Texte de Schiele

Boum,

Boumboum,

Boum.

Les mains vissées sur sa vodka red bull, Mèl se fraie un chemin sur le dance floor. Direction le DJ, pour se planter bien en face. Un samedi soir sur la terre dans un club branché, elle va pouvoir se prendre du son plein la tête et les oreilles toute la nuit. Au milieu de la faune nocturne parisienne, elle veut s’oublier dans les rythmes binaires de l’électro., Rien ne comptera plus que les fameux beats par minute, ces BPM assourdissants qui feront vibrer ses tympans , même une fois la fête finie , des heures durant. Pendant ces heures de danse, Mèl ne pensera plus, elle n’aura qu’à se laisser entraîner dans le tourbillon des montées tribales. Il n’y a que là et comme ça qu’elle y parvient.

Pour ça, toujours le même plan. La soirée commence en groupe autour de coupes de champagne. On se retrouve entre bons représentants du parisianisme : un gay, la trentenaire starfuckeuse incapable de se caser, le loup du marketing qui n’aime que faire du chiffre et un bobo qui a quitté la banque pour ouvrir son resto bio. L’apéro s’ agrémente vite d’un coup pouce chimique : traces de coke, aux toilettes. Tellement cliché, mais tellement courant.

Le même rituel, on rentre à 2 ou 3, comme des ados, ricanant de braver les limites. On sort la poudre, une CB pour tracer de belles lignes, on roule un bifton à la va vite, et c’est parti pour autant de petits flashs que de snifs. Effet rapide et immédiat.

On est vif, tout est encore sous contrôle. On  se sent intelligent, dissert, les idées fusent. Avant que ça redescende, on y retourne. Et on y retourne. Une fois qu’on a fait le tour de tous les ragots, autres vanités et platitudes, on court se réfugier dans la pénombre de la boite pour se perdre dans la foule anonyme des hipsters. Bien évidemment, on n’aura pas fait la queue au milieu de la plèbe, on connait le videur, on lui claque même la bise. On n’est pas n’importe quelle pouf.

Devant sa cabine, le poing en l’air, rageur, qui bat la mesure, Mèl observe le chef de cérémonie. Celui qui en manipulant ses vinyles fait l’amour aux clubbeurs. Celui qui en variant les rythmes, les tiendra en haleine, fera se mouvoir leurs corps selon le tempo qu’il voudra bien donner à ses disques. Il est courbé, concentré sur ses machines. Elle ne voit que sa nuque et ses mains, qui triturent les boutons des platines.

Et maintenant elle attend sa montée de MDMA pour vibrer encore plus fort, partir encore plus loin.

Elle bloque sur ces mains qui détiennent le pouvoir de sa transe.

Il accélère la cadence, ses bras et ses jambes suivent. Sa tête avec. La drogue monte, la connecte davantage encore à la musique. Elle fait corps avec , sa pensée s’en mêle et s’emmêle .

Les mains du Dj, son poing.

Le tempo se hâte encore, les basses tambourinent jusque dans ses tripes. C’est tout son corps qui oscille en bloc, par saccades. Une fraction de secondes, le doigt expert interrompt la musique. Tous sont suspendus, et , brutalement, comme un coup de rein, ça repart plus fort, plus vite encore.

Comme prise par une décharge électrique, Mel bascule et reprend sa danse, les yeux plongés sur ces mains qui jouent si habilement avec son plaisir. Calquées sur les flashs des stroboscopes qui accélèrent , ses pensées, boostées par la chimie qui opère, défilent à la vitesse de l’éclair. Elle voit, avant de vite les repousser, les mains noueuses et terreuses de sa grand mère qui épluchent les pommes de terre.

Ses bras se dressent en l’air, accompagnent l’envolée effrénées des BPM.

Elle tente de les chasser, mais les images réquisitionnent son espace mental.

Telles les pages d’un catalogue feuilletées frénétiquement, surgissent les mains de sa mère qui lui massent son ventre de fillette angoissée, celles perdues de son amour qui lui caressent la joue, la paluche carrée et massive de son père qui la gifle, les menottes de sa poupée qui grandit trop vite. Trop de pensées.

Une grosse gorgée de vodka, puis une autre, et enfin le verre cul sec chassent enfin ce flot et aide son cerveau à revenir à un mode reptilien. La danse reprend de plus belle, et enfin Mel, les yeux mi clos n’est plus qu’un corps en mouvement, dans le présent total de son mouvement. Elle a débranché. Le temps n’existe plus.

Boum boumboum boum.

Retour à la réalité, brutal.

Le son s’arrête, en plein milieu d’une boucle énorme.

Les lumières se rallument.

La nausée monte.

Mèl, la main devant la bouche, se retient de vomir.

Combien de temps s’est il passé?

Peu importe.

Il est l’heure de rentrer.

