Récemment, à l’occasion d’un long déplacement en voiture, j’ai écouté un vieux podcast de France Culture, une série de « Les pieds sur terre » qui traite de l’amnésie, totale, soudaine et inexplicable : « Le 17 février 2009, Stéphane se réveille en ayant oublié les quarante-deux premières années de sa vie. Il raconte, avec sa femme Monique, ce destin coupé en deux. » Et c’était aussi bouleversant que fascinant. Si vous en avez le temps ou l’occasion, écoutez-le (28 minutes) : > il est ici.
(Il y en a un autre tout aussi troublant : « Depuis deux ans et demi, la mémoire de Monsieur R. disparaît à mesure. Il garde pourtant toutes ses facultés et tente d’apprendre à vivre sans pour autant reconnaître les visages autour de lui, ni les lieux de son quotidien, ni même les vêtements de son placard. » > ici.
Cette histoire de mémoire qui s’efface d’un coup ou qui devient de courte durée m’a d’autant plus remué que j’ai connu il y a une vingtaine d’années une amie qui avait vécu cela (vous allez dire que je connais toujours quelqu’un dans le cas dont je parle, mais cette fois encore pourtant)… et j’avais oublié cette histoire (l’amnésie…). Le père de ses jumelles alors en bas âge, un informaticien brillant, s’est mis à perdre soudainement la mémoire qui n’allait plus qu’au-delà de quelques jours. Il a dû arrêter de travailler et est devenu totalement dépendant. Isabelle, c’est son prénom, était commerciale dans l’import-export de tissu et travaillait en outre beaucoup. Elle a dû tout réorganiser, s’occuper de ses filles et de son mari transformé en enfant supplémentaire pendant 4 ou 5 ans, avant de jeter l’éponge totalement épuisée, dépressive, et terrorisée de se dire que sa vie à elle aussi allait être massacrée (et c’est alors tout le monde lui a dit « tu aurais dû le faire avant ». Elle en a toujours voulu à son entourage de l’époque de l’avoir jamais déculpabilisée de décider plus tôt se soulager). Elle a élevé ses filles seule ; le mari a été mis sous tutelle ; le divorce a été reconnu aisément. Elle et ses filles ont continué les années suivantes d’aller voir leur père, toujours heureux et d’humeur égale puisque conscient de rien, et de s’en occuper plus à distance, tandis qu’il continuait de régresser. Je ne vois plus Isabelle depuis une douzaine d’années. Mais elle a refait sa vie, travaille pour une grande maison d’édition. Je ne sais toutefois pas ce qu’il est advenu de l’ex-mari.
Bon, tout cela n’est pas très gai, mais sans aller sur des situations si graves, je me suis dit que la question de la mémoire, du souvenir, est évidemment un sujet à explorer en fiction. Les angles possibles sont très nombreux. Voici quelques pistes, :
Amnésie et quête identitaire : Un personnage souffre d’amnésie et doit redécouvrir qui il est. Ce voyage peut être littéral, où le personnage voyage à travers des lieux de son passé, ou métaphorique, où il rencontre des gens qui le connaissaient avant.
Amnésie et relations : Un personnage oublie son partenaire ou sa famille. Comment ces derniers réagissent-ils ? Comment reconstruire une relation quand l’un des partenaires est un inconnu pour l’autre ? Comment accompagner une personne âgée qui perd la mémoire ?
