Il y a un peu plus d’un an sur une idée « venue comme ça », je ne sais plus pourquoi, je me suis dit que je proposerais bien un atelier d’écriture sur le thème énoncé simplement ainsi : « bleu ». Le sujet ? : bleu ! Le ton, la tessiture, l’intrigue, l’ambiance, les personnages, la psychologie, les dialogues ? : bleu. Et débrouillez-vous avec ça (bon : je donnais des pistes tout de même).
Bien sur, comme à chaque fois, une fois mon sujet révélé, je me suis vite fait des angoisses : ma contrainte n’était-elle pas trop difficile parce que trop large ? Le sujet était-il vraiment inspirant ? Et puis comme à chaque fois : les textes produits dans cet atelier (qui a pour chance d’attirer des plumes venues d’on ne sait où) sont toujours étonnants de par leur qualité. Les textes bleus de 2018 (1) se sont révélés être passionnants. Aussi, à la rentrée de septembre dernier, un an plus tard, j’ai osé réitérer le coup du bleu : pareil, il y a eu des textes épatants (2). Mieux : j’ai reçu des courriels d’habituées de l’atelier qui regrettaient d’avoir cette année encore loupé ce sujet…
La couleur comme simple proposition d’écriture semblerait donc admirablement fonctionner (grâce à vous je continue d’en apprendre en permanence !)… Chapeau bas, pardon, chapeau bleu les gens ! Voici qui m’a donné envie d’explorer ce champ d’écriture peu courant que sont les couleurs…
Par ailleurs, coïncidence, voici qu’il y a très peu de jours paraît dans Ouest-France (j’habite près de Nantes, et comme tout le monde je feuillette Ouest-France, voire même je le lis !) un portrait de Michel Pastoureau, notre passionnant historien des couleurs qui continue de ratisser le nuancier en sortant cette fois-ci un ouvrage sur le jaune, couleur difficile s’il en est. Forcément, « ça m’interroge ». Je réfléchis, et je me dis (outre que Pastoureau a dû ramer pour chanter le jaune) que vraiment, non, non, non, ce n’est pas une couleur littéraire (ne me demandez pas d’expliquer, par pitié : juste, je ne le sens pas, ce satané jaune -et ce n’est pas à cause des gilets). En revanche, fort de mon pouvoir de gourou, j’aimerais si vous le voulez bien vous soumettre pour cet atelier une autre couleur riche de potentiels d’écriture : le vert. Après tout, le vert n’est-il pas devenu la préoccupation principale depuis ces derniers années ? (sachant que si on devient davantage verts, le ciel restera bleu, mais bon – et même si on craint, paradoxalement, que le Groenland (= étymologiquement : pays vert) ne redevienne, à cause du réchauffement… vert.
Vert ?
Vert de rage ? Vert galant (qui n’est d’ailleurs pas forcément un jeune homme vert) ? Avoir la main verte ? Vert-de-gris ? Vert militaire ? Volée de bois vert ? Pourquoi le vert est-il négatif, sinon synonyme de poison, de maladie, de malheur, de mal, de mort ? Pourquoi tant de superstition autour du vert chez les acteurs ? (Il paraitrait que c’est à cause de la teinture des costumes qui distillait une substance empoisonnante au travers de la peau). Pourquoi aussi un vert particulier qui désignait des minéraux, le glauque, est-il devenu si malsain ?
Aujourd’hui, le vert -synonyme d’espoir dit-on (ou de salut éternel : voir le vert de l’Islam. Enfin, pas l’Islam barbare fanatique qui tue : l’Islam « normal », hein)- est, avec l’écologie, devenu une vertu. Voire : le vert est désormais un cap, un objectif. On se met d’ailleurs, ou on aspire à être au vert. Allez : le vert est une renaissance, un renouveau (même si « mieux vaut reverdir qu’être vert » aurait dit Mme de Sévigné). Être vert (si on n’est pas un redouté ascète « khmer vert ») est désormais plutôt positif. Il y en a même, tellement avides de vert attendu de toutes et tous, qu’ils font dans le greenwashing sans être vraiment des Grünen. Ceux-là, envoyons-les, comme dit l’expression, au diable vert.
Mais il y a tant d’autres vertus : car le vert est outre un signe, bien au-delà, une spécificité donnant un sens différent aux mots qui l’encadrent (ce que réussit très nettement moins bien le bleu) : le feu vert ainsi qui nous autorise à avancer (dans la vie?), le vert a contrario de l’académicien ralenti et empesé dans son costume, le vert du martien (naturiste, le martien, forcément), le vert bouteille des yeux de l’alcoolique, le haricot vert vers lequel tendent des mannequins faméliques vertes de peur de ne plus être sur le podium, les légumes verts (que chipotent les mannequins), les billets verts (qu’elles gagnent?)… Et je vous passe les expressions ) et je vous passe les proverbes…
Alors ? Écrivons en vert (et contre tout?). mais c’est comme il vous plaira ! Puisque, comme aurait dit Matisse, « Quand je peins en vert, ça ne veut pas dire de l’herbe ; quand je peins en bleu, ça ne veut pas dire le ciel« .
(1) Textes bleus rendus publics de 2018 :
> Le texte de Lulu : « Bleu et passe ».
> Le texte de Marine : « Cinquante nuances de bleu »
> Le texte de Melle47 : « Du bleu plein les yeux ».
(2) Textes bleus rendus publics de septembre dernier :
> Le texte de Ketriken : « L’enrubannage »
> Le texte de Ktou14 – « Bleu horizon »
Illustrations selon votre appareil : si vous ne voyez pas une vidéo de forêt depuis un drone, vous voyez un menaçant python vert de Michael Schwarzenberger (cc – Pixabay) et une image de gouttes d’eau sur une branche de ju1959jjj (cc- Pixabay).