Proposition d’écriture – Avril 2022

L’idée de la proposition d’écriture de ce mois-ci m’est venue en voyant récemment une scène poignante aux actualités télévisées. On y voyait un groupe d’orphelins ukrainiens accueillis en Pologne par une association… La première chose que les bienfaiteurs qui les accueillaient avaient fait à la descente du bus avait été de leur offrir une peluche et un jouet (Je ne vais pas m’étendre sur ce point, on a hélas notre dose quotidienne).
Cela m’a mené à réfléchir sur la force, le pouvoir, la symbolique du jouet : pour l’enfant bien sûr, comme pour l’adulte. Et de là, à réfléchir à tout ce qui tourne autour du mot, des expressions… Ma proposition d’écriture d’avril est donc celle-ci : le jouet.
Un des jouets les plus célèbres en littérature est certainement la poupée de Cosette dans Les Misérables de Victor HugoCosette (qui voit une poupée en vitrine, alors qu’elle n’en n’a pas), s’en voit offrir une par Jean Valjean. C’est une scène de toute importance dans l’œuvre de Hugo et en écho avec sa vie, qui, nous dit-on, transcende le thème du jouet en littérature comme expression du pouvoir de l’imagination de l’enfance, et tend au conte, au mythe du merveilleux chrétien.  Bref, on voit que le joujou, c’est du lourd, et qu’il y a de quoi faire.

Voici en vrac ce que je vous ai collecté dans la malle à inspirations (et j’en ai sans doute oublié), sachant que le jouet, n’est pas toujours synonyme de bien ni de bon, ni même d’enfance, loin s’en faut :
– Les jouets avec lesquels on ne joue pas (trop précieux, trop beaux, trop fragiles),
– Casser ses jouets
(métaphoriquement ou au 1er degré),
– Jouer sans jouet (cette imagination fertile des enfants qui faisait dire à Coluche qu’à son époque et dans la pauvreté « avec un rat crevé on jouait à Davy Crockett »),
– Les jouets préhistoriques (que les archéologues prenaient pour des objets de culte),
– Les catalogues de jouets qu’on épluchait petit (la liste au Père Noël),
– Les jouets « pour filles » et « pour garçon » 
(donc genrés et fort justement remis en cause),
– Le coffre à jouet
qu’on retrouve au grenier,
– Les jouets qu’on regrette, qu’on a perdu, qu’on se rachète, qu’on garde secrètement,
– Les jouets qu’on se fabrique, qu’on nous a fabriqué,
– Les jouets qu’on nous a donnés, qu’on nous a pris
(et alors on s’est chamaillé), qu’on a volé.
– Le jouet qui nous a fait peur, le jouet moche.
– Le jouet encombrant (Ainsi Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions écrit “Si je retournais dans le monde, j’aurais toujours dans ma poche un bilboquet, et j’en jouerais toute la journée pour me dispenser de parler quand je n’aurais rien à dire. ” On lui souhaite un petit modèle, sinon il risque de déformer ses poches).
–  Les gamins « trop gâtés » (on en reparle plus plus bas),
– Les jouets hors de prix.
– Le jouet qu’on nous a offert alors qu’on n’en voulait pas,
– Le jouet délaissé (et on en a des scrupules),
– Le jouet qu’on aurait voulu et qu’on a jamais eu,
– Les jouets fascinants des vitrines de Noël
(l’effet catalogue, mais là, ça brille et ça bouge),
– Les jouets des machines des forains (qu’on se ruine à ne pas parvenir à attraper),
– Les inquiétants adultes collectionneurs de jouets (tous ceux que j’ai rencontré m’ont toujours semblé être un peu bizarres — mais il doit y avoir des exceptions),
– Les jouets que les adultes s’accaparent
,
– Les chambres encombrées (« qu’il faudrait que tu ranges » ; 
chambres chaotiques qui un jour, les enfants partis, peuvent finir par nous manquer),

Sur d’autres registres, on trouve dans le coffre d’à-côté :
Le jouet « sémiologique », pourrait-on dire : c’est celui qu’on retrouve et dont la vision  exprime un drame passé. L’image du jouet au sol dans une maison abandonnée ou détruite, sur le lieu d’un drame… Le jouet qui symbolise l’enfant, la famille, la vie disparue. Drame aussi : les chambres laissées intactes des décennies plus tard. Avec tous les jouets.
– Ceux qui s’accaparent quoi que ce soit pour en faire leur jouet. Ainsi, on peut « être le jouet de » de façon métaphorique encore, sinon au sens premier du terme. Voir ce film de Francis Veber, en 1976, avec Pierre Richard et un enfant trop gâté :

– Il y a le jouet qui prend vie à la façon de Pinocchio (des dizaines de versions) ou celle de des personnages de Toy Story qui cartonnent depuis la première version de 1995 (et sont bien moins forts en symbolique)… On notera en passant, à propos de Toy Story, que même là, les personnages sont masculins ; c’est-à-dire que les jouets sont bien « genrés ». De fait, ils ne répondent guère au très simple et pourtant redoutable test de Bechdel, que vous connaissez peut-être, et qui chaque année lorsqu’en sortent les résultats dans la presse américaine, fait beaucoup réagir).

– Dans le registre du jouet vivant, si vous voulez vous essayer au fantastique, le jouet criminel est un sujet classique du genre. Il y a les poupées sanglantes du cinéma (je ne vous ai pas mis les extraits… On ne va pas se faire de mal, mais si vous aimez… > une liste ici).  D’ailleurs, le maître du genre, Stephen King dans nombre de nouvelles ou romans a largement labouré le thème du jouet assassin, avec comme souvent chez lui un art consommé pour dépasser et renouveler le cliché le plus éculé. Je me souviens d’une nouvelle flippante où il n’était pourtant question que de petites petites voitures manipulées sur un tapis ou une autre du même jus avec un simple tigre en peluche… Soit la métaphore du pouvoir de l’imagination enfantine (et de la cruauté candide de l’enfance) poussé à l’incandescence. (À noter que dans le genre maléfique hélas, de nos jours le jouet dont la taille, les risques  accidentogènes sont pourtant très encadrés, peut se révéler être vraiment maléfique en n’étant pas animé, mais de par la composition chimique de ses matériaux…)
– Le jouet au cinéma : vous avez vu combien de fois la scène — combine de scénariste — de l’incendie, de la catastrophe, de l’arrivée de martiens… Où la petite fille a perdu sa poupée en fuyant. Et alors l’adulte retourne la chercher, et on se dit, non, quel imbécile, fais pas ça ! et on est là, les yeux rivés sur cette satanée poupée. Va-t-il mourir pour la récupérer ? C’est un suspense insoutenable.
– Et pour finir, on n’oubliera pas les jouets « pour adultes », mais ne nous étendrons pas (ou si, plutôt… Enfin bref : passons).

Eh bien voilà… À vous de jouer ?


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