Simon est né en colère. Sa mère lui a sériné toute son enfance. Ses amis s’en amusent et le charrient le plus souvent sur le sujet. Les quelques femmes ayant un tant soit peu fait vibrer son coeur et qui ont pris la fuite après avoir tenté de cohabiter avec lui, vous le confirmeront; probablement en levant les yeux au ciel et en lachant un soupir mi fataliste/mi dépité.
Tout l’agace, le hérisse : les crottes de chien sur le trottoir, la mamie au caddy plein à la caisse de Monop, un samedi aprèm, le chauffard qui lui fait une queue de poisson, l’échec d’ un mauvais bluff au poker.
Tout est bon pour qu’il se mette à pester et très, trop, vite vociférer. Il a beau être né en pleine Beauce, c’est en italien qu’il s’exprime. Parce que chez Simon, pas question de réfreiner ses affects. On peste, gesticule, hausse la voix.
Ca retombe aussi vite, mais l’orage est quotidien. Quotidien à ses côtés qui vire rapidement au grand spectacle puis au pugilat. Ne tentez pas de le calmer, vous ne feriez qu’attiser son courroux.
Alors imaginez face à un raciste ordinaire ou des cathos culs serrés..
Et il a la gueule de l’emploi Simon: barbu échevéle, plutôt T Shirt des Rages against the Machine que chemisette.
Ce mardi matin n’échappe pas à la règle, sa chef le serine depuis des mois pour qu’il soit joignable en déplacement. Il a fini par céder, le voici qui ressort d’une enseigne Agrume avec un portable. Devinez quoi? il maugrée, saleté de technologie ! Et voilà qu’à peine allumé, il reçoit son premier SMS. Raison de plus pour râler, il n’a donné son numéro à personne et ça commence, il est déjà fliqué?
« Hé Adèle, j’espère que tes soucis avec Sosh sont réglés. Check ce portrait de toi!biz. »
Non mais est ce qu’il a une tête d’Adèle? Est ce qu’il est brune aux cheveux longs et fait du hip hop??!!!
Puis comme à son habitude, rapidement, il zappe et reprend le cours de ses pensées. Il aura bien assez vite un autre prétexte pour s’indigner.
Mais les jours suivants, c’est encore ce mobile qui lui donne d’autres occasions de ronchonner, avec un texto ou le répondeur lui rappellant que son numéro appartenait avant à une étrangère.
Après la photo, c’est l’assureur qui veut faire une mise à jour des données, puis c’est le syndic qui fait une enquête de satisfaction. Entre ça un ami, une collégue. Enfin c’est ce qu’il croit deviner.
Au début, Simon grogne, puis il s’en fout, et même parfois, les jours de bon lunage , il répond et explique la méprise.
« Mlle, 1 an que j’ai pris mon envol, et enfin je trouve le courage de vous remercier pour votre aide. Ma vie est à présent plus douce, grâce à vos bons soins , votre douceur et votre sourire. Danièle »
Guimauve! sortez les violons! voilà tout ce que ça sucite chez Simon.
Puis
« y’a que toi qui pourra rire de ça avec moi : quelle est la différence entre Jordy et le petit Grégory? Jordy n’a pas appris à nager dans une valise. Tacouzquitaime»
La brune gnangan gentille fait du hip hop et aime l’humour noir. C’est possible ce mélange? Etrange quand même…
Et Simon se retrouve presque à attendre une nouvelle erreur de destinataire, pour en savoir un peu plus. Il a l’impression d’un puzzle pas fini. Ou d’une série dont il lui manquerait les épisodes finaux. Il n’aime pas ça, il bougonne tiens.
Ca y est, elle a du donner son nouveau numéro à tout le monde. Maintenant, quand ça sonne, c’est forcément pour lui. Alors à chaque fois, il souffle, un peu déçu.
Surprise, un mois après, l’interrompant au moment de sa dégustation de wishky ( encore une bonne raison d’être mécontent)
« ça y est road trip fini, sans toi c’est moins fun. Enfin reconnecté, écoute moi ça, obligé tu vas adorer : https://www.youtube.com/watch?v=mRfwdJx0NDE. Dès que je reviens, on se fait un gros trip là dessus. Ton Pd préférè »
Forcément Simon écoute. Il découvre un set monumental, onirique, vibrant, subtil et totalement planant.
Cette étrange étrangère lui trotte à présent dans la tête. Il se surprend à l’imaginer, composant avec les caractéristiques qu’il lui connaît et celles qu’il lui prête.
