Vous avez remarqué qu’en ce moment, on a l’impression que l’époque nous incite à dire tout le temps : « C’est le bouquet », soit, c’est le pire, l’apothéose dans un sens ironique et négatif — et pourtant normalement le bouquet du feu d’artifice est le plus beau moment du spectacle.
Vous le savez sans doute, mais l’expression a subi un renversement de sens au XIXe siècle. Auparavant, le bouquet, hormis quelques expressions populaires, représentait ce qu’il y avait de mieux, de plus beau, de plus spirituel… Le dictionnaire des expressions françaises, Expressio.fr affirme même que l’inversion de sens se serait produite en 1828 sous la plume de Vidocq (et je n’en sais pas plus. Bien obligé de les croire. J’ai pourtant chez moi 5 ouvrages qui traitent des expressions françaises, dont 2 énormes dictionnaires spécialisés sur ce sujet… et il n’y est jamais question du bouquet). Il se passe aussi qu’outre des livres sur les expressions j’ai, figurez-vous, une mère, et une sœur. Une mère très âgée qui aime les fleurs, et une sœur qui a des goûts impossibles. La deuxième a fait livrer le week end dernier pour la fête des mères à la première un bouquet étrange que je suis heureux de ne pas avoir reçu moi-même accompagné surtout d’une carte de fleuriste futé qui, et j’en viens à notre sujet, révèle une liste de cette tarte à la crème dont je n’avais plus entendu parler depuis des décennies qu’est le langage des fleurs. Liste que ma mère m’a montré, toute contente (*).
En la lisant pour être poli, je me suis dit en fait que les sentiments, caractères, situations, passions qu’exprime cette liste, si on les croise, donneraient des situations dramaturgiques, un canevas scénaristique, des esquisses de personnages. C’est-à-dire, que si je compose, par exemple, un bouquet d’une fleur de camomille (dévouement, énergie dans l’adversité), avec une de tournesol (orgueil, éblouissement), une de nénuphar (froideur), une d’amaryllis (fierté, vanité), une de gui (« Je triompherai »), et une de jusquiame (« je doute de vous »)… je tiens une trame. Mettons par exemple que le talent d’un médecin dévoué à la science et au soin apporté aux autres le mène à la mégalomanie, à devenir hautain et cassant… Mais voilà, soudain il en fait trop, et on ne lui fait plus confiance. Après mon imagination s’emballe : il pourrait, tenez, être épidémiologiste. Je le verrais bien à Marseille (ils sont plutôt hâbleurs par là-bas). Il pourrait s’aveugler dans ses théories, mais au cours d’un pince-fesse mondain et médiatique, un grand raout, ce serait sa chute… Et ce serait le bouquet ! On le voit : avec le langage des fleurs, on peut donc tout raconter…
Vous voyez où je veux en venir… Alors je vous ai trouvé une grande liste, ci-dessous, de fleurs bavardes. À vous de réaliser votre composition florale (et vous nous direz en note de bas de page — ou en titre, ou comme vous voulez — de quelles fleurs elle est composée) et de nous l’offrir. Le bouquet peut nous raconter des choses merveilleuses, comme d’autres affreuses (par exemple mon histoire ébouriffée de toubib ne fait pas forcément dans la délicatesse). On peut aussi préférer offrir un bouquet d’une seule variété. C’est périssable, mais très joli aussi.
