Allez, on va travailler encore une fois sur la photographie, mais promis… c’est la dernière fois car je pense qu’après on aura fait ici définitivement le tour de la question. Certaines d’entre vous (les anciennes de l’atelier) ont peut-être participé à l’atelier > écrire à partir d’une photo imaginaire ou personnelle, de votre choix ; c’était la photo elle-même comme sujet ou objet, mais aussi comme gimmick apparaissant dans pratiquement tous les romans), ou à l’atelier sur les personnages imaginaires > nouvelles inspirées par des portraits générés par une intelligence artificielle : cette fois, afin de clore ce champ-là (à mon avis), on va se prendre la photographie comme « des bribes d’intimité qui fonctionnent comme des fictions littéraires ». C’est Sylvain Morand conservateur du musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, qui en 2008 a définit très justement cela ainsi dans le catalogue de l’exposition « Instants anonymes » au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (qui s’est déroulée du 4 avril au 14 septembre 2008 – il y a 12 ans, oui). Cette exposition magnifique présentait des centaines de photographies prises par des anonymes : photos de famille, de couple, de vacances, de tout et de rien, de vie… d’une banalité a priori totale, issues entre autres du fonds immense d’une collectionneuse, Anne-Marie Garat.
En fait, le mois dernier pour établir la proposition d’écriture, car je voulais déjà proposer ce sujet, j’ai passé plusieurs heures à chercher sur le web des images anonymes et donc a priori banales qui soient 1- « belles », 2- qui pourraient être surtout inspirantes parce que comme le dit si bien Sylvain Morand, qui seraient donc « des bribes » de « fictions littéraires ». Ne trouvant qu’une masse énorme de photographies américaines répondant à ces critères, ce qui ne me convenait pas pour l’atelier (trop américaines), ou alors des photographies vraiment sans intérêt ni charme (ou trop récentes : elles n’expriment plus la même chose depuis le numérique), je me suis souvenu que j’étais allé voir cette exposition Instants anonymes à Strasbourg en 2008 et qu’elle m’avait fasciné par son potentiel de fictions. Aussi, depuis, j’ai acquis ces jours-ci le catalogue de l’exposition sur le marché du livre d’occasion pour l’atelier, et je vous en ai scanné une sélection d’images, parmi des centaines, que vous allez trouver ci-dessous et qui vont nous servir comme base de proposition d’écriture.
Le catalogue de l’exposition cite Marcel Proust : « Le souvenir d’une certaine image, n’est que le regret d’un certain instant ». On le voit, Marcel en écrivant cela faisait du Proust à fond (c’est qu’il est cabot ce Marcel), mais la formule est juste.
Prenons le cas de la dame en tête de cet article (et zoomée deux fois ci-dessus et ci-dessous). C’est seulement un portrait de dame (de caractère, certes. Il y a un regard affichant une certaine détermination…). Mais si on zoome, donc, on s’aperçoit qu’en médaillon, il y a le portrait d’un jeune homme. Qu’est-ce que cela signifie ? Quelle est l’histoire avant ? Quelle est l’histoire après cette image ? Quel drame dans cette vie, chez cette femme ? Ou non ? (Elle était peut-être simplement fan de quelqu’un ?). On ne le saura jamais, mais on peut tout imaginer, et, ça, c’est formidable. Tout comme certaines d’entre vous (les anciennes 🙂 ) ont participé au Projet Conjugal (imaginer la vie/des vies, des moments de vie, à partir d’une simple petite annonce matrimoniale), je me suis dit qu’imaginer — et encore une fois, c’est pour clore ici le côté travail à partir de la photographie — pour nombre des photographies ci-dessous, ce qu’il y avait pendant, avant, ou après, ou avant et après la photographie, comme « bribe de fiction », serait un exercice d’atelier intéressant. Sachant qu’en outre ce type de travail n’est pas nouveau : je pense aux travaux d’Arnaud Cathrine, Justine Levy et The anonymous project (*) (> voici l’article du Monde abonnés pour vous à télécharger si cela vous dit : Les nouveaux romans-photos : Arnaud Cathrine, Justine Lévy et The Anonymous Project) ou à ce qu’a fait Isabelle Monnin avec « Les gens dans l’enveloppe » en écrivant l’histoire d’une famille à partir de nombreuses photos trouvées, avant de retrouver les personnes et de comparer sa fiction à leur réalité.
Bon, très bien, tout cela c’est bien gentil, mais concrètement, il faut faire quoi, ici 🙂 ?
1 – Dans la galerie d’images qui se trouve ci-dessous, choisissez une photographie.
2 – Écrivez une nouvelle de fiction. Votre texte doit obligatoirement comprendre le moment de l’image choisie. Donc votre texte se déroule (ou exprime le) pendant ou avant, ou après, ou avant et après le moment précis de la photographie. Vous n’êtes pas obligée de raconter la vie entière, bien sûr. Vous faites ce que vous voulez, mais il doit y avoir quelque part le moment de la photographie. Cela peut être seulement d’ailleurs seulement le moment de la photographie…
3 – Si cela vous complique la vie : ne cherchez pas à mettre des détails historiques, à faire des recherches d’archivistes. Ce qui nous intéresse est à quel moment cette photographie a-t-elle été prise dans la vie du ou des personnages — moment important, ou non.
