À la suite d’un parcours de vie particulier, créé il est vrai par des choix des personnels parfois radicaux, je suis actuellement locataire d’une maison isolée au milieu des vignes de muscadet, au sud de Nantes. Quoique à 3 minutes d’une petite ville, très souvent —et c’est pourquoi j’ai choisi d’y habiter— le silence alentour y est total.
Ce 23 août au soir je me suis couché en me disant qu’il me faudrait trouver une proposition d’écriture pour ce premier atelier de rentrée de septembre… Et pour tout avouer, je n’avais aucune idée. Or, le lendemain matin (soit le 24 août, j’espère que vous suivez cette narration précise et palpitante) je me suis réveillé en appréciant le silence épatant qui si souvent règne en ce lieu : même pas un souffle de vent dans les arbres et les vignes, même pas de chant d’oiseaux, même pas la rumeur de la route, ni même un quelconque bruit issu des hameaux voisins et lointains. Ce silence est parfois vertigineux (il peut faire peur à d’autres), mais il est pour moi totalement exaltant et revigorant. Je songeais aussi que dans quelques jours j’allais retrouver l’IUT et 120 étudiants sympathiques, mais qui font du bruit dans les couloirs, qui me parlent avec leur bouche grande ouverte et me demandent des trucs et des bidules avec des tas de mots, et qui ont des opinions parfois longues à exposer (pfff, je vous jure), voire qui aiment la musique [de sauvage, forcément, car pas de ma génération] et le prouvent dès qu’ils le peuvent. Et je ne parle pas des collègues, des réunions, des transports… Reprendre le travail c’est quitter le silence — et ce n’est pas si facile à envisager quand on devient un vieux machin —par certains côtés. (À l’heure où vous lisez ces lignes, j’ai passé ce cap, je suis revenu dans le monde du bruit, mais j’ai dû m’en remettre).
Il m’est alors venue l’idée -on admirera la performance, car à ce stade de ce texte et de l’action, je vous le rappelle que je ne suis toujours pas sorti du lit- que ma proposition d’écriture de rentrée pourrait porter sur le silence ; compte tenu de la richesse tous azimuts de ce curieux phénomène que l’on dit être devenu si rare, et qui serait désormais si précieux.
Précieux ? Car… quoique…, quoique…., couac… : si le silence pour le repos peut-être une situation recherchée, qu’en est-il du terrible silence oppressant du secret familial ?, du silence hostile de l’autre ?, du silence de mort ?, du silence d’un déni mutique ?, du silence de la solitude ?, du silence du no man’s land ?, du silence du téléphone qui soudain paraît monstrueux dans la pièce ?, du silence de la disparition et de l’absence ?, du silence de l’impuissance ?, celui de l’incapacité ?, celui de l’incommunicabilité… ?
… du silence des institutions ?, du silence de l’Histoire ? Qu’en est-il du silence imposé par la surdité ? Et que dire du silence anormal de la nature qui annonce un danger, un tsunami, un tremblement de terre ? Voire du silence étrange d’une rue, qui, s’il s’interrompt ou est juste ébréché par un son pourtant minuscule et anachronique, devient terrifiant.
(Ou même ce silence brutalement brisé et devenu célèbre à jamais ; celui d’une manifestation pacifique réprimée subitement par la police (« Hey, what’s that sound ? Everybody look – what’s going down? ») ; silence enfui qui a donné une des plus grandes chansons du rock, devenue, protest song plus tard attribué à la trouille des G.I’s flippant au Vietnam dans le silence soudain d’une jungle recélant un ennemi rampant : )
(Mais rassurons-nous : un silence étrange et anormal n’est pas toujours synonyme de danger. Par exemple, avec un enfant en bas âge : un silence anormal signifie simplement qu’il s’est endormi en jouant… ou qu’il est en train de faire une c…).
