Devant la petite fenêtre du haut, perdue dans ses pensées, Anna buvait son café,
Comme tous les matins, à la même place, devant ce paysage dont elle ne se lassait pas.
En contrebas, sous les rochers, dansait l’océan.
Elle pouvait suivre des yeux le pêcheur qui, chaque matin, descendait le même sentier qui le mènerait aux rochers, à la mer.
Ses pensées, suivant les pas du bonhomme, l’emmenèrent plus loin, au bout du sentier, vers ce petit morceau de terre dont elle avait fait son «bout du bout du monde».
Elle y était arrivée la première fois, vingt ans auparavant, au hasard de joyeuses vacances en famille. Elle avait toujours gardé un joli et lointain souvenir de cet endroit.
Puis un jour, adulte, presque par hasard, elle était arrivée ici.
Elle avait suivi la route classique et avait été arrêtée par la mer, trouvant refuge dans ce morceau de terre presque entièrement entouré d’eau. A perte de vue, du jaune, du bleu, du vert, du vent, de l’eau, du tellement tout et rien à la fois. Juste l’essentiel peut être.
Elle fut saisie par le paysage, l’atmosphère .
Elle était entrée dans le restaurant à l’air un peu délavé,tout en bois brut et baies vitrées, s’était assise à une table près de la baie vitrée et pour la première fois elle n’avait rien fait. S’était juste emplie des lieux.
Un vieux piano était posé là, en plein milieu. Un chat se baladait.
Et Anna, était là, scotchée.
Elle y arrivait désormais par ce même sentier qui courait en bas de chez elle. Il lui suffisait d’enjamber les ajoncs pour voir surgir la bâtisse improbable: du bois, de la pierre, des baies vitrées, les voiles de bateau tendues en l’air, les tables, les canapés, la rumeur d’un service ou le calme du petit matin.
Chacun de ces détails semblait contenu dans son corps.
Cet endroit l’avait transformée.
Au fur et à mesure que le pêcheur s’approchait de l’eau, Anna remontait le fil de sa vie.
Elle se revoyait plus jeune, parisienne, usant et abusant jusqu’à l’étourdissement, de ce que la ville avait à lui offrir.
Elle était jolie, elle réussissait socialement, avait des tonnes d’amis, était de toutes les fêtes, s’enivrait de soirées, de rencontres, de bruit et d’ alcool.
On la trouvait belle, brillante, incroyablement vivante; l’image même de la réussite et du bonheur.
Elle-même avait fini par y croire, finissant par ignorer qu’elle ne s’endormait et ne se réveillait plus qu’artificiellement, qu’il lui fallait toujours plus d’alcool et autres substances pour profiter de la soirée, toujours plus de conquêtes pour se sentir aimée et ressentir.
Très vite elle eut besoin de revenir dans ce bout du monde, de plus en plus souvent, pour réussir à tenir son rythme parisien toujours plus exigeant. Cette pause qu’elle s’offrait devenait chaque année plus nécessaire, vitale.
Elle ne se souvient d’ailleurs plus du jour où elle a compris que ce qu’elle prenait pour l’expression même de la vie n’était en réalité que fuite.
Tout s’était très vite accéléré: les crises d’angoisse, les malaises puis la chute qui lui avait laissé la jambe en vrac et qui l’avait obligée au cœur même de son tourbillon à s’arrêter.
Ce jour là quand elle s’était relevée dans l’escalier du bureau et qu’elle avait vu son genou béant, elle avait su que c’en était foutu de sa carapace, qu’une brêche tout autre s’était ouverte.
Elle n’était plus retournée voir l’océan.
Mais elle avait arrêté de fuir, en même temps sur une seule jambe ça devenait compliqué.
Elle avait fait soigner sa jambe, son corps puis, tant qu’elle y était son cœur et son âme aussi.
On l’avait aidée à aller chercher au fond d’elle-même, hypnose, semi hypnose, émotions, etc..
Quand la thérapeute lui avait demandé si elle pouvait visualiser un endroit refuge, immédiatement sa tête s’était emplie du jaune-bleu, de la mer et du vent, immédiatement elle s’était assise à cette terrasse d’où elle pouvait contempler ce presque rien qui était tellement tout.
Puis elle y était retournée, comme on part en pèlerinage.
Elle retrouva les mêmes sensations d’apaisement, l’impression d’être à sa place.
Cette fois elle n’avait pas pu repartir.
C’était il y a 3 ans.
Le pêcheur avait jeté son hameçon à la mer
Un bruit arriva de la chambre au loin, son bruit préféré au monde, celui de son bébé qui se réveillait.
Elle se leva en souriant.
