Alors la pluie tomba sur Rouen le 26 septembre.
Et elle était noire.
Passons l’épisode dramatique, l’angoisse légitime des Rouennais, les conséquences… Voici la pluie, comme une malédiction divine qui tombe du ciel (comme elle en a certes tautologiquement l’habitude), mais voici que particulièrement signifiante pour l’occasion et en version moderne d’un apocalypse écologique, elle rejoint (tombée du Ciel — cette fois avec majuscule) les mystérieuses et possiblement punitives pluies de sauterelles, de poissons, de crapauds ou autres animaux (souris, serpents). Une pluie rouennaise qui, oserait-on dire tombe à point nommé, alors que nous sommes tous préoccupés (ou du moins incités constamment à l’être, chacun choisira son camp) par le dérèglement climatique.
[Tenez, ici passant, un des passages les plus impressionnants de Magnolia, « film mosaïque » de Paul Thomas Anderson (1999). Film sur les destinées, le hasard, les coïncidences… ; film couvert de prix, au succès important —mais que personnellement j’ai classé dans les nanars absolus de l’art du pompage, de l’accumulation et du collage -mais passons) : la scène de la pluie de grenouilles (dont l’auteur justifie la présence parce que de tels événements seraient cités dans la Bible – je ne suis pas allé vérifier).
>> Attention : si vous êtes impressionnables, ne regardez pas.]
Coïncidence, peu avant la catastrophe de Rouen, je ruminais « la pluie » comme sujet d’atelier d’écriture depuis quelques jours car elle était revenue par chez moi à Nantes après des mois de sécheresse…
[Merci Barbara qui s’est servie de la pluie à Nantes pour exprimer son chagrin — et merci aussi pour la réputation depuis : ]
Voici donc qu’une pluie fait la Une des médias -non pas pour son retour salvateur pour les nappes phréatiques, mais pour ce qu’elle porte de maléfique, ce qu’elle révèle de malsain, de poison caché, pour ce que l’Homme place en elle d’inquiétudes. La pluie, comme la mousson, peut en effet être renouveau —tout renaît—, comme être dévastation, empoisonnée, torrentielle… Et tout est inondé, dévasté… La pluie qui pue la mort vs la pluie tropicale chaude et douce qui sent si bon la fertilité, la vie, le foisonnement, la richesse, la luxuriance…
La pluie sujet d’écriture ? Oui, bien sûr : outre ses sens symboliques mythologiques ou bibliques, il y a la pluie qui nous fait danser en tribu parce qu’attendue, espérée, implorée, mais au-delà de l’aspect utilitaire à l’agriculteur qui la guette, dirait-on, il y a la pluie psychologique : c’est la joyeuse, synonyme de renaissance de l’individu ou de profond bouleversement social marquant la fin d’une saison métaphorique « blanche et sèche » (« Rumeurs de pluie » d’André Brink sur l’apartheid en Afrique du Sud). Une pluie métaphore a contrario de la déprime parce que reflet de notre insouciance, de notre joie lorsque, au pire on est indifférent à sa présence baignant dans le bonheur ou la sérotonine (+ endorphine, dopamine, ocytocine et noradrénaline) ou au mieux parce qu’on se l’approprie en proie à un bonheur encore supérieur aux hormones —et surtout portant en dérision les désagréments qu’elle cause (Singin in the rain, Raindrops keep fallin’ on my head – « Toute la pluie tombe sur moi »). Si je peux rire de la pluie, alors il semblerait que je puisse rire de tout.
[Allez, c’est une tarte à la crème, mais comment éviter d’évoquer cette scène ? : ]
Le grand auteur et scénariste américain Elmore Léonard (le génial Jackie Brown, de Tarantino) dans un petit ouvrage intitulé « Mes dix règles d’écriture » commence au point grand 1 par : « Ne commencez jamais un livre en parlant de la météo ». Provoc ? Sans doute car le nombre de romans classiques ou contemporains qui nous assènent la pluie dès l’incipit pour planter l’ambiance est sans doute innombrable. Pensez ! Il y a même la caricature en polar/roman noir de la pluie, portée à l’incandescence : le monde est pourri, le héros/flic/détective/looser est déprimé (il a : perdu sa femme/perdu son boulot/un lourd secret/des dettes/des hémorroïdes —cochez la case), et en plus il pleut. Il y en a même qui vont porter l’art de la pluie de ras-les-pâquerettes trempées comme « Tchoupi sous la pluie » (classé hors littérature, certes) a des sommets comme le chef d’œuvre absolu culte et inclassable de Maurice Pons, Les saisons qui joue là sur la pluie et la condition humaine tellurique, pas moins. Essayez ainsi de taper dans Google « La pluie, roman » et vous allez voir, c’est plutôt humide : tenez par exemple > cliquez ici.
La pluie, c’est simple : ça permet de tout exprimer. Ce doit être dû à notre cerveau reptilien, le rapport à l’eau-la vie et à la crainte des éléments qui nous dominent. C’est indissociable de l’amoureux transi ; c’est l’attente désespérée, c’est l’ennui, la tristesse, la mélancolie… La pluie pourtant on l’a dit c’est la joie, c’est la colère revigorante de l’orage, c’est la liesse des villageois qui s’inquiétaient pour leur récoltes… (Ensuite, il faut reconnaître qu’il n’y a plus les deux catégories classiques et binaires de vacanciers : il n’y a plus ceux de la mer face à ceux de la montagne. Aujourd’hui, on est plutôt Nord que Sud, plutôt fraîcheur, vent et pluie que canicule -qui de toute façon frappe désormais partout. Alors la pluie peut être appréciée plus prosaïquement et diversement…)
La pluie, c’est donc le paysage qui exprime la psychologie du personnage ou le climat social dans le roman noir ou le roman réaliste. La pluie c’est l’espoir ou le désespoir. C’est la pluie qui nous sauve, nous sauvera, comme, on le sait lorsqu’elle est donc noire ou acide, nucléaire façon science fiction post hiver nucléaire ou tout bonnement absente à jamais, nous mènera à notre perte. La pluie peut-être belle -car la tristesse ou la nostalgie comme les larmes font aussi du bien- comme laide. Elle peut même faire dans le burlesque (je vous raconterai un jour mon trajet à pied avec bagages entre la gare de Brest et l’hôtel quand ont déferlé les pires hallebardes connues dans ma vie, et l’état dans lequel je me suis présenté au veilleur de nuit). La pluie peut même être pourpre à en croire Prince, et personne ne comprend vraiment pourquoi.
La pluie, c’est donc bien… tout ce qu’on veut. Il y a des pluies de dollars, des pluies d’emmerdes, des pluies de baisers… Et la pluie, c’est en tout cas, la proposition d’écriture de cet atelier.
Alors fermez vos parapluies, sortez vos (para)plumes… et mouillez-vous !
PS : Je me suis toujours demandé si « la pluie fait des claquettes sur le trottoir à minuit » de Nougaro qui fait pour l’occasion magistralement dans la pluie psychologico-somatique, renvoyait consciemment ou non à la 3e vidéo de cette page, Singin’ in the rain) :
Si selon votre appareil vous ne voyez pas une vidéo de pluie déprimante en haut de cette page alors vous voyez une photo de pluie joyeuse prise au Cambodge par Sasin Tipchai – Pixabay