qu’elle exagère… N’empêche qu’on est bien, là… La chaleur, la musique, les rires… Tout est tellement simple. Elle sait que la plupart de ceux qui l’entourent pense être nés en enfer. Comment leur faire comprendre qu’elle n’a jamais été aussi heureuse ? A eux qui soutiennent que leurs sourires sont des façades, qu’ils font semblant d’être heureux…
Autour d’elle, on se saisit des canettes, des bassines, des feuilles d’arbre, des bouteilles, des cailloux. On invente de nouveaux instruments, à percussions, à vent ou à cordes pour compléter le son du djembé. Elle se demande comment elle fera pour se réhabituer à sa vie d’avant, si elle y arrivera. Ça lui tord les boyaux d’y penser. Alors, elle danse pour oublier. Elle mesure alors qu’ils doivent être fiers d’elle : vivre au jour le jour, profiter. Elle y parvient. Enfin.
Cette nuit, c’est décidé, elle dormira dans la cour, en accord avec le ciel. Pour profiter de la douceur de la nuit, la tête sous les étoiles. Pour les remercier de veiller sur elle.
Par Ariane
Bonjour à tous !
Après 10 ans sans prendre la plume, je me lance dans une nouvelle aventure !
Voilà un texte qui prend le parti de ne « rien » dire, tout en disant beaucoup. La danse est racontée presque comme une expérience mystique, elle devient le prisme pour raconter l’héroïne. C’est comme un huis-clos entre l’héroïne, son corps, et le rythme, qui ne laisse passer l’alentour que petit à petit, pour nous distiller quelques petites infos, et laisser le champ à notre imagination pour les compléter. C’est un texte finalement assez « physique », kinesthésique, rempli de sensations plus que d’explications. Et qui donnerait presqu’envie d’aller danser en plein air, parce qu’il est assez convaincant (mais bon, ici, il fait encore un peu trop froid pour ça)
Mais ce qui est la force de ce texte me semble aussi, pour le coup, être sa faiblesse… ! Je ne suis pas sûre que l’équilibre soit tout à fait atteint entre ce qui est dit et ce qui n’est que suggéré (voire pas du tout évoqué). Je pense que l’on gagnerait malgré tout à en savoir un peu plus sur l’héroïne, pour être sûr de sortir de quelque chose qui pourrait être juste un « reportage » purement instant présent (malgré quelques évocations complémentaires), et réellement s’attacher à elle et à son histoire. Il y a dans le texte des « ils », des « eux » pas forcément simples à attribuer. De même, de nombreuses allusions sont faites à sa vie d’avant, sans qu’aucune ne permette pour autant de s’en faire réellement un début de représentation. Je pense que garder un flou certain autour de l’héroïne est une bonne option, mais peut-être faudrait-il malgré tout le réduire pour l’ancrer dans son histoire.
Ayant longtemps dansé, j’aime beaucoup ce texte. J’ai d’ailleurs hésité à écrire aussi sur la danse. A la lecture, je me suis d’abord dit qu’elle avait eu un problème physique et qu’elle redécouvrait son corps, qu’elle arrivait petit à petit à retrouver ses sensations. Puis je me suis dit qu’elle avait pris quelques mois sabbatique pour s’évader de sa vie et vivre autre chose. Et enfin je me suis dit qu’elle avait perdu des proches et qu’elle « revivait ». Bref je rejoins Gaëlle, il manque juste quelques infos. J’ai commencé à me perdre à partir « Un instant, elle se trouve malchanceuse ». Il n’y a pas assez d’infos avant et presque trop après.
Aujourd’hui il n’a pas fait trop froid pour avoir envie d’aller danser pieds nus après !
Oui, effectivement, c’était clair dans ma tête mais pas sur le papier [comment ça, vous n’êtes pas omniscients?!]. En fait, je pensais à un voyage en Afrique et à la découverte de la danse, conviviale et improvisée… A préciser, alors!
Merci pour vos retours!
J’ai essayé d’introduire des petits clins d’œil avec la musique, comme « portée », « clé », « note », « touche » etc. Je me demandais si ce n’était pas trop lourd à la lecture… Qu’en pensez-vous?
Non, je ne pense pas que ça fasse trop lourd. Pour être franche, je n’avais pas remarqué ces allusions, à titre perso. Mais je pense que sans les remarquer « vraiment », elles contribuent à créer l’ambiance musicale resserrée autour du personnage, et que donc, ça atteint son but!
j’ai longtemps dansé aussi, plein de choses différentes dont la danse africaine, je m’y susi vue tout de suite.
Malchanceuse de n’avoir pas le rythme dans la peau, moi non plus……. D’avoir appris, controlé, avant de rencontrer la danse africaine et d’apprendre à lacher … à sentir.
Mais quel pied ce doit être, de le faire « là bas » !
portée par l’ambiance, les mouvements du groupe, les voix…..
Je reste moi aussi sur ma faim concernant le contexte, elle est là depuis quelques mois….. Année sabbatique, pour qui, pourquoi ? Burn out, rupture, deuil….
Ou bien mission humanitaire, peut être, quelques mois plongée là dedans..
Un chéri dont c’est le pays d’origine ?
Ce n’est pas l’essentiel ici. L’essentiel est là, dans le corps qui vibre. Mais quand même, ou alors c’est qu’elle même oublie tout, oublie pourquoi elle est là, plus rien d’autre n’a d’importance, cela ne doit donc pas en avoir pour nous…