– « j’aimerais bien partir travailler un peu à l’étranger en fait «
-« oh tu as toujours été comme ça, à avoir des idées pas comme tout le monde, quelle idée de partir »
Elle venait d’avoir son diplôme et donc sa grand-mère au téléphone, elle avait été contente de lui parler de ses envies.
Elle n’aurait pas dû.
Comme d’habitude.
Elle s’était toujours sentie étrangère parmi les « siens ». Et sa famille, c’était LA tradition: tous les dimanches ou presque chez les grands-parents avec les cousins, le repas avec entrée froide, entrée chaude, viande, salade, fromage et dessert; les jours de fête on avait même droit au double dessert avec les fruits au sirop derrière le gâteau.
Elle aimait l’art, les gens, sortir, danser, boire, fumer, refaire le monde…Autant dire que le rôti du Dimanche la gonflait depuis un moment déjà et il n’y avait pas que les repas à rallonge qui avaient fini par lui peser sur l’estomac.
Elle était spectatrice de ces réunions, comme si elle regardait les autres s’amuser de loin.
Sa première étape vers un semblant de liberté fut de choisir l’école d’archi la plus éloigné du domicile familial parmi les 3 dont elle avait obtenu le concours. Désormais elle n’était plus venue beaucoup le Dimanche. Elle avait choisi la ville, une grande ville, le lieu de tous les dangers pour sa grand mère, celui de débauche selon sa mère.
Plus elle était elle-même, plus ils s’éloignaient, comme si elle trahissait quelque chose en ne collant pas au moule bien bien préétabli. Elle avait eu petit à petit l’impression d’être l’invitée de sa propre famille.
Et aujourd’hui, donc, elle venait d’avoir son diplôme, elle avait des propositions de plusieurs cabinets dans lesquels elle avait effectué ses stages. On lui promettait un « grand avenir » .
Elle se sentait à un tournant.
C’est ce qu’on attendait d’elle, qu’elle fasse enfin « comme tout le monde » , un bon travail, un bon mariage, quelques enfants et on serait un peu plus nombreux le Dimanche midi.
Elle prenait le job et hop, elle était réintégrée à sa place au milieu de tout le monde.
Mais cet avenir la faisait s’éloigner d’elle. Elle avait sans cesse cette sensation de devoir choisir entre elle-même et être aimée, adoubée par sa famille. Parce que, quoi qu’elle en dise, elle en rêvait, qu’on la reconnaisse et qu’on l’aime, pour ce qu’elle était.
Elle s’était toujours sentie à sa place lors de ses voyages, elle n’a jamais rien adoré de plus que se sentir seule au milieu d’une foule dont elle ne pratiquait ni la langue, ni les coutumes.
Elle venait de là son envie d’aller travailler à l’étranger : elle avait envie d’ailleurs, de se fondre dans une foule inconnue. Quitte à se sentir bizarre et en décalage autant être étrangère au sens propre…
Peut être fallait-il être perdue, se perdre, pour enfin se trouver. Peut être que tous ces étrangers autour d’elle lui feraient se trouver
Par Pinklady
Je réalise en relisant le texte de Pinklady qu’à peu près tout le monde, finalement, a saisi la proposition d’écriture en la laissant dans un cercle « restreint », en parlant de gens qui sont étrangers à eux-mêmes, ou à leurs proches. Pinklady nous propose ici une jeune femme « sur le fil », à l’un de ces instants de la vie où les décisions se prennent, où les chemins bifurquent. C’est en quelque sorte un choix « impossible » si l’on veut tout concilier. Il faudra donc accepter, soit d’être considérée comme étrangère par les siens, soit de se résigner à être étrangère à soi-même. En ce sens, et comme le texte le dit explicitement, la métaphore du voyage à l’étranger est parlante : tant qu’à faire de se sentir étrangère, autant que ça soit pour une « vraie » raison. Pinklady parvient à rendre cette espèce d’ambivalence immense, à la fois grande fragilité et volonté musclée d’avancer, de la situation de « choix de vie ». Il suffirait de peu pour rentrer dans le moule mais à quel prix pour elle… Il suffit de peu aussi pour en sortir complètement, mais ça ne sera pas sans mal non plus… L’héroïne est attachante, parce que le questionnement est réaliste, et sa mise en mots sonne juste.