Ce midi Rémi arriverait. Il avait profité de la brèche pour entrer dans sa vie.
Ensemble ils avaient réussi à apprivoiser la vie.
Un peu plus tard, les gens qu’ils aimaient empliraient peu à peu leur maison.
Demain Anna et Rémi se mariaient.
Par Pinklady
Un peu sur la même thématique que Schiele, Pinklady nous propose ici l’histoire d’une résilience amoureuse, et même d’une résilience tout court. L’histoire est racontée « a rebours », à partir d’un moment où l’héroïne est déjà « sortie » de sa vie d’avant. C’est une narration qui mêle flash-back et instant présent, comme pour reparcourir en un instant l’ensemble de ce qui a amené à ce mariage imminent, comme pour boucler la boucle avant cet engagement ouvert sur l’avenir. Il y a dans la tonalité des mots choisis un peu de mélancolie, mais pas d’une mélancolie « pesante », juste une mélancolie poétique, façon spleen baudelairien. Et de la joie, à la fin, incarnée par le bébé, Rémi, et les amis à venir. La construction qui mêle moments présents et moments passés me semble judicieuse. Elle renvoie à l’idée d’une certaine sérénité, celle qui nait quand justement on ne fuit plus, mais quand le passé a été compris, intégré, dépassé, et qu’il éclaire le présent à travers les choix pertinents qu’il a pu entraîner.
Il me semble que la faiblesse de ce texte est à la fois sa force (et réciproquement !). Il y a beaucoup de choses dans ce texte. Il n’est pas aisé de faire rentrer dans 4500 caractères le déroulé d’une vie qui bascule, le pourquoi, et la façon dont elle se reconstruit, tout en gardant la fluidité de la narration. Tu y parviens presque, PinkLady, ce qui est chouette. Mais je pense que ton texte gagnerait à ce que tu fasses quelques choix. Finalement, on n’a peut-être pas besoin de « tout » savoir sur cette femme, sur sa vie d’avant.
De même, j’aime beaucoup le pêcheur qui revient, comme une sorte de fil rouge de la narration. Mais j’aimerais qu’il ait une réelle raison d’être. Qu’il ne soit pas qu’un prétexte. Peut-être faudrait-il qu’il la salue de la main à la fin ? Ou qu’il lui rappelle un autre pêcheur, ou sa rencontre avec Rémi, un jour où justement elle regardait un autre pêcheur, ou… A voir. Mais je trouve que ce serait chouette que ce pêcheur ait un vrai rôle.
Dernier détail (c’est peut-être plus complexe, mais je pense que c’est une piste intéressante à explorer) : on pourrait imaginer une narration/un rythme différent lorsque le texte s’attache à Anna maintenant (jolies phrases poétiques, narration fluide) et à Anna avant (phrases courtes, simples mots, narration saccadée). Cela renforcerait l’opposition, la mettrait en scène, sans qu’il y ait besoin de réellement l’expliquer.
le ton poétique et de jolie nostalgie m’ont beaucoup plu, un peu troublée. J’étais vraiment spectatrice du paysage, et j’ai eu envie d’y déménager!
Comme Alicealice j’ai été emportée par ton paysage… mais pas seulement, ce changement, ce passage d’une vie à l’autre me semble tellement d’actualité…
Il fait écho à de nombreuses expériences de vie…
« elle a compris que ce qu’elle prenait pour l’expression même de la vie n’était en réalité que fuite »… cette phrase sonne juste, elle claque! Je rejoins Gaëlle sur la proposition d’altérner pharses courtes et sèches pour la vie d’avant et phrases plus riches, plus jolies pour la vie de maintenant…
En gros j’ai été emportée et j’aimerais vraiment connaître la nouvelle mouture (si nouvelle mouture il y a, et même si elle fait plus de 4500 signes!)
Merci de vos retours !
J’ai envoyé ce texte pas très satisfaite mais j’avais besoin d’un retour pour le retravailler, j’espère juste trouver le temps !!!
Je n’étais pas très à l’aise syntaxiquement ( que l’ordinateur me corrige « sympathiquement »… j’aime ce clin d’oeil ) avec ces aller-retour passé-présent justement mais vos encouragements me donnent envie de m’y remettre. je trouve aussi que l’idée d’alterner phrases longues-courtes est très intéressante.
Joli texte et j’aime bien aussi le pêcheur en fil rouge. Mais j’aimerais aussi le voir un peu plus « vivant », comme s’il sortait un peu du paysage (l’idée de Gaëlle avec le salut de la main est pas mal).
Bon, plein de pistes et d’encouragements, alors. Au boulot, Pinklady! 😉
y’a plus qu’à ! 🙂