Comme d’ordinaire, je cherchais une proposition d’écriture qui puisse convenir à tout le monde — du noir polar au romantique, de l’intimiste au sensible, du grave au vertigineux, du fantaisiste au délirant — et puis ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien, m’est venu un des sujets les plus éculés qui soient ; un sujet de fin de repas fatigué entre collègues tentés par la démission, le changement de vie ou autre (quand on a fini de parler météo détraquée, gamins, cinéma, séries, livres qu’on n’a pas lus mais dont on a entendu parler, inflation, monde comme il va mal, comme c’était mieux avant, que sais-je), soit : « et vous feriez quoi si vous gagniez au loto ? ». On connaît la réponse : il y a ceux qui voyagent, ceux qui distribuent, ceux qui « ne changent rien », ceux qui se brouillent… Éculé, le sujet ? Et puis, peut-être pas tant que cela.
Et s’il était riche, sous ses apparences usées, non pas de billets, mais de possibles ?
Je me souviens de deux films qui m’avaient impressionné à l’adolescence (attention on ressort les antiquités). L’un était un téléfilm nommé Le Créa, de Jean Pignol (1ère diffusion 1976) dont on ne retrouve aucune trace. De mémoire : un pécheur attrape un poisson énorme qui lui apporte renommée et fortune, mais aussi une foule d’ennuis car pléthore de gens en veulent pour des raisons différentes et peu claires à son argent soudainement gagné) et « Le Million » de René Clair (1931 — non, je n’étais pas ado en 1931, mais il passait à la TV en N&B et il n’y avait pas encore de millions de chaînes) ; comédie en musique, franchouille – tressautante – parigot canaille – bon enfant dans laquelle un artiste fauché gagne à la loterie, mais manque de perdre son billet > bande annonce ici).
Bref, on en parle toujours (ou non), mais que feriez-vous vraiment (ou que feraient vos personnages) si soudain 5 millions d’euros (*) dégringolaient ? (hormis faire un don substantiel à un animateur d’atelier d’écriture en ligne, par exemple) ? Que pourrait bien déclencher ces millions ? Voici entre autres ce qui peut vous arriver, ou arriver à votre ou vos personnages (on vous aura prévenu : fallait pas jouer) :
• Le quotidien chamboulé : l’aisance nouvelle permet-elle une évasion de la monotonie, ou révèle-t-elle plutôt l’évanescence des rêves longtemps caressés ? Humm ? (bref en d’autres termes moins précieux : ça change de ouf ou on s’aperçoit que c’est toujours bof ?). Voire : vous voilà philosophe, gagné-e par la sagesse du renoncement : avant de décrocher le gros lot, vous vous doutiez des tourments que peut engendrer toute fortune tombée du ciel (sans doute parce que vous aviez lu cette proposition d’écriture avant d’acheter votre ticket) et l’idée de renoncement a émergé en vous. Aussi, vous ne voulez rien changer à votre train-train. Faut-il vous délester de cet argent pour retrouver la paix ? Faut-il même aller seulement chercher votre gain ? (Gageons que les gagnants qui se manifestent en fin de délai doivent passer par ces affres. Ah, les pauvres).
• Les rêves réalisés : avec modération et sagesse, vous (ou les personnages) parvenez à faire fructifier cette manne (quoique : c’est juste 5 millions, c’est vite claqué, je vous assure) et à réaliser certains de vos/de leurs rêves les plus chers. Mais à quel prix ? Ou alors : en pleine jubilation, vous claquez tout, car cela n’arrive qu’une fois. Et on s’en fout des vices et des vertus, hein, après tout. La vie est courte et tout ça – tout ça, et je fais ce que je veux d’abord ; je me moque de ce qu’en penseront les autres.
• La quête de sens : avec la richesse, vous versez soudain dans une quête d’authenticité (peut-être l’étiez-vous déjà cela étant, on ne va pas faire de procès d’intention). Les personnages cherchent-ils à donner un sens nouveau à leur vie, à travers des œuvres de charité, des aventures humaines, ou des quêtes de savoir ?
