« Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge », aurait dit Pablo Picasso. Pour ce mois de janvier, lors duquel nous manquons de lumière et de bleu, pour le moins (en tout cas en France, je ne parle pas aux participantes actuellement domiciliées aux antipodes), je vous propose pour thème d’écriture de ce mois-ci, simplement ceci : « bleu ».
En fait, c’est parti d’un enchaînement de pensées. À la suite de je ne sais plus quoi, je me suis demandé courant décembre dernier quelles chansons j’avais le plus écoutées (volontairement) dans ma vie (parfois, on se pose de ces questions, il est vrai…). Et parmi celles que j’ai identifiées il y avait celle-ci, liée à différentes périodes pour le moins passionnées de mon existence. La voici :
C’est un blues (donc bleu, la couleur de la tristesse en musique ; trois accords mineurs; un truc de feignasses disent les musiciens jaloux) de Mighty Mo Rogers, un ancien professeur de philosophie devenu bluesman. Ce qui est intéressant, outre la mélodie, les rimes et la métrique, c’est l’inspiration dont est issue cette chanson enregistrée en live à Paris il y a un paquet d’années (j’étais alors plus jeune et certainement, et davantage hormonalement, dans le bleu de la vie). C’est un blues qui ne naît pas seulement du manque de l’autre, mais aussi de la ville de Barcelone, de la nuit bleu électrique (ou pas), et surtout de deux tableaux de Picasso, — encore lui.
Voici les trois premiers vers de la chanson, si vous ne les avez pas notés (et donc ci-contre les tableaux de la « période bleue » de Picasso, sa période mélancolique, que Mighty Mo Rogers évoque au travers d’eux) :
Two women sitting in a bar (deux femmes assises dans un bar)
Blind man playing on his guitar (un aveugle jouant de sa guitare)
Barcelonian air is sounding blue (La musique/L’ambiance/l’air de Barcelone sonne/paraît bleue/triste…).
D’où le titre de cette chanson Picasso blue, qui est le terme avec lequel les anglo-saxons désignent la période bleue. « Everything is Picasso blue« . Car c’est parfois ainsi dans la vie —et c’est à la fois aussi sublime que douloureux.
Parti de là, je me suis mis à réfléchir sur le bleu, et à avoir envie de vous en faire proposition d’écriture. Le bleu est riche. D’ailleurs il peut être roi… car le bleu n’est pas que le blues (pas que la mélancolie, la nostalgie, le spleen baudelairien, l’aboulie, le manque, la peine, le chagrin,…).
C’est le bleu céruléen du ciel, celui de la mer, de l’horizon, le bleu cobalt des ciels de vacances torrides, c’est « le bleu de tes yeux » de la môme Piaf, « les mots bleus, lalalala qu’on dit avec les yeux« , le « bleu piscine » si froid des yeux d’Anne Sinclair (selon Guy Bedos), le bleu couleur médicale-chirurgicale, clinique, du packaging moderne (ou alors rassurant comme celui d’une boîte de xanax), le bleu insondable et marque déposée du peintre Yves Klein, le bleu moral, civique ou républicain, celui marine des uniformes (ou le bleu des nouvelles recrues, ces bleus) comme celui des bas-bleus des familles à colliers de perles (Mais en face, il y a il est vrai le bleu autrefois rebelle, venu du rural des jeans —un autre uniforme), les bleus des ouvriers et ceux des Schtroumpfs qu’ils endossent dans les parcs quand ils n’ont pas d’autre boulot (écrivit Didier Daeninckx dans Playback), le bleu des yeux des chatons (un animal d’écrivain, dit-on) et de ceux des nourrissons qu’on espère qu’ils garderont, le bleu d’Auvergne de fin de repas ou le petit-bleu qui était jadis un télégramme de fin de tranquillité…. Hélas et surtout aussi les bleus à l’âme ou ceux du corps reçus lors d’une peur bleue — tous ces hématomes visibles ou non qui peuvent, heureusement, être guéris… ou non. (Mais ce qui ne nous tue pas, dit-on, nous renforcerait [Ah… la belle affaire!]).
J’en passe et de nombreuses. Mais au passage, on a noté que le bleu peut être aussi froid gyrophare que chaud lagon. Tout est question d’interprétation. À chacun ses traumatismes ou son chromatisme. Une certitude : « la java bleue est la java la plus belle, celle qui ensorcelle ». Cela étant, allez savoir si la java est Pantone Reflex blue ou si c’est un 286C. On ne nous dit rien.
Chaque couleur a son histoire, ses sens et symbolique (lire les ouvrages et/ou écouter les propos passionnants de Michel Pastoureau) voire ses nuances. Mais le bleu est aussi diversement nommé > comme cela (> là aussi), mais à chaque fois, ce n’est pas vraiment le même bleu car nous ne le percevons pas tous identiquement — chromatisme encore (pour moi, par exemple, turquoise est bleu. On me dit depuis des décennies que c’est vert. C’est fou comme la majorité peut avoir tort). Et pourtant, malgré ce bleu azur qui est dans l’air, ou ces airs bluesy que nous pouvons prendre, malgré tous ces bleus insaisissables, sinon indéfinissables… il paraît que le bleu est la couleur que les occidentaux contemporains (quant à eux, du moins) préfèrent sur cette Terre que l’on sait désormais être « bleue comme une orange « , depuis Éluard.
Enfin bref. On cause, on cause… et, donc, pourquoi ne pas écrire une nouvelle bleue ?
» Quoi ? Une nouvelle bleue ?
– Ben, oui ! Bleue ! N’importe quel genre de bleu ! Mais du bleu que tu veux ! « .