Proposition d’écriture – Mars 2023

Parce que j’avais proposé en mai 2020 un atelier d’écriture de nouvelles qui avait bien marché, basé sur des mots et expressions intraduisibles ou inexistants en français (> c’est ici), et parce que j’aime cela, j’ai acheté ce petit livre ci-contre (> en vente ici) en me disant que j’allais bien trouver un sujet d’atelier. J’en ai trouvé deux : voici déjà le premier. Je garde l’autre en torture pour plus tard (sans doute en mai).

Page 35, il est question de Snajper baba, et cela m’a suggéré tout de suite la proposition de ce mois-ci. Snajper baba, c’est un mot originaire de Serbie, expliqué ainsi  : « Pourquoi installer des caméras de surveillance, quand vous avez des personnes âgées sous la main ? En Serbie, la Snajper baba est la cheffe officieuse de l’immeuble. Postée à sa fenêtre, cette mamie « snipeuse » surveille si vous avez vidé votre poubelle ou correctement garé votre voiture. Elle n’hésitera pas à vous le faire savoir par un billet doux glissé dans votre boîte aux lettres. Son réseau d’informateurs est puissant, s’étendant du facteur à la vendeuse de la supérette, en passant par les autres mamies du quartier. « 

Voici ce que je vous propose pour cet atelier en « approche roman » : vous allez écrire un roman d’immeuble. Il y a dans cette idée, certes, de La Vie Mode d’Emploi de Perec, de L’immeuble Yacoubian de Alaa El Aswany, de La rue de la sardine de Steinbeck, de l’Escalier C d’Elvire Murail (adapté au cinéma en un bon film de Jean-Charles Tachella de 1984 (!), avec un Jean-Pierre Bacri tout jeune), pour ceux qui me viennent à l’esprit, mais il en existe forcément de très nombreux autres, comme certains romans de Naguib Mahfouz (autre égyptien) ou de Camillo José Cela, etc.
La proposition est la suivante :
– Vous êtes un ou une des 9 locataires d’un immeuble d’une moyenne ville française de province (pardon : de région). L’immeuble de briques est ancien, mais très bien rénové et entretenu, avec un ascenseur vintage à grille coulissante et un bel escalier ciré avec des marches moquettées de rouge. On se croirait dans certains immeubles de Paris. La rue est calme, proche des commerces. Vos voisins d’étages et de paliers, dont vous ne savez pas grand chose, sont discrets (sauf fêtes improvisées), et respectueux des autres. La cour, entourée de murs est propre et calme, avec son portail en fer forgé, son tilleul façon école de campagne. Il y a un garage à vélo, les poubelles pour le tri,  les boîtes aux lettres au pied de l’escalier, et vous avez chacun un cagibi privatif dans la cave.
Tout irait bien pour tout le monde, si au dernier étage, avec vue sur la cour et la rue, n’habitait pas (c’est la loi des groupes, il y en a toujours un ou une qui gêne) la snajper baba locale scotchée là avec son vieux chat ; scotchée là parce qu’elle a un loyer soumis à la loi de 48 bien moins élevé que le vôtre (donc elle est arrivée avant 1986). C’est Dragoslava Vasić (Dragoslava est un vrai prénom féminin serbe) une veuve émigrée qui vit depuis des décennies par chez nous et qui a repris en vieillissant toujours plus (tout en restant étonnamment tonique, elle est hors d’âge ;  on s’interroge à ce propos : mais bon sang, combien peut-elle avoir ?, et mais quel est son secret fraîcheur ?) bien malgré vous la tradition culturelle serbe de la surveillance des habitants. Attention : ce n’est pas la concierge (« la bignole » comme on disait), c’est bien la snajper baba dont les pratiques se heurtent quelque peu à votre souci de la vie privée. Elle peut être méchante, ou gentille (ce qui surprend), serviable ou acariâtre, mielleuse ou attendrissante… mais elle est surtout curieuse, inquisitrice, inopportune, indiscrète et a un souci de l’ordre et des conventions qui lui sont propres et bien ancrés, qu’elle serine parfois avec un français qu’elle maîtrise et comprend bien mieux qu’on s’en douterait, mais qui n’est tout de même pas toujours complètement abouti à l’oral. Entre vous, vous l’appelez, c’était évident : La Drago.
– Il va s’agir pour chacun et chacun d’entre vous de narrer ce que vous voulez en respectant le cadre : une anecdote, une histoire, un fait, un problème, une mésaventure, un bonheur, un drame, une fête, que sais-je… que vous avez connu en vivant là (vous en êtes parti(e), ou vous y demeurez toujours, ou alors vous rapportez les souvenirs de quelqu’un qui a vécu dans l’immeuble), sachant qu’à un moment où un autre, de façon prononcée ou juste furtivement gênante quelques instant, cela s’est heurté à La Drago. Vous pouvez écrire au « je » ou au « il/elle » (si vous rapportez ce qui est arrivé à une connaissance qui a vécu dans l’immeuble). Peu importe l’époque (vous pourrez, ou pas, nous la donner), sachez que La Drago était déjà là, et qu’elle était déjà vieille, qu’elle était peut-être même déjà La Drago.  Peu importe le genre de votre récit : en juxtaposant les chapitres/nouvelles de l’atelier, nous allons obtenir le roman de l’immeuble sur une période donnée, soit de l’histoire la plus ancienne à celle datée comme la plus récente. Bien sûr, la seule préoccupation pour votre « nouvelle-chapitre » consistera à ne pas gêner la globalité de l’ensemble : c’est-à-dire qu’il ne faut pas par exemple me trucider La Drago (même par exaspération), faire exploser les lieux, me couper l’arbre dans la cour, ou que sais-je de vraiment très important et surtout d’irrémédiable quant au cadre afin de ne pas gêner les autres récits ignorant l’information cruciale (selon ce que vous imaginerez il faut juste tenir compte du fait que cela fut ou non réparable. Un incendie dans un appartement par exemple, c’est possible, mais la destruction du dernier étage avec La Drago dedans, cela ne l’est pas).

Alors… Racontez-nous ce qu’il s’est déjà, ou encore,  passé avec La Drago  ! Car elle est vraiment pas possible, décidément, celle-ci.


Image : FM + Midjourney

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Je pense à Pot-bouille de Zola, une histoire de vies à tous les étages d’un immeuble.

Je l’ai beaucoup lu. Eh oui, j’avais un gros faible pour ce livre. Toutes ces vies qui se croisaient, se rencontraient, se heurtaient, ça me passionnait.