Elle avait toujours aimé les voyages en train.
Etudiante, ils étaient devenus cet «entre-deux», ce «nulle part et partout» lorsqu’elle partait en week-end chez ses parents.
Un entre-deux entre cette femme en devenir qu’elle apprenait à être, seule, dans cette grande ville et cette enfant qu’elle s’autorisait encore à être fugacement un jour ou deux.
Elle avait grandi depuis, choisi de rester à Lyon, commencé à travailler dans un cabinet d’archi. Elle avait trouvé un appart sympa, ses parents l’avaient aidée, même s’ils regrettaient qu’elle ne soit pas rentrée. Elle avait un boulot fou et adorait ça, sortait avec la petite troupe qui s’était créée durant les études et ceux qui s’y étaient ajoutés.
Ils avaient entre 25 et 30 ans. Malgré leur soif de liberté, de parcourir le monde, ils commençaient à se «caser», à «acheter», à faire des bébés.
Elle avait fait son trou là bas comme on dit.
Ca allait…
Ce matin, assise en première classe, place isolée 52, voiture 7, elle repensait à ces trajets d’alors, comme elle aimait déjà ne plus être là où elle était l’instant d’avant.
Elle avait gardé ses habitudes: de la musique dans les oreilles, quelques magazines à la con, un bouquin, un carnet pour écrire – elle avait toujours envie d’écrire dans le train- , en revanche elle n’avait pas acheté ses habituels m &m’s, elle avait l’estomac trop noué.
Ca allait… Au milieu de tout ça, il y avait Jean. Insaisissable.
Elle était follement amoureuse de lui, acceptant tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi de l’avis de ses amis.
Un jour il était là, amoureux, le lendemain inatteignable.
Deux mois plus tôt il était parti en stage à Paris pour six mois.
Justine se réjouissait de pouvoir l’y rejoindre, elle rêvait cet ailleurs avec lui, pariant un peu sur la distance et le manque pour susciter un engagement chez Jean.
Un mois avant son départ, Mathilde et Solal avaient décidé de se marier, Julia et Rémy annoncé qu’ils attendaient un bébé.
Elle commençait à se sentir seule parmi tous ses amis dont les vies semblaient si bien tracées, ces «fils de bonne famille» qui avaient tous grandi ensemble.
Elle s’était souvent demandé si sa relation avec Jean serait différente si elle appartenait elle aussi à cette bourgeoisie lyonnaise, si ses parents avaient fait d’elle un «beau parti».
Seulement voilà…la distance et le manque, elle seule semblait les ressentir à en crever. Jean semblait aimer sa parenthèse parisienne. Elle se morfondait de son absence, il profitait et s’enivrait de Paris.
Quinze jours plus tôt, ils s’étaient disputés.
Il avait fui la discussion, n’était pas rentré le week-end comme prévu, n’avait donné et pris aucun appel.
Depuis 15 jours elle se morfondait, malade. Elle avait mal au bide, mal tout court.
On était mercredi, elle avait acheté un billet de TGV. Elle allait y aller.
Elle ne savait pas ce qu’elle trouverait au bout de ce voyage, mais il fallait qu’elle le fasse, qu’elle trouve la raison de partir ou rester.
Elle avait mis quelques affaires dans un sac, passé des heures à se maquiller, essayé douze tenues différentes pour être parfaite.
Elle se sentait fébrile, elle avait peur. Elle avait descendu ses escaliers les jambes tremblantes, fait tomber son pass dans le métro, cherché une place assise elle qui voyageait toujours debout. Elle se sentait trop maquillée, trop sapée, dans le genre «la campagnarde qui monte à la capitale».
Arrivée à Part Dieu, elle avait mal au ventre, le cœur qui cognait fort quand elle s’est assise place isolée numéro 52 de la voiture 7 de la première classe.
Quand le TGV a démarré elle a couru vomir aux toilettes.
