Texte d’Ariane

– Je suis verte,…

– Moi aussi, je suis vert.

– … depuis le début, j’en vois de toutes les couleurs.

– Moi aussi, j’en vois de toutes les couleurs : c’est l’automne.

– Bon, tu veux pas arrêter de m’interrompre ? Je te vois venir. Après, tu vas me raconter que tu es une vieille branche, ça va, j’ai compris. Tu vois pas que j’ai besoin de parler, là ? Je comprends mieux pourquoi on paye si cher un divan, les arbres, c’est chiant !

– C’est bon, j’ai compris, je t’écoute. J’ai rien d’autre à faire, d’façon…

– J’ai l’impression de m’être lancée dans le vide. Je ne maîtrise plus rien. A chaque fois que je me dis que ça va aller, bam, un nouveau truc me tombe dessus ! On m’a dit syndrome génétique puis retard de croissance puis, pfff… Faut vraiment être motivé, tu sais. Enfin non, tu sais pas, toi, c’est facile : pof, une graine, pof ça pousse, emballé, c’est pesé.

– Autorisation de parler ?

– Oh ça va, fais pas ta mauvaise tête !

– C’est pas facile pour moi non plus, il y a de moins en moins de terres fertiles. L’agriculture intensive, la déforestation, les feux de forêts, ça te dit quelque chose ?

– C’est vrai.

– Bon alors et ta graine ?

– Ben, elle pousse pas comme il faut… J’enchaîne les examens à la con. Même pas né et sa vie est déjà une galère. J’aurais jamais imaginé que ça se passerait comme ça…

– Il trouvera la vie encore plus belle, après tout ça.

– T’es gentil, en fait.

***

– J’ai pas réussi à venir te rendre visite plus tôt… Tu ne le vois peut-être pas sous mon gros manteau d’hiver mais j’ai pas, je suis plus, il est…

– Si je te dis que je suis dur de la feuille, tu vas te moquer de moi mais je comprends rien à ce que tu me racontes. Allez, fais voir ton gros bidon !!

– …

– Et merde. J’ai fait une gaffe, c’est ça ?

– Il est parti. Enfin, il est arrivé… Et il est reparti.

– Tu veux pas me raconter depuis le début ?

– Il est arrivé. Si vite. Bien trop petit. J’étais pas prête. Lui non plus. Minuscule. Tellement léger…

– Il était sacrément pressé de te rencontrer.

– Mais il aurait dû rester au chaud tout l’hiver ! J’aurais dû lui dire que le printemps, c’était mieux pour naître. Marceau. On l’a appelé Marceau.

– C’est joli, Marceau.

– Il est arrivé le matin. Et l’après-midi, il était déjà parti.

– Il ne devait pas aimer les couchers de soleil. Il voulait connaitre que le jour.

– C’est dur, tu sais…

– Hé, c’est pas parce que j’ai l’air bourru que je n’ai pas de sève qui coule ! C’est triste, ton histoire.

– J’aurais voulu lui apprendre à sauter dans les flaques, à faire des origamis, à lécher le moule d’un gâteau au chocolat, à chanter dans la rue… Je ne lui ai rien transmis.

– Si. Des racines. C’est essentiel, les racines. Quand on sait d’où on vient, on peut aller n’importe où.

– A quoi ça sert si c’est pour aller au ciel ?

– Non, pas au ciel. Dans le ciel.

***

– J’ai vu une étoile l’autre jour, après ta visite. Je ne l’avais jamais vue. Pourtant, je dors à la belle étoile tous les soirs depuis 300 ans alors, autant te dire que le champion d’astronomie du quartier, c’est bibi ! Je les connais toutes. Je leur donne des noms pour me souvenir d’elles. Mais celle-là, je ne la connaissais pas. Je me suis dit qu’on pourrait l’appeler Marceau.

– C’était une étoile filante ?

– Non. Mais elle était toute petite. Et jolie.