A comme…
Acacia : amour platonique, grâce et élégance
Acanthe : amour de l’art, lien éternel
Achillée : dispute ou guérison
Aconit : dédain ou fausse sécurité
Amarante : constance, immortalité
Amaryllis : fierté, vanité
Ancolie : tristesse ou trouble, folie
Anémone : affection, confiance
Angélique : inspiration, extase
Anthémis : rupture
Anthurium rouge : fougue sensuelle
Anthurium blanc : timidité
Aristoloche : tyrannie
Armoise : absence
Arum : confiance, spiritualité
Asphodèle : regret du passé
Aster : élégance, fidélité, confiance
Aubépine : espoir prudent
Azalée : amour sincère, joie d’aimer
B comme…
Balsamine : offense, froideur
Bardane : « vous m’importunez »
Bégonia : cordialité, amitié sincère
Belladone : silence
Belle de Jour : coquetterie
Belle de Nuit : timidité, fuite
Bleuet : délicatesse, tendresse, timidité
Boule de Neige : calomnie, amour décroissant
Bourrache : changement, brusquerie, fermeté, énergie
Bouton d’or : impatience, joie, moquerie gentille
Bruyère : amour robuste
Buglosse : mensonge, fausseté
Buis : stoïcisme, stabilité
C comme…
Cactus (fleur) : amour maternel
Camélia : admiration, amour éternel, beauté parfaite
Camomille : dévouement, énergie dans l’adversité
Campanule : gratitude, coquetterie
Capucine : passion ardente
Centaurée : amour heureux
Chardon : vengeance ou austérité
Chèvrefeuille : lien, loyauté, fidélité
Chrysanthème : fleur des défunts en Europe, mais aussi positivité, constance dans l’amour, vérité
Ciguë : perfidie, poison, trahison
Cinéraire maritime : sentiment douloureux
Clématite : désir amoureux, tromperie, jeu
Colchique : amour finissant ou jalousie
Coquelicot : apaisement, consolation, ardeur timide ou inconstance
Cosmos : innocence
Coucou : suspicion de tromperie
Crocus : joie et jeunesse
Cyclamen : beauté, jalousie
Cytise : coeur brisé, abandon
Cyprès : immortalité
D comme…
Dahlia : reconnaissance
Digitale : ardeur, travail
Dipsacus : soif de l’autre
E comme…
Eglantine : amour naissant
Epine-vinette : aigreur, rancoeur
F comme…
Fougère : confiance et sincérité
Fuchsia : désir ardent, ferveur
Fumeterre : méchanceté
G comme…
Gardénia : amour caché, ou sincérité
Gentiane : mépris, dédain, douleur
Géranium : sociabilité, amitié, estime, gentillesse
Giroflée : fidélité, constance dans l’amour, élégance
Glaïeul : réussite, rendez-vous amoureux
Glycine : amitié partagée, tendresse
Gui : « je triompherai »
Guimauve : douceur, bienveillance
H comme…
Hélénie : larmes
Hélianthe : apparences trompeuses
Héliotrope : ravissement, enivrement d’amour
Héllébore blanche : demande en mariage
Héllébore noire : « mettez fin à mes tourments ! »
Héllébore verte : interrogation
Hémérocalle bleue : persévérance
Hémérocalle jaune : invitation à l’adultère
Hibiscus : beauté délicate
Hortensia : beauté froide, indifférence
Houx : défi
I comme…
If : tristesse, affliction
Immortelle : regrets éternels
Ipomée : amitié dévouée, déclaration d’amour (bleue)
Iris : bonne nouvelle à venir, événement festif
J comme…
Jacinthe : fidélité absolue
Jasmin : amour, volupté, tentation féminine
Jonc : soumission
Jonquille : désir, mélancolie
Julienne des dames : attente
Jusquiame : « je doute de vous »
L comme…
Lamier : reproche
Laurier sauce : triomphe certain
Laurier rose : vie éternelle, ou joie, ou encore méfiance
Lavande : amour fervent, silence, ou « répondez-moi »
Lierre : amour ou amitié éternels, mariage
Lilas : émotion, sentiments purs, maternité
Lin : simplicité, gratitude
Lis (ou lys) : pureté, noblesse, amour chaste
Lobélie : bonnes pensées
Lotus : amour brouillé ou spiritualité
Lupin : imagination
Lychnis : fidélité
M comme…
Magnolia : amour de la nature, gaieté, force
Marguerite : estime, confiance, amour timide, « m’aimez-vous ? »
Marjolaine : consolation, amour libertin
Mauve : affection pure et douce
Mimosa : sensibilité, fragilité, « je doute de votre amour »
