J’ai peur des souris. Rien d’extraordinaire. Mais la peur, pour être véritable, doit-elle être originale ?
J’ai peur des souris, des rats, des loirs, des mulots, des hamsters. De tous les rongeurs. Vivants ou morts. J’en ai une peur panique.
Rien que d’écrire leurs noms, j’ai les poils qui se hérissent. Je ne peux pas les voir. Ni dans ma cuisine quand j’ouvre mon placard et que je découvre une petite tête pas du tout mignonne, qui se croit chez elle, squatte mon dessous d’évier et se déleste de ses toutes petites crottes misérables. Ni dans un film au cinéma ou à la télévision, où je me voile littéralement la face pour éviter leurs présences sur mon écran. Ni en peinture, je suis incapable d’affronter la double page transparente des souris innombrables dans le livre « Les souris » collection jeunesse « Mes premières découvertes», tout juste si j’ose prendre le livre dans mes mains. Il m’est impossible d’acheter moi-même de la mort aux rats, non pas que je rechigne à en mettre dans les endroits stratégiques où je me suis retrouvée nez à nez avec cette horrible bête : dans mes toilettes, dans ma cuisine, dans ma chambre, dans mon salon… mais rien que de saisir la boîte où figure un rat – comme il est répugnant– j’ai l’impression qu’il va me sauter dessus ! Ni une souris albinos dans sa cage dans un laboratoire. Ni un hamster tournant désespérément dans sa roue. Ni Ratatouille dans son restaurant. Ni le Joueur de flûtes de Hamelin.
C’est ridicule, je suis ridicule.
Et si d’aventure, je suis confrontée à cette bestiole, je deviens littéralement hystérique, en proie à une crise de nerfs, impossible à raisonner, je m’en fiche que les petites bêtes ne mangent pas les grosses, je préfèrerais un lion à une souris. Je sens mes tripes se vriller à l’intérieur de moi, mon cœur cogne si fort qu’il va exploser, je transpire, j’ai chaud, j’ai froid. Mes mâchoires se contractent, aucun son ne peut sortir de ma bouche. Je suis paralysée. Tout mon sang reflue d’un seul coup jusqu’à mes orteils comme s’il voulait s’échapper de mon corps. Quand mon instinct de survie reprend le dessus, je me sauve à toutes jambes pour me cacher dans la pièce la plus éloignée du monstre velu. Et je hurle comme une démente qu’on me prévienne lorsqu’il aura été neutralisé, c’est–à-dire zigouillé – oui dans ces moments-là, je n’ai aucune compassion pour l’animal. Qu’il crève ! À coup de pelle à neige, à coup de marteau, au gaz moutarde, au cyanure, je m’en fous.
C’est ridicule, je suis ridicule.
Je n’aime pas la campagne, je n’aime pas les étables, je n’aime pas les écuries, parce que je sais, que tout ce petit monde de rongeurs y vit, en bonne entente avec les occupants des lieux. Et si je dois – malheureusement- m’y trouver, je suis tétanisée, la respiration haletante, j’ai des yeux tout autour de la tête genre périscope et je scrute tout, du sol au plafond, tremblante et flageolante, prête à défaillir au moindre petit museau, au moindre petit bout de queue, au moindre petit couinement suspecté.
C’est ridicule, je suis ridicule.
Un matin, je me suis retrouvée face à face avec une souris dans la chambre de mon bébé. Alors je me suis mise à l’imaginer, cette infâme petite bestiole, grimpant dans le berceau de la chair de ma chair, à l’aide de ses pattes fluettes et griffues se servant de sa longue queue pour s’agripper aux barreaux, se hisser jusqu’à mon petit bonhomme, le regardant de ses yeux torves et vicieux, prête à lui dévorer ses minuscules mains dodues avec ses petites dents pointues, et à lui transmettre la peste bubonique, le couvrant ainsi de pustules noires et dégoûtantes… Au secours ! Aussi n’écoutant que mon courage (oui, oui !) j’ai fait acte de bravoure, j’ai attrapé mon fils aussi rapidement que possible, j’ai claqué énergiquement la porte et toute tremblante et proche de la syncope, je suis parvenue à téléphoner à un dératiseur professionnel qui… m’a ri au nez, me précisant qu’il y avait belle lurette que les souris ne mangeaient plus les enfants, car elles étaient suffisamment bien nourries par nos détritus et qu’à moins de vivre dans une tour en verre très très haute, il lui semblait difficile de ne pas avoir du tout de souris dans les champs comme dans les villes.
C’est ridicule, je suis ridicule.
Pour me sauver des rongeurs, j’adopte un chat, puis un deuxième pour remplacer le premier, j’établis une chaîne de chats. Pour me prouver sa gratitude, la première, Pistache, mignonne petite chatte grise et blanche, m’offrait chaque matin, royalement sur le tapis du salon un beau cadavre de souris, toutes tripes à l’air. Je sais bien qu’on doit toujours féliciter et remercier un félin pour son cadeau, mais là ce n’était pas envisageable, de surcroît, je ne pouvais pas la ramasser, au cas où elle n’aurait pas été totalement morte et qu’elle me grimpât dessus. J’en frémis encore.