– Tu trouves pas ça bizarre ? Pourquoi ce serait une étoile s’il n’aime pas la nuit ?

– Peut-être qu’il a décidé de rendre la nuit plus belle.

– Tu me la montreras, ce soir ?

***

– Les gens ne comprennent pas comment il peut laisser un si grand vide alors qu’il n’a pas eu le temps de le remplir. Comment il peut me manquer autant alors que je n’ai même pas eu le temps de le connaître.

– Alors, les gens sont cons.

– Demain, je dois reprendre le travail. Je suis censée sourire, prendre soin des autres, les écouter. Et je vais devoir répondre à leurs questions. Je ne vais pas y arriver… Je n’arrive plus à rien.

– S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que le printemps vient après chaque hiver.

***

– Tu crois aux vœux qu’on fait aux étoiles filantes ?

– Je crois aux vœux qu’on fait à toutes les étoiles.

***

– Hé, dis donc, ça fait un bail !

– Je voulais te faire la surprise…

– Oh mais… ohhhhh !!! Marceau va avoir une petite sœur !

Par Ariane

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Ariane nous propose ce mois-ci un joli texte, en plusieurs temps. C’est à la fois un « instantané » parce qu’au regard de toute une vie, le temps raconté est court ; et à la fois un peu plus que ça parce que le texte balaye plusieurs « moments » même s’ils sont relativement rapprochés. C’est un texte à la fois enlevé et tendre, émouvant et pourtant sans pathos (ouf !). Le dialogue entre cette femme et l’arbre permet à la fois de dire l’émotion, et de s’en décaler un peu. C’est un « juste milieu » qui est je trouve assez juste. Le texte nous emmène à la fois vers la tristesse, puis la résilience ; vers des considérations plus terre à terre et d’autres plus philosophiques. C’est un joli panel sur un texte court ! J’aime pour ma part beaucoup le fait que tu aies pris la peine, Ariane, d’introduire des moments de dialogue qui ne sont pas purement « utiles » à l’histoire, qui n’apportent pas d’information (« t’es gentil » « tu crois aux voeux ? » etc…), mais qui donnent à ton histoire un rythme plus doux, une dimension plus intérieure aussi.

Je crois, Ariane, que j’aime bien le ton un peu « rentre-dedans » du début de ton dialogue. Cet espèce de jeu de « je-te-cherche-tu-me-cherches », dont on sait bien qu’il est tendre au fond, mais qui donne du dynamisme à ton texte, et de l’épaisseur à tes personnages. Du coup, je crois que ça serait intéressant que tu le gardes jusqu’à la fin, même si tu vas devoir le doser savamment, parce que ton arbre est attendri et attentionné… Mais tu le perds un peu en route, là, et je trouve ça dommage. Ton arbre pourrait quand même garder un peu de pep’s et de mauvais esprit, derrière la tendresse, en se disant que ça la ferait rire, elle, ou la ferait réagir, et que ça l’aiderait. Un genre d’ours un peu bourru au grand cœur, quoi (il le dit, en plus, qu’il est bourru, mais ne l’est pas tant que ça dans la seconde moitié du texte…) ! Par exemple, quand elle dit qu’elle aurait voulu lui apprendre à sauter dans les flaques etc, il pourrait bougonner, « ah ouais, je vois, et lui apprendre à reconnaître mes feuilles et mon écorce, pas au programme ? Merci, hein ». Ou râler quand elle le trouve gentil (« n’importe quoi ! »)… Ce sont juste des exemples, of course ! Il me semble juste que ce « ton » là serait intéressant à creuser.

J’ai été bluffée par ton dialogue Ariane. Comme tu as réussi à mettre de la poésie, de la douceur et de la vie dans cette histoire à la rendre réelle et profonde…elle a continué à me suivre dans le we…chapeau

« de la poésie, de la douceur et de la vie », c’est exactement ça!