Mouron : rendez-vous accepté
Muflier : désir
Muguet : bonheur retrouvé, joie, réconciliation
Myosotis : « ne m’oubliez pas », amitié sincère, amour véritable
Myrte : amour partagé
N comme…
Narcisse : égoïsme, amour de soi
Nénuphar : froideur
Nielle : invitation à la luxure
Nigelle : lien d’amour
O comme…
Œillet : audace, ardeur, liberté, ou malheur
Œillet blanc : passion
Œillet rouge : passion partagée
Œillet d’Inde : jalousie, séparation
Œillet du poète : inspiration, finesse
Olivier : paix, sagesse
Onagre : inconstance
Oranger : virginité, générosité, inconstance
Orchidée : fécondité, spiritualité, raffinement, mystère, ferveur
Ortie : cruauté
P comme…
Pâquerette : jeunesse, hédonisme
Passiflore : passion amoureuse
Pavot : « mon coeur sommeille », rêve
Pensée : nostalgie, souvenir
Pensée banche : « je pense à vous avec respect »
Pensée bleue : « j’ai confiance en notre amour »
Perce-neige : espoir de jours meilleurs
Pervenche : doux souvenir
Pétunia : colère, obstacle
Pied d’alouette : légèreté
Pivoine : régénération ou sincérité des sentiments
Pivoine rouge : confusion des sentiments ou amour sincère
Phlox blanc : déclaration d’amour
Phlox bleu : illusion d’amour
Phlox violet : rêverie
Pimprenelle : amour exclusif
Pissenlit : jalousie
Plantain: mensonge
Pois de senteur : mensonge, fausse modestie, inconstance
Pomme de terre (fleurs) : remerciement
Potentille : « je réclame votre estime », ou amour familial
Primevère : renouveau, jeunesse, amour naissant
Prunelle (épine noire) : affection entravée
R comme…
Reine-marguerite : confiance, estime, persévérance
Renoncule : surprise, joie, ou reproche
Réséda : amour secret, modestie
Rhododendron : danger ou premier aveu d’amour
Rose blanche : charme, innocence, amour timide
Rose rose : tendresse, joie
Rose rouge : déclaration d’amour, volupté, passion
Rose orange : désir
Rose jaune : infidélité (éventuellement pardonnée), jalousie
Rose trémière : beauté
Rue sauvage : indépendance
S comme…
Sagittaire : rupture
Sainfoin : hésitation
Salsepareille : réparation
Saponaire : amour sensuel
Sauge : force, santé
Saxifrage : désespoir
Scabieuse : abandon, délaissement, fleur des veuves
Sceau de Salomon : secret bien gardé, prudence, sagesse
Scrofulaire : « je retrouverai grâce à vos yeux »
Sensitive : fragilité, sensibilité, pudeur
Seringa : mémoire
Serpolet : étourderie, imprudence
Souci : inquiétude, chagrin, jalousie
Spirée : volonté, ténacité
Stramoine : « vos charmes sont trompeurs »
Sureau : bonté d’âme, ou enthousiasme
T comme…
Tamaris : protection
Thlaspi : consolation
Tilleul : désir d’amour conjugual
Tournesol : orgueil, éblouissement
Trèfle : légèreté de l’âme, ou fertilité, ou porte-bonheur s’il a 4 feuilles
Tubéreuse : volupté, plaisirs dangereux
Tulipe rouge : déclaration d’amour (plus discrète que la rose)
Tulipe blanche : pardon
V comme…
Valériane : facilité, aisance
Verge d’or : « vous êtes avare de sentiments », précaution, ou gronderie amicale
Véronique : fidélité
Violette : modestie, sensibilité, pudeur, pensées
Z comme…
Zinnia : amitié
Zinnia rose : amour durable
(*) J’ai lu la liste en essayant d’imaginer qui pouvait être responsable de ce truc improbable que j’aurais attribué à la littérature des Précieuses ; littérature façon Carte de Tendre. J’ai trouvé depuis (cela n’a rien à voir) : la légende raconte que le langage des fleurs serait né dans les harems orientaux, car les femmes n’avaient pas la possibilité de communiquer avec l’extérieur. Mais ce serait une certaine Lady Wortley Montague, épouse de l’ambassadeur anglais de Constantinople, qui aurait introduit le langage des fleurs en 1718 en Europe — et il aurait été démocratisé sous l’ère victorienne.
La liste vient en fait > de là
Vidéo (si vous la voyez sur ordinateur) de Karolina Grabowska – Pexels sinon les fleurs sont de Inspired Images – Pixabay et le Panier de fleurs également issu de Pixabay.