« C’est positif, les examens ont révélé une anomalie, mais il y a des solutions… ce que je veux dire c’est que je vais vous enlever ce cancer ». En presque vingt ans de carrière, Xavier Testut médecin cancérologue spécialiste en chirurgie mammaire et gynécologique n’arrivait toujours pas à trouver les mots pour annoncer ce qui fracturait à jamais la vie de ses patientes. Au cours de sa carrière, il avait assisté à tout un tas de réactions, des pleurs, des cris, des malaises et le silence. Que signifiait-il ? « Certainement, le choc » pensait-il. C’était ainsi qu’avait réagi Marcia, alors âgée de 53 ans et de son mari, Alain, quand le Dr Testut venait d’annoncer son diagnostic. D’ailleurs, c’était bien l’une des réactions que le docteur redoutait le plus de ses patientes. Le silence. Il était inconfortable et malgré ses années d’expérience, il ne sut pas comment le rompre. En réponse à sa patiente, il devint taciturne même si en son for intérieur il savait que c’était à lui d’y mettre fin.
Au même moment que la sensation d’inconfort s’installait au sein du cabinet, il n’y avait qu’une partie de l’annonce du docteur qui résonnait dans la tête de Marcia, « c’est positif » cela sonnait comme l’issue fatale, l’approche de la mort. Elle fit abstraction de solutions que le médecin lui proposeraient probablement pour « enlever ce cancer » comme avait-il dit. Les mots ne pouvaient sortir de sa bouche. Mais que pouvaient-ils exprimer?
Le docteur se sentit perturbé par le regard neutre de sa patiente, mais en réalité Marcia ne le regardait plus ; elle était déjà emportée dans un cercle vicieux, la propulsant dans les pires scénarios. Les poils de ses bras commençaient à hérisser.
Elle eut une première pensée quant à la réaction de son mari qui ne tarderait sûrement pas à lui exprimer avec culpabilité « je t’avais toujours dit de prendre le temps de faire des contrôles ! ». Elle balaya cette pensée pour s’y concentrer sur une autre bien plus importante. Sa petite Rose, sa fille âgée de 13 ans, qu’allait-elle devenir sans sa mère ? Mais surtout comment lui annoncerait-elle qu’elle ne pourrait sûrement pas la voir grandir ? Et qui mieux qu’elle pourrait prendre soin de sa petite fleur ? Cette pensée lui ramena au moment où elle décida de lui donner ce prénom alors qu’elle était encore dans son ventre. Rose, sa fleur préférée : « Quoi de plus beau et d’aussi délicat et raffiné qu’une rose ? » s’était-elle dit. Maintenant qu’elle ne serait plus, il n’y aurait plus personne pour en prendre soin, la voir grandir et s’épanouir.
Un léger frisson parcourut son dos imaginant que sa fille entrerait dans l’adolescence et qu’elle ne serait peut-être pas là pour l’assister à sa vie de jeune femme. Et malheureusement, Marcia savait qu’elle ne pouvait compter sur son père. En effet, elle connaissait son mari mieux que personne. Ils étaient mariés depuis près de quinze ans et elle savait qu’il ne s’occuperait pas de la petite, il ne l’avait pas fait jusqu’à maintenant et ce n’est pas aujourd’hui qu’il s’y intéresserait. Seule, sa carrière d’avocat comptait, sans jamais une pensée pour sa famille. Elle le connaissait tellement égoïste et ce ne serait pas sa mort qui le changerait, pensait-elle. Quant à son rôle de mari, il était loin d’en être réellement, mais elle voulait donner un semblant d’équilibre familial à la petite fille, un père et une mère, mais pas de frères et sœurs. Son histoire familiale l’avait marquée. Être issue d’une famille nombreuse et n’avoir aucun contact avec ses frères et sœurs furent douloureux. Étant peu soudée, la famille demeura encore plus en conflit suite au décès des parents, et chacun des enfants construisaient sa vie de son côté. Quel était l’intérêt d’avoir des frères et sœurs si ce n’était que pour demeurer en terrain conflictuel ?
Dès son plus jeune, elle ne voulait avoir qu’un enfant.
Marcia commençait à sentir la panique l’envahir suite à ses nombreuses pensées qui s’entremêlaient. Ce n’était pas le fait d’apprendre qu’on lui avait diagnostiqué une terrible maladie qui la rongeait à ce point, c’était l’avenir de sa petite Rose, sans père réellement, sans famille. Que deviendra t-elle en son absence définitive? À aucun instant, elle avait songé à ce genre de tragédie. Marcia avait déjà connaissance d’un tel diagnostic, mais de loin. L’amie d’une amie à qui l’on avait diagnostiqué cette terrible maladie. Elle fut bouleversée et comme bon nombre des personnes, elle se disait inconsciemment « ça n’arrive qu’aux autres ».