• Le vol des vautours : subitement vous avez bien des amis, une ronde de solliciteurs se forme, vous retrouvez des potes perdus de vue, des cousins oubliés. ils ont tous des doléances et des espoirs. Des figures du passé ressurgissent, animées par des intentions ambiguës. Sont-elles mues par un désir sincère de renouer, ou par l’appât du gain ? Peut-être même des entreprises opportunistes, recommandables ou non, soudain s’intéressent-elles à vous, voire pire : arrivent de vrais et entiers malhonnêtes, des malfrats… Et voilà le bal des manipulations, trahisons et conspirations. Voire : c’est du polar, c’est du thriller et vous êtes (ou votre personnage est) en bien mauvaise posture.
• Les liens indéfectibles : vos relations les plus solides sont mises à l’épreuve. Et voici que campent sur votre palier la jalousie, la rivalité et la méfiance. Vous gagnez des pépettes, mais perdez confiance et affection. Mais après tout, ne vous en seriez-vous pas douté de la part de votre belle-mère qui ne vous a jamais vraiment accepté-e ?
• La propension à l’échec : votre personnage (pas vous, hein, vous ne feriez pas cela) se lance dans une série de choix malheureux, des investissements hasardeux, des extravagances dispendieuses. Bref, ça claque, ça claque, et retour douloureux à la réalité… Qu’apprend-t-il (hormis que c’est la lose totale ?)
• Les soucis de riche : la peur des sollicitations pousse à la clandestinité. Vivre sous pseudonyme, déménager dans un lieu reculé, changer d’identité… jusqu’à quel point peut-on fuir la notoriété imposée par la fortune ? Et si l’argent ne faisait pas le bonheur ? Et si c’était mieux avant ? Et si ma tante ?
Humm ? (**)
À vous de rêver. Cet atelier est le seul qui vous propose de claquer 5 millions d’euros ! Quelle chance… a priori ! Racontez-nous maintenant !
(*) on ne va pas être trop-trop gourmand (juste 5 petits millions), ainsi ça limitera dans votre fiction vos dépenses en effets spéciaux, achats et déplacements
(**) Cette proposition d’écriture n’est-elle pas affreusement moralisatrice ou culpabilisante façon judéo-chrétiennitude ? Humm ?
Pour la petite histoire, je connais quelqu’un à Nantes dont les beaux parents ont gagné une fortune (ils se sont acheté avec leur pactole quelques maisons sur la côte, près de Guérande) et ont donné une grosse partie à leur fille unique, elle aussi par conséquent soudain enrichie. Son mari — le mec que je connais, donc, qui est une sorte de journaliste cultureux bouineur, assez peu efficace — l’a vraiment très mal vécu, se sentant dépendant de son épouse et toujours obligé de devoir montrer qu’il s’assume (ce qu’il a tenté de faire en permanence, il est vrai, sans être au summum du talent). Qui plus est la belle famille n’a eu dès lors et de cesse de le rabaisser, voire de l’accuser de cupidité (alors que leur fille n’était pas encore riche lors de son mariage). Bilan : plus d’une décennie d’alcoolisme pathétique et de descente continue (« ah, tu vois : et en plus il picole »), avant de décrocher de l’addiction après bien des affres (pour l’instant et aux dernières nouvelles).
Images : FM + Midjourney.
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Et puis j’ai reçu ça ce matin dans une newsletter : https://positivr.fr/il-gagne-47-millions-deuros-et-continue-de-se-rendre-au-travail-a-4h30-tous-les-matins/
C’est chaud l’actu loto. Un autre article : https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-10-27/ce-pere-de-famille-gagne-35-millions-de-dollars-au-loto-mais-il-refuse-de-le-dire-a-ses-enfants-a210bdac-a92e-4efa-a5f4-97d5ebf7892d