Ton texte, Pinklady, est une réflexion intérieure, en quelque sorte une traduction d’un « point », d’une analyse personnelle. A mon sens, il manque d’éléments factuels, concrets, pour en faire vraiment une « histoire » au sens narratif du terme, et pour qu’il devienne vraiment parfaitement attachant. Hormis l’allusion au coup de fil à sa grand-mère en début de texte, il ne se « passe » finalement rien pour l’héroïne pendant que tu nous racontes le fil de ces réflexions. Et moi j’aimerais bien qu’il se passe des trucs. Elle a fait quoi, en raccrochant son téléphone ? Sa vaisselle ? Elle a cassé un verre en repensant à l’un de ces repas du dimanche midi, tellement lourd pour elle ? Elle s’est coupée, et s’est dit que ça ne pouvait plus durer ? Etc… Je pense que ton texte serait beaucoup plus fort s’il sortait de la « réflexion générale », pour nous conter des moments précis, ceux où au détour d’une anecdote, on se prend dans la face la réalité de notre situation. Ces instants qui font prendre conscience des choses, à partir de petits détails qui semblent pourtant anodins, mais qui mettent en place tous les éléments du puzzle, d’un coup.
j’ai trouvé que ce texte sonnait très « vrai », et montrait la difficulté de ce choix, où les alternatives sont assez extrêmes, et impliquent un grand renoncement
PinkLady nous emmène dans ce moment de la vie d’adulte qui travaille. C’est une période que l’on aime se souvenir car nous sommes confrontés à un choix (où travailler ? pourquoi revenir « chez moi » alors que je peux aller ailleurs,…). PinkLady a bien retranscris cette pression familiale qui est par essence imposée. Alors oui, il n’y a pas d’histoire (on aurait pu imaginer plus de détails sur la construction de sa vie professionnelle qui se lierait avec sa vie personnelle loin de la famille. Le texte me semble court, il y a sans doute moyen d’y ajouter des éléments ?
Je trouve intéressante la question développée par Pinklady, celle des attentes de l’entourage qui étranglent, la difficulté des choix à faire, une vraie question à laquelle nous avons tous été confrontés.
Juste une idée comme ça mais, plutôt qu’un coup de fil en début de texte, peut-être qu’il aurait été plus facile de mêler des éléments du « présent » comme le propose Gaëlle si l’héroïne se rendait justement exceptionnellement à un de ces repas de famille (ou une fête de famille?).
Ah très intéressant ton com Ariane , ce pourrait être une idée en effet.
Je n’ai pas réussi à terminer mon texte en fait 😉 ceci explique cela…
Mais du coup je rebondis sur ce que dit Gaëlle car c’est peut être parce qu’il n’est pas véritablement une histoire que je n’ai pas pu développer comme j’aurais aimé. Je savais d’où je partais, où j’avais envie d’arriver mais il me manquait la « bascule »…
Oui, c’est très possible que ce soit les éléments de récit qui t’aient manqué pour finir ce texte, Pinklady. C’est un truc fréquent en écriture (en tout cas, à moi, ça m’arrive régulièrement): on a une réflexion, un « chemin mental », une évolution intérieure de personnage, que l’on veut raconter, mais l’habiller de concret pour que ça devienne une histoire qui « tient » le lecteur est une autre affaire. J’ai abandonné plein de textes pour cette raison, parce que sur un format long, si tu n’as pas de vraies situations, au bout d’un moment, ça devient compliqué de rester palpitant.
Mais là, tu as un vrai personnage, un environnement « mental » il suffit vraiment de peu de choses pour que ça s’installe vraiment. La proposition d’Ariane est bonne, parce qu’en plus tu peux la tenir avec une unité de temps et de lieu, et que ce soit cette fameuse « bascule », justement, dans l’accumulation des petits détails insupportables de ce repas de famille. Tu peux imaginer aussi autre chose. Mais il faut terminer ce texte 😉
ce s’rait bien oui ! 😉