Quel beau texte, sur un sujet si douloureux…

Merci pour vos commentaires! Je suis touchée, Schiele…

J’aime bien ton idée Gaëlle, c’est clair que le côté bourru se perd mais j’ai du mal à la mettre en place (malgré tes exemples). Je trouve ça difficile à conjuguer avec la douceur… Je me dis que s’il est « rentre dedans », ça devrait lui couper l’envie de se confier et que c’est sympa aussi qu’il soit amadoué par son histoire et devienne plus tendre… Non? Bref, je n’arrive pas à sortir une version 2.0 :-p!

Dans l’absolu, je crois que l’un n’empêche pas l’autre Ariane. Tu sais, les vieux bourrus tendres, ce sont des grands classiques, façon personnage de cinéma. Mais je t’accorde que la « justesse » est compliquée à trouver, c’est un peu au cordeau comme exercice. D’ailleurs, au passage, on peut aussi imaginer qu’il soit parfois du mauvais côté de la ligne, qu’il en fasse un peu trop, qu’elle le recadre ou lui en veuille, ou simplement qu’il s’en rende compte lui parce que ça la rend triste… Ce que je veux dire, c’est que ça élargirait la palette émotionnelle/relationnelle de ton texte, à mon sens (qui est déjà fort bien mené, mais je suis aussi là pour te pousser un plus loin 😉 )

Juste avant l’ultimatum, je vous envoie une version bis. Il y a encore du travail je pense et je n’ai pas retravaillé la fin du texte mais j’ai essayé d’appliquer tes conseils Gaëlle (et même réutilisé ta phrase d’exemple^^). Je suis curieuse de vos avis, je pense que ça le rend moins « gnangnan » mais j’espère que ça laisse de la place à de l’émotion / tendresse quand même.

– Je suis verte,…

– Moi aussi, je suis vert.

– … depuis le début, j’en vois de toutes les couleurs.

– Moi aussi, j’en vois de toutes les couleurs : c’est l’automne.

– Bon, tu veux pas arrêter de m’interrompre ? Je te vois venir. Après, tu vas me raconter que tu es une vieille branche, ça va, j’ai compris. Tu vois pas que j’ai besoin de parler, là ? Je comprends mieux pourquoi on paye si cher un divan, les arbres, c’est chiant !

– C’est bon, j’ai compris, je t’écoute. J’ai rien d’autre à faire, d’façon…

– J’ai l’impression de m’être lancée dans le vide. Je ne maîtrise plus rien. A chaque fois que je me dis que ça va aller, bam, un nouveau truc me tombe dessus ! On m’a dit syndrome génétique puis retard de croissance puis, pfff… Faut vraiment être motivé, tu sais. Enfin non, tu sais pas, toi, c’est facile : pof, une graine, pof ça pousse, emballé, c’est pesé.

– Autorisation de parler ?

– Oh ça va, fais pas ta mauvaise tête !

– C’est pas facile pour moi non plus, il y a de moins en moins de terres fertiles. L’agriculture intensive, la déforestation, les feux de forêts, ça te dit quelque chose ?

– C’est vrai.

– Bon alors et ta graine ?

– Ben, elle pousse pas comme il faut… J’enchaîne les examens à la con. Même pas né et sa vie est déjà une galère. J’aurais jamais imaginé que ça se passerait ainsi…

– Il trouvera la vie encore plus belle, après tout ça.

– T’es gentil, en fait.

– Mouais. Pas sûr que mon voisin de droite soit du même avis.

***

– J’ai pas réussi à venir te rendre visite plus tôt… Tu ne le vois peut-être pas sous mon gros manteau d’hiver mais j’ai pas, je suis plus, il est…

– Si je te dis que je suis dur de la feuille, tu vas te moquer de moi mais je comprends rien à ce que tu me racontes. Allez, fais voir ton gros bidon !!

– …

– Et merde. J’ai fait une gaffe, c’est ça ?

– Il est parti. Enfin, il est arrivé… Et il est reparti.