Nina, mon numéro deux, jouait réellement au chat et à la souris, elle attrapait sa proie, la relâchait un tout petit peu, la rattrapait, ainsi de suite, sans vraiment l’occire, juste l’estourbir et me la déposer à côté de moi, à moitié morte ou à moitié vivante, c’est selon que l’on parle de moi ou de la souris ! À cet instant, je détestais aussi mon chat. Je me sauvais comme une folle incapable d’avoir une attitude sensée.
C’est ridicule, je suis ridicule.
Elvis, mon dernier chat, est un chasseur hors pair. Alors lui il est très fort ! Très moderne, Elvis, bien adapté aux nouvelles technologies: il boulotte toutes mes souris… d’ordinateur ! C’est ballot, ce sont vraiment les seuls rongeurs dont je ne peux absolument me passer !
Ridicule non ?
Photographie : OpenClipart-Vectors – cc – Pixabay
« La peur, pour être véritable, doit-elle être originale ? », écrit Zazie6454. En tout cas, cette peur-là n’est pas dans la liste de Géraldine Kosiak, alors du coup, oui c’est original 🙂 (*). Et toute peur est véritable !
Un texte très théâtral en vérité, comme un texte de scène ouverte ou de slam (lisez-le à voix haute, rapidement, vous verrez), plutôt bien balancé et rythmé, avec cette astuce bienvenue du gimmick qui le ponctue, « C’est ridicule, je suis ridicule » venant ajouter à la suggestion de panique et cherchant à évoquer l’image de la narratrice qui peine à reprendre ses esprits, à se contrôler, à surmonter sa phobie. En général, je n’aime pas cette écriture consistant à enfiler phrase après phrase en se contentant d’une virgule (un travers très répandu, lié sans doute au fait d’écrire sous la « petite voix » de la pensée avec impression de fluidité et de grâce ; et travers très répandu chez les jeunes étudiants surtout – mais là c’est soit par paresse, ou par manque de rigueur, ou soit parce qu’ils entretenaient jadis leur décervelage sur leur portable pendant les leçons de grammaire), mais là, c’est exactement le style adapté. Fond et forme en accord pour l’expression de la peur essoufflante. Je rapproche ce texte de celui de Khéa… Bravo.
(*) Il y a plus de vingt ans, j’amenai mon fils chez la nourrice. En ouvrant sa porte le matin pour nous accueillir celle-ci se mit à hurler (je dis bien à hurler) et, reculant dans son couloir, se plaqua contre le mur les bras écartés, en criant, en se tordant les poignets « s’il-vous-plait, vite ! Enlevez ça !, enlevez-ça ! ». Totalement désemparé par l’effet, je mis un moment à comprendre ce qu’il se passait : mon fils portait une grosse peluche en forme de marmotte, qui lui avait été offerte la veille.
La dame, appris-je, était phobique des rongeurs en peluche (ce qui rendait son métier de nourrice finalement très dangereux pour elle).
Je ne l’aurai pas vu, ni vécu, je n’aurai pas cru que cela pouvait faire cet effet là à quelqu’un. A l’époque je n’avais croisé qu’une phobie hystérique des papillons de nuit – ça fait juste hurler et renverser la table, bon, d’accord.
Mais la marmotte en nylon qui fait reculer de trois mètres avec incrustation de la personne dans le mur du fond façon Looney tunes : respect ! Comme arme de première catégorie, je n’aurais jamais imaginé.
Je trouvais un peu drôle que cette peur là justement ne fasse pas partie de la liste !
C’est tellement bien décrit! Et ce petit refrain « C’est ridicule, je suis ridicule » redit bien cette distance entre la raison qui voudrait qu’on se maîtrise et la peur qui nous pousse dans un vrai délire. Comme j’ai une peur bleu des souris, ce texte me réconforte, je ne suis plus toute seule!!! Merci en tous cas pour ce moment de lecture!
Cher Francis,
Hormis Mickey, aucune souris en peluche n’a franchi le seuil des chambres de mes enfants…et j’ai aussi la phobie des papillons de nuit – ils ne sont même pas beaux !
Merci beaucoup pour vos observations. Et comme au théâtre, vos commentaires distillés aux autres partenaires sont formateurs pour tous (en tout cas pour moi c’est certain).
Je m’y vois comme si j’y étais… Ma fille a la même peur des araignées… Un vrai truc de fou. Comme le dit Francis, il faut le voir pour le croire… Mais bizarrement, à l’occasion d’halloween, il lui arrive de manipuler quelques velues en cure-pipe… Je saurai le lui rappeler 😉
Merci pour cette belle histoire de souris… Moi je les aime bien!
Il y a un air de ressemblance dans le traitement de cette nouvelle avec « lettre manquante ». J’adore ce genre de « récit ». Entre larmes de joie et sourire de connivence.
La litanie du Ridicule pour se la poser en vrai à la fin
Bravo
Zazie6454, bravo !!! J’adhère aux précédents commentaires. D’une traite avec une petite respiration sur « c’est ridicule, je suis ridicule », j’aime énormément ce rythme.
Top 🙂
Ce texte m’a tout de suite paru familier, car j’ai peur des souris ( mais pourquoi donc) , et c’est très proche de ce que je connais. Et du coup, j’aime bien le « c’est ridicule, je suis ridicule », comme un refrain.
Fluide, bien mené, drôle. Un plaisir.