4 – Et voilà, formidable : vous m’envoyez votre texte en me précisant de quelle photographie il s’agit que je m’en serve comme illustration (elles sont légendées et numérotées.).
À noter que dans cette galerie de photos, il y a une photographie avec quelqu’un dont l’identité est à deviner (photo n°46 : on ne gagne rien, désolé :-), mais si on le veut, on peut utiliser cette image), deux photographies d’un auteur connu (Auguste Sander) qui sont dans le catalogue examinées à titre de comparaison avec celles anonymes (et que l’on peut utiliser si l’on veut) mais surtout à la fin une série épatante que je vous ai mise davantage pour la curiosité (mais que vous pouvez retenir si ça vous dit) : ce sont des photographies prises dans le cadre d’un stand de tir de fête foraine. On y voit sur certaines, à la suite, que les mêmes personnes y sont allés chaque année. Il y a des séries avec des personnes en plus, en moins, vieillies… Que s’est-il passé entre chaque image ? Là, avec une série, il y aurait que quoi faire un roman… Mais une nouvelle me suffira ! :-).
Pour consulter la galerie cliquez sur une image pour agrandir et faire défiler avec les flèches. Escape ou clic sur la petite croix en haut à droite pour sortir de la galerie…
(*) The Anonymous Project
Traduction de la présentation de The Anonymous Project :
En 2017, lorsque le cinéaste Lee Shulman a acheté une boîte aléatoire de diapositives vintage, il est tombé complètement amoureux des personnes et des histoires qu’il a découvertes dans ces fenêtres uniques sur nos vies passées. Collectant et préservant des diapositives couleur uniques des 70 dernières années, le projet est né d’une volonté de préserver cette mémoire collective et de donner une seconde vie aux personnes souvent oubliées dans ces moments intemporels capturés dans de superbes couleurs Kodachrome. De la période du début des années 1950, lorsque les prix de la photographie couleur sont tombés là où elle est devenue accessible aux non-professionnels, à l’essor des appareils photo numériques, la photographie couleur est rapidement devenue le support dominant pour capturer la vie quotidienne. Pas seulement des mariages et des remises de diplômes, ou des amis posant pour des amis ou des familles se rassemblant pour des portraits, mais tout. La magie de la photographie couleur est que lorsque les produits chimiques sur le film sont exposés à la lumière, la couleur est créée. Le problème est que ces produits chimiques se dégradent avec le temps, ne laissant finalement aucune trace de l’image. La plupart des diapositives couleur ne survivront pas au-delà de 50 ans. À moins que des mesures urgentes ne soient prises, cette partie colorée de notre mémoire collective, des artefacts de la vie quotidienne des années 40 à l’ère numérique, disparaîtra complètement. Ces photographies amateurs sont un journal kaléidoscopique de cette époque, d’autant plus fascinant et saisissant de par leur qualité non polie. Souvent drôles, surprenantes et touchantes, ces images racontent les histoires de toutes nos vies. Le projet anonyme est à son tour devenu une entreprise artistique qui cherche à donner un sens à ces souvenirs autrefois oubliés et à créer de nouvelles façons d’interpréter et de raconter des histoires qui remettent en question notre place dans le monde aujourd’hui. Ce site Web rassemble une sélection unique d’images de la collection privée de Lee Shulman. Toutes les images © The Anonymous Project / Lee Shulman
Ah je crois que j’ai démasqué le personnage de la 45. Vraiment rien à gagner ? Même pas un paquet de madeleines ?
Bravo !! 🙂
Bravo ! 🙂
Oui, il s’agit bien de Proust. La légende dit « Paris. Boulevard Bineau », en 1892. Une photo anonyme…
Pour une fois que je gagne
Bonjour à tous ! J’arrive après la bataille, j’avais oublié comment on accédait à la proposition d’écriture, quelle nouille je fais ! Je suis enchantée de cette proposition, et je vais avoir du mal à choisir… J’aime beaucoup les photographies : celles de ma famille, dans laquelle j’ai un peu le rôle d’archiviste, et celles d’inconnues. J’ai beaucoup aimé Les gens dans l’enveloppe, et j’ai trouvé récemment dans la rue une boîte en carton pleines de photographies, qui étaient en partie sur le trottoir humide à côté des poubelles.
Bref, ce sujet me plait beaucoup, mais il va d’abord falloir choisir la photo sur laquelle travailler !
Bien heureuse de participer de nouveau à un atelier.
A bientôt,
Marianne
Bon retour ! Tant mieux si c’est tombé pile. Dans votre mail vous me parlez du Madeleine Project : eh oui, j’avais oublié ce travail très touchant. Je le mets ici pour tout le monde : https://madeleineproject.fr/le-projet-4/
Oui, c’est une très belle histoire !
Je me rends compte avec horreur que mon texte n’a pas été enregistré dans mon ordinateur… J’ai gagné le droit de recommencer…
Que cet atelier était riche ! J’étais séduite par la proposition de Francis, mais je le suis encore plus par la lecture des textes. C’est fou de voir tout ce que ces images inspirent alors même qu’on ne connaît rien de leur contexte de prise de vue (pour la plupart). C’est très riche !
Oui, j’ai beaucoup de chance car il y a bien, des talents ici. Je ne sais pas pourquoi bien plus que dans les ateliers habituels, en présentiel. Peut-être justement parce que ce sont les plus passionné(e)s par l’écriture qui viennent… En outre l’ambiance est bonne, bienveillante.