– Tu veux pas me raconter depuis le début ?

– Il est arrivé. Si vite. Bien trop petit. J’étais pas prête. Lui non plus. Minuscule. Tellement léger…

– Il était sacrément pressé de te rencontrer.

– Mais il aurait dû rester au chaud tout l’hiver ! J’aurais dû lui dire que le printemps, c’était mieux pour naître. Marceau. On l’a appelé Marceau.

– Ah, comme mon voisin, le saule marsault ! Il n’aurait plus été le seul marsault, haha !

– Tes jeux de mots me manquaient. Plus personne n’ose me faire des blagues, c’est triste à mourir. A mourir… Comme Marceau. Il est arrivé le matin. Et l’après-midi, il était déjà parti.

– Il ne devait pas aimer les couchers de soleil. Il voulait connaitre que le jour.

– C’est dur, tu sais…

– Hé, c’est pas parce que j’ai l’air bourru que je n’ai pas de sève qui coule ! C’est triste, ton histoire.

– J’aurais voulu lui apprendre à sauter dans les flaques, à faire des origamis, à lécher le moule d’un gâteau au chocolat, à chanter dans la rue…

– Et lui apprendre à reconnaitre mes feuilles et mon écorce, c’était pas au programme ?

– Rho, arrête ! Ce que je veux dire c’est que je ne lui ai rien transmis.

– Si. Des racines. C’est essentiel, les racines. Quand on sait d’où on vient, on peut aller n’importe où.

– A quoi ça sert si c’est pour aller au ciel ?

– Non, pas au ciel. Dans le ciel.

***

– J’ai vu une étoile l’autre jour, après ta visite. Je ne l’avais jamais vue. Pourtant, je dors à la belle étoile tous les soirs depuis 300 ans alors, autant te dire que le champion d’astronomie du quartier, c’est bibi ! Je les connais toutes. Je leur donne des noms pour me souvenir d’elles. Mais celle-là, je ne la connaissais pas. Je me suis dit qu’on pourrait l’appeler Marceau.

– C’était une étoile filante ?

– Non. Mais elle était toute petite. Et jolie.

– Tu trouves pas ça bizarre ? Pourquoi ce serait une étoile s’il n’aime pas la nuit ?

– Peut-être qu’il a décidé de rendre la nuit plus belle.

– Tu me la montreras, ce soir ?

***

– Les gens ne comprennent pas comment il peut laisser un si grand vide alors qu’il n’a pas eu le temps de le remplir. Comment il peut me manquer autant alors que je n’ai même pas eu le temps de le connaître.

– Alors, les gens sont cons.

– Demain, je dois reprendre le travail. Je suis censée sourire, prendre soin des autres, les écouter. Et je vais devoir répondre à leurs questions. Je ne vais pas y arriver… Je n’arrive plus à rien.

– S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que le printemps vient après chaque hiver.

***

– Tu crois aux vœux qu’on fait aux étoiles filantes ?

– Je crois aux vœux qu’on fait à toutes les étoiles.

***

– Hé, dis donc, ça fait un bail !

– Je voulais te faire la surprise…

– Oh mais… ohhhhh !!! Marceau va être grand frère !

Je confirme que ça laisse tout à fait la place à l’émotion, Ariane… 🙂 . Et je confirme aussi que tu peux creuser ce sillon, ça rend tout à fait bien, je trouve.

(et le « plus personne n’ose me faire de blagues, c’est triste à mourir », je le crois en plus très juste, très vrai, dans ce genre de cas…)

J’avais beaucoup aimé ta première version et j’aime d’autant plus cette 2eme version !
Toute l’émotion que tu arrives à faire passer sur un sujet si triste..
J’avais été émue lors de ma 1ere lecture et je retrouve intacte cette meme émotion en lisant ta 2eme version..

Tres joli, tres tres touchant… j’ai vraiment bcp aime ton texte Ariane, les 2 versions