Son image débarque même parfois brutalement, dans ses moments de colère.
Sans savoir pourquoi, ça l’apaise. Voire lui tire un sourire.
Puis vient le manque.
La sensation de vide.
Ca le mine. Il en oublie de râler.
Jusqu’au jour où : Bonsoir c’est Adèle, l’ancienne propriétaire de votre numéro. Désolée pour les messages que vous continuez à recevoir…
Et là lui prend l’envie étrange d’appuyer sur Rappeler, avec un air non moins étrange pour Simon, un air radieux…
Par Schiele
Schiele nous propose ici sa version d’un thème assez « classique », celui du bougon attendri. Elle a choisi une façon assez originale de la traiter, puisqu’ici, l’interlocuteur qui parvient à infléchir le mauvais caractère de Simon n’est pas incarné. Il n’y aura pas d’échanges entre deux, pas de joutes verbales mémorables, pas de situations partagées. On apprend des choses sur Adèle uniquement de manière détournée, ce qui laisse aussi place à l’interprétation de Simon, et à la notre. Finalement, c’est presque Simon qui s’attendrit lui-même en se construisant sa propre histoire. Jusqu’où ce qu’il imagine d’Adèle est-il réel ou purement fantasmé ? Mystère… C’est en quelque sorte l’histoire d’un voyage intérieur imprévu, mais qui semble au bout du compte plutôt bien convenir au personnage. Le prisme de la colère est un bon prétexte narratif pour raconter une métamorphose finalement bienvenue, grâce à un simple téléphone portable (qui permet de réunir plein de personnages/points de vue en un seul)
Je pense, Schiele (nous en avons parlé un peu en off) que tu as manqué de « longueur » pour dérouler ton texte comme tu le souhaitais, et que ça se ressent un peu. Simon est très bien campé au plan du caractère en début de texte, en revanche on ne sait absolument rien, ensuite, de la façon dont ces SMS interagissent avec son quotidien, ce qui se passe autour (par exemple, j’aime bien quand tu précises qu’un SMS l’interromp pendant une dégustation de Whisky. Ça peut sembler idiot, mais ah, tiens, ça m’apprend qu’il aime le whisky, qu’il boit de l’alcool… etc). Sinon, c’est comme si ton personnage, à la manière d’ailleurs de celui de Pinklady, était un pur esprit pas tout à fait incarné ni installé dans un corps, une vie, un quotidien. Or un personnage qui change, qui se métamorphose, a des raisons pour ça. Peut-être que tel SMS arrive pendant une réunion particulièrement pénible et qu’il le fait d’autant plus rire. Peut-être que tel autre arrive à un moment où il se fait suer dans un bus et que ça lui donne envie d’y répondre… etc. En tissant du « réel » autour de ton personnage, tu ancrerais aussi davantage sa métamorphose dans du vrai, et ça résonnerait davantage dans la tête de ton lecteur, je pense.
oui en effet, quand j’écrivais cette histoire, j’avais beaucoup plus d’éléments en tête, mais je n’ai pas réussi à les faire tous rentrer de manière concise, et j’avais ce sentiment frustrant qu’il » manquait », que c’était inabouti,
surtout après avoir présenté mon personnage…
Alice quitte le monde de la nuit… mais pas celui de la musique dont on sent que c’est important pour elle… Le personnage de Simon est bien campé mais ces f…. 4500 signes t’ont sans doute obligé a « couper ». L’histoire aurait pu se continuer dans plusieurs voix (il rencontre Adèle, il joue un jeu dangereux et se substitue à Adèle,….). J’aime bien le style général, fluide à la lecture.
C’est certain qu’il existe plein de pistes possibles pour continuer l’histoire, de la plus sage à la plus barrée. 🙂
Après, c’est aussi possible de laisser ce texte dans une forme courte, qui ne « choisit » pas ce qu’il arrive ensuite, et qui laisse le lecteur imaginer ce qu’il veut.
Ce sont deux « choix » d’auteur assez différent, et vu le texte de Schiele, les deux peuvent à mon sens se défendre.
J’ai bien aimé ton texte et le personnage bien campé en début de texte. J’aurais effectivement aimé comprendre comment les SMS le font évoluer, interagissent avec son quotidien et les pistes de Laurent me plaisent bien aussi!
Je suis curieuse de lire une « version longue », sans ces f…. caractères comme dirait Laurent ;-)!
Non mais arrêtez d’insulter ces caractères, à la fin 😀
J’aime bien lorsqu’ Alice change de registre 🙂 malgré ma tendresse particulière pour tes textes précédents !