Un soir de décembre, le vent et la neige se mêlent. Elle se dépêche de rentrer chez elle. Elle remonte le col de son manteau contre elle. Ses longs cheveux flottent au vent et s’emmêlent en une danse sans fin.
Enfin, elle pousse la porte de sa maison. La douce chaleur de l’intérieur l’envahit et la réconforte.
Ce soir, elle est seule chez elle. Cela faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Son mari est à un séminaire et ses enfants sont chez ses parents.
Elle se love dans son canapé, le plaid sur ses jambes, une tasse de thé aux épices de Noël dans la main. Son regard est happé par les flammes qui dansent dans l’âtre.
Elle se sent bien, elle se laisse bercer par le crépitement de la cheminée. Son esprit vagabonde, elle repense aux gens qu’elle aime, ceux qui sont toujours là, ceux qui sont malheureusement partis trop tôt.
Un désir nostalgique l’envahit et elle part chercher ce qu’elle appelle sa malle aux trésors. A l’intérieur de ce vieux coffre en bois, tout ce qui lui est cher, tout un tas de souvenirs mélangés dans un joli fouillis. Des dessins, des cartes postales, des coquillages et un peu de sable, quelques bijoux, son premier rouge à lèvres. La liste est longue de ce qu’elle a amassé au cours de ces années.
Et, tout au fond, une vieille pochette en cuir qui renferme plusieurs photos jaunies par le temps.
Elle les regarde tendrement une à une, se remémorant les instants passés et le bonheur ressenti. Elle tombe soudain sur une photo de ses grands-parents. Ils sont assis sur un banc, dans un parc aux couleurs d’automne. Leurs doigts sont entrelacés et ils se sourient tendrement.
Elle se rappelle de cette journée. Une des dernières qu’elle avait passée en leur compagnie. A tour de rôle, elle leur avait tenu la main pour les aider à marcher. Et surtout, pour le plaisir du contact avec eux. Cette sensation d’être tenue et de compter pour quelqu’un.
Son regard se pose alors sur leurs mains.
Elle se rappelle les mains de sa grand-mère, si douces. Ces mains qui caressaient, ces mains qui rassuraient. Ces mains qui lui préparaient de si bons gâteaux. Ces mains qui lui tricotaient de jolies écharpes colorées. Ces mains qui l’aident à habiller ses poupées. Ces mains qui quelquefois la punissaient mais ne pouvaient jamais s’empêcher de venir la câliner.
Elle repense aux mains de son grand-père. De grandes mains, des mains avec des callosités. Des mains qui disaient le travail de la terre. Des mains qui la tenaient pour l’emmener en balade, qui la soulevaient de terre pour qu’elle ramasse les cerises. Des mains qui la portaient et la faisaient tournoyer quand elle était enfant. Des mains qui la tenaient lorsqu’elle apprenait à faire du vélo. Des mains qui sculptaient l’argile et lui inventaient de jolis pots qu’elle rapportait à sa mère.
Leurs mains sont nouées, elles disent tout l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre. Elles montrent la tendresse, les années passées ensemble. Elles racontent une famille, un foyer. Elles rappellent aussi les épreuves traversées. Les moments où ils ont eu envie de tout lâcher et de se lâcher la main. Mais elles respirent la force et tout une vie côte à côte.
Elle regarde alors ses mains à elle. Qu’ont-elles construit ? Que racontent-elles ?
Ses mains sont fines, soignées. Manucurées. De jolies bagues ornent certains de ses doigts.
Puis une cicatrice est là pour lui rappeler qu’elle aussi a vécu. Cette brûlure lui rappelle le gâteau qu’elle a préparé pour sa fille. Cette ampoule raconte les jeux dans le jardin et les chasses au trésor faites avec son fils.
Ses mains ont caressé le front de ses enfants lorsqu’ils étaient malades. Ses mains les ont retenus lorsqu’ils se mettaient en danger.
Elle pense aux mains de sa fille. De jolies mains aux doigts très fins. Des mains pour jouer du piano. Il faudra qu’elle lui dise qu’elle est vraiment douée pour ça.
Celles de son fils lui rappellent celles de son grand-père. Ce sont des mains qui bricolent, des mains qui créent. Demain, elle fera de la poterie avec lui.
Enfin, elle pense aux mains de son mari. Ces mains qui l’ont soutenue. Ces mains qui l’ont caressée. Ces doigts qui se nouent aux siens. Ces mains qui se posent sur elle lorsqu’elle ne va pas bien, qu’aucune parole n’a à être prononcée. Ces mains qui quelquefois se font tempête mais qui jamais ne l’abandonnent.
Une vague d’amour l’envahit.
Demain, quand ils rentreront, elle leur demandera qu’ils mettent tous leurs mains ensemble, nouées, entrelacées. Et elle fera une photo…
Par Groux
Ici, il est question du passage des générations. Comme les mains tiennent le relais dans une course d’athlétisme, elles se passent dans le texte de Groux le flambeau des générations. Sur une photo, on se rappelle des mains des disparus. Dans l’instant présent, on pense à nos mains à nous et à celle des enfants. Pour l’avenir, on prendra une photo, pour ceux qui viendront plus tard et qui peut-être, se rappelleront à leur tour des mains de leurs grands parents. Le ton est résolument tendre et optimiste : c’est un texte qui tourne autour de l’amour familial, et sans être mièvre, il met en scène une famille complice, et aimante (pas de déchirements, ici).
Le choix qui a été fait par Groux est de rester sur des éléments positifs. Tout en respectant ce choix, il me semblerait intéressant d’introduire à certains moments quelques éléments un peu plus « ambivalents », tout en les présentant de manière tendre pour respecter la tonalité générale du texte. Cela donnerait du relief au reste. L’amour, et le positif, sont d’autant plus fort qu’ils savent résister aux contrariétés. Ses mains à elle, qui ont protégé les enfants, peuvent aussi avoir serré les poings pour éviter de trop s’énerver les soirs de fatigue où les enfants n’obéissaient pas. Les mains de sa fille, qui font du piano, peuvent aussi avoir dessiné sur le papier peint de la chambre, etc… Sans changer la tonalité positive du texte, en formulant les choses avec humour, façon clin d’œil, cela donnerait plus de profondeur, je pense.
C’est bien joli cette idée de photo sur la fin, de garder une trace de son ressenti