Par Schiele

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Voilà un texte tout en vibrations, en ressenti, un texte très physique. Schiele nous propose un instant précis, assez court, de vie, contrairement à un texte comme celui d’Ariane qui déroule presqu’une vie entière. C’est un texte très ambiancé, assez noir, qui fonctionne bien. Schiele utilise ces vibrations, cet étourdissement recherché, ces drogues ingérées, pour glisser quelques éléments sur le personnage mis en scène. On n’en saura au bout du compte pas grand chose, mais suffisamment pour que le texte s’équilibre. On sait qu’elle veut « s’oublier », qu’elle n’y arrive que « comme ça », des petits phrases comme « tellement cliché, mais tellement courant » « on se sent intelligent » laissent également filtrer le fait qu’elle n’est dupe de rien, et assez désabusée. C’est finalement, probablement, le presque-désespoir d’une femme, que Schiele met en scène ici, au rythme des BPM.

Puisque le texte est écrit au plus près de la musique, du mouvement, du rythme, je trouverai pour ma part très intéressant d’approfondir l’idée d’introduire dans la narration de courts flashs narrant des instants du reste de la vie de Mel, en plein cœur de la danse. Comme si l’effet combiné des drogues et de la musique créait des hallucinations, très courtes, façon stroboscope, qui font irruption malgré elle en plein cœur de ce moment où elle veut tout oublier. C’est ce qui est fait vers la fin du texte, avec la référence à sa mère, à sa grand-mère. Cela pousse Mel à danser encore plus vite, encore plus fort, pour essayer de les repousser, de VRAIMENT tout oublier. Je pense que ce serait intéressant aussi à faire avec des éléments de son quotidien, qui permettraient de souffler pourquoi Mel est prise dans cet engrenage, pourquoi elle se donne, sans réel plaisir, à ces soirées. Il serait possible aussi, en quelques mots, de mettre en scène un genre de distorsion de l’hallucination, puis sa disparition, jusqu’à la prochaine. Par exemple, si à un moment elle voit en flash une réunion au bureau, elle danse encore plus fort, ferme les yeux, et petit à petit, dans son hallucination, les corps de ses collègues de boulot s’étirent, s’allongent, se déforment, jusqu’à ce que l’image disparaisse d’un coup… (ou autre chose, hein, c’est juste une illustration possible)

en effet, en voulant restée focalisée sur les mains, je n’ai pas développé autour de Mél…je crois qu’elle assez vide car très désabusée, mais que ça vaudrait le coup d’en donner plus à savoir sur qui elle est

oui mais ce côté vide et désabusé peut aussi se voir sur son physique, sur sa tenue, sa coiffure. On a envie de la connaître plus cette Mèl

Tout à fait d’accord avec Pilly, même si elle est vide et désabusée, ça peut se voir, se sentir, dans des éléments de sa tenue, dans des bribes de son quotidien qui pourraient nous parvenir.

Pour renforcer le côté rythmé, le son qui accélère… je trouverai intéressant de réduire la longueur des phrases, d’avoir une écriture un peu plus hachée, à partir de « Les mains du DJ, son poing. » ça nous permettra nous aussi d’avoir la montée de MDMA !

C’est une excellente suggestion (jouer sur les rythmes de phrases, les tempos d’écriture, surtout dans ce type de texte, est souvent très parlant à l’arrivée)

J avais aussi pensé à cet aspect « technique » mais j avais peur que ça fasse cliché, le thème étant déjà un peu trash..mais merci beaucoup de vos retours, qui m apportent de stimulantes réflexions

Ah non ça fera pas cliché ! On se laisserait comme ça emporter par le rythme de la musique avec Mèl. C’est une bonne idée qu’a eu Nolwenn !

très bonne idée de Nolwenn!
j’ai beaucoup aimé ce texte quasi hypnotique en fait!

Je rejoins les filles, je ne pense pas que ça fera cliché. ça aurait pu si ton texte avait eu un côté « plaqué », « raconté de l’extérieur ». Mais ça n’est pas le cas. Même si tu peux rajouter des choses pour la camper encore mieux, tu la « tiens », Mel. C’est un texte, c’est un personnage, avec des tripes, et des tripes, ça bourdonne/vibre au rythme de la musique. Tu peux rendre ça en mots en les faisant bourdonner et vibrer aussi. Je ne pense vraiment pas que ça fera cliché.

J’ai aussi beaucoup aimé ton texte Schiele, je l’ai trouvé dynamique, entraînant, parlant, on se laisse facilement embarquer.
L’idée de Nolwenn et la proposition de Gaëlle me semblent très intéressantes! As-tu pu avancer sur la deuxième version ?

Il y a du style, c’est clair. Cela pourrait s’inscrire dans un texte plus long sur la vie de Mel. Le jour et la nuit. Qui est elle ? Pourquoi ce besoin d’exploser la nuit ? Vite la suite !