Pourquoi ne se contentait-elle pas du peu qu’il donnait, n’était-ce toujours pas mieux que plus rien?
Elle n’a pas sorti de bouquin, ni son carnet, encore moins ses magazines débiles.
Elle a mis la musique dans ses oreilles. Dominique A chantait Eleor, elle a appuyé sa tête contre la vitre et laissé ses yeux faire leur va et vient.
Il faisait beau ce matin de Novembre, elle a sorti ses lunettes de soleil, s’absorbant de tous ces paysages qui disparaissaient aussitôt qu’ils arrivaient.
Du vert, de l’ocre, de la terre, du bleu.
Ces paysages de campagnes, les animaux, la lumière. Elle renouait avec son rêve d’y trouver une vieille maison à retaper, un refuge, une sorte de retour aux sources.
La campagne avait défilé, les paysages étaient devenus plus urbains, on approchait de paris.
Le TGV 8365 arrivait à quai.
En descendant, chancelante, elle était prête au tournant qu’allait prendre sa vie aujourd’hui.
Par Pinklady
Il y a quelque chose de l’ordre du voyage initiatique dans ce trajet en train que nous raconte Pinklady. Tout est en place pour nous faire comprendre que ce trajet prélude à l’orientation de toute la vie qui va suivre. Et il y a d’ailleurs un joli contre-pied narratif : le texte commence en disant que le personnage aime, et a toujours aimé, les voyages en train. Et toute la description qui en est faite ensuite est plutôt de l’ordre du malaise que du plaisir. Comme si c’était la fin d’un cycle, le début d’un autre. Et c’est d’ailleurs ce que l’on ressent tout au long de ce texte : c’est une fin de cycle de vie, et l’amorce d’un autre, que nous met en scène Pinklady. Avec son lot de questionnements, de remise en questions, d’incertitudes sur l’avenir. Fin de la vie légère et insouciante où on a le temps, début de la vie « installée ». Ce trajet en train, ce déplacement, est comme la métaphore de ce changement de vie. Et comme effectivement, c’est la transition que met en scène le texte, j’ai aimé, pour ma part, ne pas savoir comment se passeraient les retrouvailles avec Jean, et rester sur le questionnement, à l’unisson des sentiments décrits par la narratrice au long du texte.
Je crois, Pinklady, que je jouerai pour ma part bien plus à fond la clé de l’unité lieu/temps du train. Y revenir, sans cesse. Pour bien marquer que ce que tu racontes se joue là, dans cet entre-deux. Mettre en scène, vraiment, décrire, ce moment où elle monte dans le wagon, s’installe. Sort les magasines débiles de son sac, les pose sur la tablette, décide finalement de ne pas les ouvrir. Le moment où elle branche ses écouteurs, règle le son, choisit l’artiste qu’elle va écouter. Etc… Sans doute avec des phrases un peu courtes, intercalées dans tes paragraphes plus longs et plus narratifs. Opposer du très factuel, descriptif pur, court, à ses états d’âmes plus détaillés et plus teintés d’émotion, renforcerait je pense considérablement le texte.
Merci de ton commentaire.
Quand j’ai lu ton « sujet », pour moi trajet allait avec « attente »; enfin c’est ce qui s’est déclenché en moi à la lecture.
Et je suis tout à fait d’accord avec ta suggestion…ces fichus 4500 caractères m’ont, pour la première fois je crois, fait racourcir mon texte… J’avais envie/besoin d’installer le personnage..
J’me souviens plus mais si on « corrige » on a « le droit » à plus de caractères ou pas ? 😉
On a tous les droits qu’on veut 😉 (tu connais Pennac et ses droits du lecteur? Bon ben ici c’est pareil en droit de l’auteur, on a le droit de n’en faire qu’à sa tête ou presque 😉 ). Il faut juste garder en tête que la lecture sur écran, sur ce site, d’un texte trop long n’est pas forcément confortable.
Alors alors, cette version 2 très longue??? 😉