Pour le médecin, ce silence devenait oppressant, même s’il n’avait duré que quelques secondes, il commençait à avoir de légères gouttes de sueur qui perlaient sur son front comme chaque fois lorsqu’il se trouvait en face d’une patiente silencieuse. Tentant tant bien que mal de dissimiler son malaise et rester aussi professionnel que possible, il lui fallait mettre un terme à cela et émettre les quelques mots qui, de son expérience, rassureraient sa patiente.
Mais soudainement, Alain, le devança en déployant sa colère sur sa femme et en lui disant :
« C’est de ta faute si tu m’avais écouté, on n’en serait pas là !
– Je vous prie de vous calmer, enfin ! » répliqua le docteur Testut complètement outré par la réaction de celui-ci.
Puis son regard se dirigea sur celui de Marcia qui continua comme, depuis le début, à rester silencieuse.
Cependant, le docteur remarqua que son regard avait changé, comme si elle était de retour parmi eux. Un regard lourdé de larmes, mais avec un léger sourire en coin qui en disait long. En réalité, l’attitude qu’elle venait d’adopter signifiait « je le savais ».
Le malaise accentué par le mari était insoutenable au sein du cabinet, le silence était revenu et Marcia décida de le briser de nouveau et de façon définitive en criant le plus fort possible à n’en plus s’arrêter.
C’était son silence et elle seule, pouvait le briser.
Grâce à mon immense pouvoir de démiurge dans cet atelier, je sais plein de choses : notamment qu’Anna17 n’a jamais publié, jamais participé à des concours de nouvelles, et que c’est son premier atelier. C’est d’autant plus, je pense, pour cette première, une belle réussite. La nouvelle comme condensé d’une histoire, d’une vie, ramenées à un seul instant proche d’un basculement, un instant suspendu qui permet de tout faire jaillir de vertigineux, de profond, d’éloigné. Et le texte laisse la place à l’imagination et l’intelligence au lecteur. On notera un personnage fouillé sur lui-même et dans sa vie, sur ses relations avec son entourage proche (les rapports avec le mari sont vite et efficacement croqués et préparent astucieusement et discrètement la chute) ; on notera que dans toute bonne histoire le personnage est transformé (c’est le cas, en quelques secondes, il n’est plus le même et prend en main sa vie si l’on peux dire en comprenant que désormais elle lui appartient enfin car que jamais parce que menacée). On peut supposer que le mari n’aura plus autant d’emprise que par le passé. Enfin, relation au thème (pas si évident) de l’atelier, avec le silence comme métaphore d’une vie qu’on n’avait somme toute jamais soi-même dirigée. Sa vie était silence, retrait. Elle brise le silence du cabinet qui soudain est sien, en annonçant par le cri à sa façon qu’elle reprend (enfin?) la maîtrise symbolique de sa vie. Voire : sa vie va occuper le devant de la scène avec sa maladie, va être tonitruante dans l’ordre jusque là établi. Des théories disent que le cancer fait partie intégrante de la personne, et que ce serait très souvent un mode d’expression (on pourrait en débattre des heures, mais j’y crois assez pour avoir connu des cas autour de moi très troublants dans leur manifestation qu’elles que furent, hélas, leurs issues).
Bref, c’est de la dentelle. C’est une nouvelle accomplie, à la chute courte et efficace, qui répond à tout ce qu’on attend d’elle. Félicitations.
En relisant (et retrouvant quelques coquilles) j’ai noté de nouveau ce verbe « lourdé » (« Un regard lourdé de larmes »). Je suis aller vérifier (une forme rare d’alourdi ? Ou une coquille pour lourd ?), mais il n’existe que le lourdé argotique. J’ai laissé, toutefois, car, dernière option, je me suis demandé si ce n’était pas un terme régional (ou québécois, genre).
Merci beaucoup !
C’est exactement ce que j’ai voulu transmettre dans cette histoire.
Un personnage plus bouleversé de ce que sera l’avenir plutôt que par le combat qui l’attend.
En ce qui concerne le mot « lourdé », je n’y ai pas fait vraiment attention. Je l’ai écrit sans m’en rendre compte, ce doit être un terme régional.En tout cas, je prends note. À l’avenir j’emploierai plutôt « alourdir ».
Je crois que j’ai gardé l’horreur devant la réaction du mari…et le cri de la de la femme en tête longtemps après ma lecture… C’est fort!
Alors moi j aime bien un « regard lourdé de larmes »
C’est très beau (québécois ou pas) et c’est juste
Cette histoire est assez plombante mais elle bien menée et sans trembler