Revenons au silence et à la frousse ; ce qui est, notamment, un vrai problème de cinéma. Si dans un Silence des agneaux, une certaine Clarice, policière, essaie d’obtenir le silence, c’est parce qu’elle n’a plus supporté dans son enfance d’entendre bêler les bêtes devant le boucher… Pourtant, en général il n’y a en revanche guère de silences de surprise ou d’effroi au cinéma (le silence y est l’arme du suspens. La fin du silence y est la surprise). Il faut toujours que ça hurle au cinéma. Pourtant, les gens, à la différence des agneaux, ne crient pas tous leur frayeur… (Mais il est convenu que les femmes chamboulées par des monstres dans les vieux films de science-fiction ne sont jamais coites de terreur. Curieux phénomène).
S’il y a silence au cinéma, c’est qu’on est dans un film d’art et d’essai, voire un film chiant dirons ceux qui n’ont même pas peur de le dire dans les salons (bruyants) en ville (Mozart « trop de notes » ; Bergman, trop de silences ?). Au cinéma, pas de silence de pétoche, mais silence de deux sortes, à savoir, avec ou sans musique, et tout seul ou à deux minimum :
• 1- Si c’est du silence avec de la musique (au moins deux personnages, mais sans dialogue) ; il y a du sentiment ou de la psychologie jusque haut comme ça ou à peu près. Il y a du non-dit plein le tapis, on se prend les pieds dedans, au risque que les choses ne le soient jamais, dites, et qu’on en trébuche…
(Bon, il peut y avoir du pathos aussi, mais pas dans In the mood for love, hein). Car oui, c’est si évident : le silence n’est pas toujours soit bon, soit mauvais, c’est aussi du sens : il faut les entendre ces silences pudiques, timides, émus, attendris ou amoureux.
• 2- Si au cinéma c’est du silence… sans musique (et avec personnage seul), c’est qu’on est chaud patate en terme de métaphysique porté à l’incandescence, et là c’est assis dans « Le désert des Tartares » qu’on se retrouve (un silence juste troublé par les gouttes d’eau qui fuient d’un réservoir, marquant le temps comme une clepsydre), ou seul sous les étoiles avec l’infini et au-delà, Dans les cas extrêmes au cinéma (si on enlève les scènes face à la mer, face au ciel, face à une photo, face à un objet-souvenir…), on peut se retrouver à déambuler silencieusement dans un cimetière. Le must : le cimetière militaire. C’est pris de haut (en drone si on a un petit budget, mais on n’entend pas les hélices), et la caméra recule, et on voit toutes les croix et là, forcément, on n’a rien à dire de plus … On en est bouche bée. Silence du recueillement et du poids de l’Histoire, la Condition Humaine, et toussa-toussa…
[Bon, il y a aussi dans la vie et pas qu’au cinéma, les silences de la concentration au travail genre l’attention méticuleuse pour ne pas perdre la petite vis, le silence de la méditation en poirier au yoga (posture salamba sirsasana), le silence de la contemplation dans la Chapelle Sixtine (tête renversée pour contempler le plafond, mais pas renversée comme au yoga), le silence de l’admiration devant une œuvre tellement-tellement-tellement…, le silence de la stupéfaction devant une scène ou un décor naturels d’une pure beauté (de préférence assis en haut d’une montagne, ou plus prosaïquement sur un banc de square interdit aux enfants)…
Bon, je me tais, car vous l’avez entendu : il y a autant de silences que de bruits. S’en est même, et on le dit, assourdissant.
Aussi j’imagine que vous ne resterez pas sans voix à ce sujet… Qu’écrirez-vous silencieusement sur le silence, lequel sera ponctué par vos tapotements sur les touches de clavier ? (Et peut-être détestez-vous le silence ? Mais alors pourquoi ? Et comment ? Dites-le haut et fort !).
Bref, comme disent les rapeurs… pour le silence , « Faites du bruit ! »
PS : une nouvelle précédente de Melle47 était liée aux bruits. Elle est > ici.
Merci Francis pour ton petit clin d’œil tout en bas 😉