Comédie de l’amnésie (soyons plus gais…) : Un personnage oublie une promesse ou un engagement important et doit improviser pour éviter les conséquences…
Euh… Cette piste, parce que… ça m’est moi-même arrivé, il y a très longtemps. Un jour un type m’écrit. Il me raconte qu’on s’est parlé lors d’une séance de dédicaces il y a deux ans, et il me dit : « ça y est, j’ai créé ma librairie et ma revue (c’était une revue de polars), et comme tu m’as promis que tu tiendrais une rubrique gratuitement, je te préviens que c’est bon… » Je n’en avais aucun souvenir… Du coup, j’ai tenu la rubrique gratos durant trois ou quatre ans. Il paraît que j’avais promis… Une autre anecdote semblable, véridique : une photographe qui fut longtemps réputée de l’Agence Magnum (elle a depuis quitté le métier pour élever des chevaux dans le Jura) avait en fait commencé sa carrière toute jeune en débarquant à New-York dans les années 90 (je crois que c’est à cette époque). Elle savait que le directeur de l’agence était français. Au culot, elle, la totale inconnue, l’appelle et lui dit : « C’est Sylvie ! Tu te souviens de moi ? Ça y est je suis arrivée à New York. Tu m’avais dit que nous déjeunerions ensemble et que tu me confierais un job pour m’aider »… C’était totalement faux, mais le type n’a jamais osé avouer qu’il ne s’en souvenait pas. Il l’a invité au restau ; il lui a donné du boulot… Et elle fut propulsée dans une des plus prestigieuses agences, a priori inaccessible, fut d’abord archiviste, puis fit par la suite une belle carrière de photographe. Tenez, > une expo de 2005.
Polar avec amnésie : Un thème classique (Les vrais durs ne dansent pas de Norman Mailer est un exemple parmi des centaines) du type qui ne se souvient pas de ses bêtises… Ou alors : un détective souffre d’amnésie mais doit résoudre une affaire importante. Comment fait-il pour rassembler les pièces du puzzle sans se souvenir de détails clés ? Ce peut-être aussi un témoin… À noter que feu l’écrivain français bien regretté de science-fiction humoristique Roland Wagner avait créé à l’inverse un détective qui a un handicap particulier, dû à une mutation ou unh truc comme ça : personne ne se souvient jamais de lui… Il est obligé de s’habiller de couleurs vives et disparates, de rappeler toujours qui il est et pourquoi… Ce qui lui cause des complications infinies.
Sinon il y a évidemment le chef d’œuvre absolu de Christopher Nolan > Memento (un modèle de scénario complexe, puisque tout est raconté en outre antéchronologiquement) dans lequel le personnage cherche à comprendre ce qu’il lui est arrivé, qui a tué sa femme… Mais il perd la mémoire régulièrement. Du coup, il se tatoue sur la peau lors de ses moments de lucidité les indices dont il aura besoin de se servir…
Amnésie sélective : Un personnage se souvient de tout sauf d’un événement spécifique. Pourquoi cet événement a-t-il été effacé ? Quelles sont les conséquences de cet oubli ? Les gens (ou quelqu’un de proche) lui disent que si, pourtant il était bien là. Il a fait/dit/vécu… mais lui ne s’en souvient pas. Alors il a honte, ou il veut réparer, ou il essaie de comprendre pourquoi ce truc-là… Le manipule-t-on ? Veut-on lui faire croire et admettre quelque chose ? Sans aller jusqu’au thriller, ce genre de choses peut simplement arriver dans un couple conflictuel. Et il y a en a même qui simulent l’amnésie…
Amnésie et art : Un artiste, un artisan, un professionnel quelconque perd la mémoire de son art/métier. Peut-il recréer son style ou en développe-t-il un nouveau ? Peut-il faire illusion ? Masquer son problème…
Dystopie collective : Dans un monde où une forme d’amnésie collective a effacé un événement crucial de la mémoire collective, un petit groupe de personnes commence à se souvenir ou à découvrir la vérité…
Science-fiction et manipulation de la mémoire : Dans un futur où la technologie permet de modifier les souvenirs, un personnage découvre que ses souvenirs ont été altérés. Pourquoi ? Par qui ? Ou alors : Un personnage voyage dans le temps mais perd la mémoire à chaque saut. Comment peut-il agir dans le passé ou le futur sans se souvenir de ses motivations ou de ses connaissances ?
Fantastique et malédiction : Un personnage est frappé par une malédiction qui efface sa mémoire des autres. Comment vit-il dans un monde où personne ne se souvient de lui ?
Bon j’arrête… Si je vous noie de trop de pistes, vous allez passer en surcharge informationnelle ou cognitive… et c’est mauvais pour la mémoire… D’autant qu’il ne faut pas oublier de m’envoyer votre texte pour dimanche 10 novembre au soir au plus tard…
(Notez bien la date quand même SVP. 🙂 )
Image : FM + MIdjourney
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