[Cette proposition d’écriture a déjà été formulée à d’autres que vous en février 2018, et a donné (d’excellents) résultats. Je vous la repropose ici. En fin de ce texte des liens vous mèneront, pour inspiration (ou non… si vous voulez éviter pour ne pas subir d’influence !) vers 4 sur 6 des textes rendus publics produits lors de cet atelier. ]
Je ne sais pas si vous avez remarqué -en tout cas cela m’a frappé un jour- mais dans les romans contemporains, qu’ils soient dits de « littérature générale » ou « de genre » (polar, thriller, roman noir, fantastique…), il y a toujours un endroit, un moment, où apparaît une photographie. Le passage peut-être plus ou moins long, la photographie peut avoir un rôle ou non dans l’intrigue, peut permettre ou non de caractériser davantage un personnage… En tout cas, c’est systématique, elle apparaît. Que ce soit chez de grands auteurs comme chez des auteurs mineurs, chez des génies comme chez des tâcherons de la plume. Faites attention, vous verrez : je ne pense pas me fourvoyer, une ou plusieurs photographies apparaissent à plus de 9 fois sur dix.
Dans les romans, ce qui est intéressant c’est comment la photographie est lue :
– Soit elle sert l’intrigue et va permettre de déceler un indice, de mieux comprendre un fait, l’histoire ou l’Histoire, de mieux cerner un protagoniste a posteriori. Elle peut être aussi un déclencheur à l’action principale du roman.
– Soit elle sert le personnage qui est dans une quête (de souvenirs, du passé, quête familiale, ou personnelle) et dans ce cas il ne la décrit pas, mais il la traduit. Il se revoit sur le cliché et s’analyse soit cliniquement, soit en « s’interprétant ». Il examine la photo et tire le bilan du temps passé, de comment ont évolué ou non les personnes présentes.
La photographie peut être la trace ultime d’un bonheur, d’un être perdu. Elle peut décrire un lieu ou un temps enfui, oublié… devenu totalement différent, en bien ou en mal, du présent… Quoiqu’il en soit, ce gimmick de la photographie, encore une fois, est extrêmement présent dans la littérature. On n’y prête même plus attention : c’est presque un code de genre, et ce, même dans les littératures sans genres, ni codes. C’est presque un passage obligé.
Je suis même certain que, désormais, vous le remarquerez aussi.
Des exemples inspirants ? En voici quelques-uns presque piochés au hasard dans ma bibliothèque :
Annie Ernaux, dans La Place, qui examine des photographies :
« Une photo prise dans la courette au bord de la rivière. Une chemise blanche aux manches retroussées, Un pantalon sans doute en flanelle, les epaules tombantes, les bras légèrement arrondis. L’air mécontent, d’être surpris par l’objectif, peut-être, avant d’avoir pris la position. Il a quarante ans. Rien dans l’image pour rendre compte du malheur passe, ou de l’espérance. Juste les signes clairs du temps, un peu de ventre, les cheveux noirs qui se dégarnissent aux tempes ; ceux, plus discrets de la condition sociale, ces bras décollés du corps, les cabinets et la buanderie qu’un œil petit-bourgeois n’aurait pas choisis comme fond pour la photo ».
Une autre, page suivante :
« Une photo de moi, prise seule, au-dehors, avec à ma droite la rangée de remises, les anciennes accolées aux neuves. Sans doute n’ai-je pas encore de notions d’esthétiques. Je sais toutefois paraître à mon avantage: tournée de trois quarts pour estomper les hanches moulées dans une jupe étroite, faire ressortir la poitrine, une mèche de cheveux balayant le front. Je souris pour me faire l’air doux. J’ai seize ans. Dans le bas, l’ombre portée du buste de mon père qui a pris la photo ».
Annie Ernaux, encore, dans Les Années :
« La photo en noir et blanc d’une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l’autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d’Ambre solaire, d’échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille. Les cuisses plus claires, ainsi que le haut des bras, dessinent la forme d’une robe et indiquent le caractère exceptionnel, pour cette enfant, d’un séjour ou d’une sortie à la mer. La plage est déserte. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer ».
Antonio Muñoz Molina dans Sepharade :
Dans un polar anodin pioché au hasard parmi tant d’autres : Dernière nuit à Montréal d’Emily St John Mandell :
Chez le grand Michael Ondaatje, Un air de famille :
Dans Valet de nuit, de Michel Host (un roman à la Mondiano) – Goncourt 1986 :
Quelques pages plus loin, il revient sur la photographie :
Je pourrais vous en mettre des pelletées. Tenez : le rôle de la boîte à chaussures pleine de photos dans La Moustache, d’Emmanuel Carrère, la photographie d’Idriss dans La Goutte d’or de Michel Tournier…
Vous avez compris… La photographie est un cliché (littéraire) – un cliché au bon sens du terme- qu’utilisent les plus grands.
Alors pourquoi ce mois-ci, pourquoi ne ne pas écrire vous aussi sur ce thème ?
Allez : clic-clac, merci Kodak ?
> Pour inspiration (ou alors non, à éviter !) voici les textes rendus publics en février 2018 (4 sur 6) à la suite de cette proposition (on peut y lire en sus et en dessous de chacun mes commentaires d’alors) :
– Texte de Groux
– Texte de Ann, « La Tanière »
– Texte de Khéa, « Déchirer ou ne pas déchirer ? »
– Texte d’Hippocampe, « La photographie »